«Plusieurs experts croient que non», répond Sylvie Martin.
L'étudiante termine actuellement une maitrise sur l'utérus artificiel au Département de sociologie. D'ici 10 à 100 ans, prédit le biologiste français Henri Atlan dans son dernier livre L'utérus artificiel (Paris, Seuil, 2005), les techniques de reproduction artificielle, combinées avec la néonatologie, seront suffisamment perfectionnées pour permettre in vitro la conception et la croissance d'un embryon jusqu'à la naissance du fœtus.
«Cette possibilité scientifique représenterait une rupture anthropologique colossale. Pour la première fois de l'histoire de l'humanité, nous verrions le jour sans passer par le corps d'une femme. Nous serions le produit d'une machine», commente Mme Martin.
S'il faut à tout prix rejeter cette possibilité, selon l'étudiante qui a consacré les deux dernières années de ses études à ce sujet (elle compte déposer son mémoire avant Noël), d'autres pensent que l'utérus artificiel serait un atout de plus pour les cliniques de fertilité, toujours à la recherche de solutions novatrices pour les couples infertiles.
Certaines techniques permettraient de sauver des bébés lorsque surviennent des complications en fin de grossesse. Une expérience a été menée au Japon par le professeur Uyoshinori Kuwabara en 1996 avec des fœtus de chèvres. Dans un petit incubateur, on a créé un milieu très semblable à l'utérus de l'animal, avec placenta, liquide amniotique, système d'alimentation et de vidange rappelant le cordon ombilical. Pendant trois semaines, des fœtus se sont développés dans ce milieu complètement artificiel.
Hung-Ching Liu, une chercheuse de l'Université Cornell, à New York, affirme haut et fort que l'objectif de ses travaux est de créer le premier utérus artificiel humain. À partir de l'endomètre, elle a obtenu un tissu comparable à la paroi utérine qu'elle a déposé dans un liquide amniotique synthétique. L'embryon s'y est fixé sans encombre et a crû normalement. Mais les règles éthiques aux États-Unis limitent actuellement les manipulations sur l'embryon humain à une période de six jours. La chercheuse à dû suspendre l'expérience.
Le premier argument pour justifier l'idée de l'utérus artificiel est médical. En fin de grossesse, les effets de certaines complications pourraient être limités par un incubateur capable de réunir des conditions optimales, ce qui serait bénéfique autant pour la mère que pour l'enfant à naitre.
D'autre part, l'utérus artificiel éviterait le recours aux mères porteuses, dont le statut juridique et éthique demeure controversé. De plus, un courant de pensée féministe voit en cette percée technoscientifique un pas de plus vers la libération de la femme. On cesserait de réduire la femme à ses fonctions reproductrices, permettant un rapport avec les hommes plus égalitaire.
La sociologue ne partage pas ce point de vue. «Depuis les années 50, la médecine de reproduction tend à contourner la nature. Je me demande, dans ma recherche, d'où vient cette volonté de se débarrasser du corps de la femme. Comme si c'était une machine imparfaite.»
Quand les hommes se sont mis à assister aux accouchements, c'était pour pratiquer des césariennes, une technique éprouvée en médecine vétérinaire. On voulait, d'abord, sauver les bébés condamnés par la mort de la mère.
La sociologue pense que des éléments à considérer comme les liens affectifs liant la mère à l'enfant durant la grossesse et au moment de la naissance échapperont toujours aux inconditionnels de la ligne technoscientifique.
Peu de recherches longitudinales, sinon aucune, à sa connaissance, ont porté sur la personnalité des quelque trois millions de personnes nées de la fécondation in vitro depuis la naissance de Louise Brown, en 1978. Et l'on a vu récemment le cas troublant d'enfants conçus dans des cliniques de fertilité réalisant qu'ils avaient une soixantaine de frères et sœurs en vertu de l'utilisation multiple du sperme d'un donneur particulièrement fertile...
La sociologue fait observer que des cliniques de fertilité offrent aux parents de préciser certaines caractéristiques du futur enfant, du sexe à la couleur des yeux. Les considérations éthiques semblent avoir bien peu de prise sur les possibilités scientifiques. Mais Sylvie Martin pense faire œuvre utile en réfléchissant sur le sens de ces phénomènes. Comme le souligne sa directrice de recherche, Céline Lafontaine, la question de l'utérus ne se pose pas en termes de «croyance». «Il s'agit d'un projet scientifique concerté qui doit être remis en question dans ses fondements», estime-t-elle.
Mathieu-Robert Sauvé
Source:
http://www.nouvelles.umontreal.ca/recherche/capsule-science/les-tres-humains-naitront-ils-toujours-du-ventre-dune-femme.html