Chronique du Docteur Jean-Jacques Charbonier
Extrait du n° 152 | Décembre 2010
Expériences aux frontières de la naissance
En plus de vingt-trois ans de réanimation, j'ai assisté à de nombreux décès. Je n'ai jamais décelé de panique ou de terreur dans les regards qui s'éteignaient mais plutôt une sorte de sérénité traduisant un sentiment puissant de douce délivrance. Ceux qui s'apprêtent à nous quitter expriment une paix profonde, si bien que la mort semble être vécue comme des retrouvailles avec une amie longtemps attendue, une sorte de retour à la maison natale. On retrouve d'ailleurs cette quiétude sur la plupart des visages des défunts. Quelques heures avant son départ, un patient m'a confié : « Toute ma vie, aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours eu peur de la mort. Depuis tout petit, j'ai eu une terrible crainte pour cet instant car je ne croyais en rien. Je pensais que je serais incapable de pouvoir être à la hauteur. Et maintenant que je suis arrivé à ce moment tant redouté, je n'ai absolument pas peur, j'ai enfin trouvé la foi. Il me tarde au contraire de me retrouver devant Dieu. »
Je l'ai remarqué à maintes reprises ; au moment de la mort, le plus incrédule devient croyant, le plus athée invoque Dieu. Notre vie terrestre pourrait être mise en parallèle avec celle d'un fœtus dans le ventre de sa mère, qui ignore totalement I'existence d'une autre réalité.
Imaginons pour la démonstration la discussion de jumeaux flottant dans le liquide amniotique à l'íssue de huit mois, trois semaines et six jours de grossesse. Appelons-les Gabriel et Léon. Léon est un matérialiste qui ne croit qu'à ce qu'il perçoit dans sa vie intra-utérine. Son frère Gabriel est spirituellement plus évolué et pense qu'une vie différente de celle qu'il subit est possible. Ils communiquent par télépathie.
Léon : Tu crois à une vie après la naissance ?
Gabriel : Bien sûr. Tout le monde sait qu'il y a une vie après la naissance. Nous sommes ici en transit pour grandir et être assez forts et préparés pour ce qui nous attend après.
Léon : L'espoir fait vivre ! Tout ça, ce ne sont que des conneries ! ll ne peut pas y avoir une vie après la naissance !
Gabriel : Mais pourquoi donc ?
Léon : Parce que personne n'est revenu ici après sa naissance pour nous dire qu'une vie existait de l'autre côté. Il n'y a donc qu'une vie possible et c'est celle que nous vivons ici !
Gabriel : Mais pourtant, il y a bien des signes d'une vie après la naissance, des choses qui prouvent que des événements se passent en dehors d'ici !
Léon : Ah bon ?! Et tu peux me donner un seul exemple des signes dont tu parles ?
Gabriel : Il y a des moments, j'entends des voix, des bruits et des sons mélodieux. Si tu écoutes très bien, que tu te concentres et que tu penses que c'est possible, toi aussi tu pourras les entendre. Et comme nous ne sommes que deux ici, ça ne peut venir que d'un autre monde. Ces sons viendraient d'autres formes de vies qui évolueraient dans un monde parallèle à celui dans lequel nous sommes.
Léon : C'est ton imagination qui travaille, mon pauvre vieux. Tu as tellement peur de la naissance que tu t'inventes des trucs pour te rassurer et donc tu hallucines ! Moi, je n'ai jamais entendu d'autre que les bruits de nos déplacements dans ce liquide !
Gabriel : ll paraît que quand on passe de l'autre côté, on voit une grande lumière au bout d'un tunnel noir...
Léon : Ah oui ! tu veux parler des Near Bearth Experiences, les expériences aux frontières de la naissance... Foutaises que tout cela !
Gabriel : Et après avoir traversé la lumière, nous rencontrerons notre mère et elle prendra soin de nous car elle nous aime plus que tout...
Léon : Ah bon parce qu'en plus, tu crois à l'existence d'une mère, toi ? C'est absurde ; si cette mère existait, on le saurait. Elle viendrait nous voir dans cet utérus. Elle se montrerait. Elle ne nous laisserait pas souffrir comme ça dans cet endroit si petit et si noir !
Gabriel : Notre mère est partout autour de nous et nous sommes en elle. Nous vivons et nous déplaçons grâce à elle. Nous existons grâce à elle et à l'amour qu'elle nous porte.
Léon : Tu délires, mon pauvre ! Tu ne vas quand même pas avoir le discours de tous ces illuminés qui croient à l'existence d'une mère ?
Gabriel : Quand nous passerons de l'autre côté, elle nous prendra dans ses bras et nous couvrira de baisers...
Léon : Mais tu n'existeras plus, quand tu passeras de l'autre côté !
Gabriel : Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
Léon : C'est ce cordon relié à ton abdomen qui te fait vivre. Sans ce cordon, toute vie est impossible. Or, quand tu vas passer de l'autre côté, ce cordon sera coupé. Tu n'auras plus aucun moyen de recevoir du glucose et de l'oxygène. Privé de ces deux sources vitales, tu meurs en moins de trois minutes ! Tiens, regarde un peu ce qui arrive si je pince ton cordon ombilical là...
Gabriel : Arrrrhhgggg! Arrrrêêêêête ! J'étouffe ! Aaaaaaaarrr...
Léon : Ah tu vois, gros malin ! Tu vois ce que tu deviens en quelques secondes sans ce cordon. Tu deviens tout gris, ah, ah, ah!
Gabriel : Aaaaaahg....
Léon : Voilà, voilà, je lâche... Je n'aí pas du tout envie de te voir avorter devant moi, rassure-toi. J'ai juste voulu te donner une petite leçon pour que tu restes les pieds sur le placenta. Je viens de te prouver scientifiquement que sans ce cordon, toute vie est impossible.
Gabriel : Ouf, merci...
Léon : Pas de quoi !
Gabriel : Mais tu sais, ta petite démonstration ne m'a pas convaincu car il est aussi possible que de l'autre côté, ce cordon soit devenu totalement inutile.
Léon : Pfff, tu es vraiment irrécupérable !
Gabriel : Nous pourrons peut-être nous déplacer dans des espaces infiniment plus grands que celui où nous sommes actuellement... Notre vie, la vraie, commencerait, dans ce cas, juste après notre naissance.
Léon : Tu es complètement dingue ! En attendant, au lieu de raconter toutes ces bêtises, pousse-toi un peu, tu prends toute la place.
Soudain, une violente pression se fait ressentir à l'intérieur de l'utérus. Léon et Gabriel sont ballottés dans tous les sens. Le liquide amniotique dans lequel ils baignaient s'échappe en jets puissants vers l'extérieur. Gabriel est heureux, il devine que ce bouleversement est le signe d'un départ pour une autre vie bien plus merveilleuse que celle qu'il connaît. Léon est d'abord terrorisé, puis, peu à peu, son visage crispé se détend et s'illumine d'un tendre sourire. ll passe l'obscurité du col utérin et aperçoit une lumière violente.
Léon : Gabriel ! Gabriel, tu m'entends ?
Gabriel : Oui Léon, je t'entends, mais je t'entends à peine. Pourquoi ?
Léon : Je crois que tu avais raison. On va trouver notre Mère...
À la dernière minute, nous croirons tous en Dieu. Même les "Léon" qui, hélas pour eux, sont encore si nombreux.