L’informatique quantique et photonique pourrait arriver plus vite que prévuDepuis plus de 40 ans, tous nos ordinateurs fonctionnent grâce à l’électronique sur silicium qui a permis de passer de 2000 transistors sur une puce en 1971 à plus de six milliards aujourd’hui ! Mais cette course effrénée à la miniaturisation risque d’atteindre, d’ici une dizaine d’années, ses limites, dictées par les lois de la physique.De 22 nanomètres aujourd’hui, la gravure des puces électroniques devrait descendre à 16 nanomètres en 2016 et atteindre finalement 5 nanomètres vers 2020, soit l’équivalent d’à peine une cinquantaine d’atomes mis bout à bout !Mais pour arriver à un tel niveau d’intégration, l’électronique et l’informatique vont se trouver confrontées à deux murs redoutables, l’un technologique, l’autre économique. Les scientifiques pensent en effet qu’il sera très difficile, voire impossible de descendre en dessous de cette limite des 5 nm sans changer radicalement l’approche technologique car, parvenue dans ce nanomonde, l’électronique est dominée par les étranges lois de la physique quantique.
En outre, beaucoup d’analystes soulignent que la loi de Moore, qui régit les progrès de l’informatique depuis près d’un demi-siècle et prévoit un doublement du nombre de transistors sur une même puce tous les deux ans, va également se heurter à la barrière économique des rendements décroissants.
Concrètement, lorsque nous serons parvenus à des transistors de 10 nm, chaque réduction dans la finesse de gravure des circuits électroniques exigera des investissements technologiques et industriels de plus en plus considérables pour un gain de rapidité et d’efficacité de moins en moins perceptible au niveau du consommateur.
Il est donc absolument nécessaire, pour les raisons qui viennent d’être indiquées, que l’informatique opère des ruptures technologiques majeures au cours de ces 10 prochaines années, de façon à se préparer à « l’après silicium » dont l’échéance se rapproche de manière inexorable.
Parmi les pistes technologiques explorées, celles des nanotubes de carbone et du graphène constituent actuellement les voies de recherche les plus prometteuses, combinées avec l’informatique quantique et la photonique, pour poursuivre cette course sans fin à la puissance et à la miniaturisation des ordinateurs.
On se rappelle qu’en octobre 2012, une équipe de recherche d’IBM était parvenue à intégrer 10 000 transistors en nanotubes de carbone sur un circuit grâce à un nouveau procédé utilisant un substrat à base de silicium et de dioxyde de hafnium (HfO2) plongé dans une solution de nanotubes de carbone et de détergent. Par cette technique, les chercheurs étaient parvenus à produire des transistors deux fois plus petits que ceux obtenus avec les finesses de gravures actuelles (Voir IBM).
Il y a six mois, l’équipe de Michael Hartmann (Université de Munich), avait montré qu’il était possible de stocker des informations dans des nanotubes, sous forme de « qbits » quantiques. Le procédé mis au point par les chercheurs allemands consiste à stocker l’information sous forme de vibrations mécaniques en utilisant un nanotube de carbone comme une minuscule corde de guitare dont on pince les deux extrémités pour produire des vibrations (Voir TUM).
Le tube vibre alors plus d’un million de fois, en raison de sa très petite taille, permettant à l’information d’être conservée pendant une seconde. Ces informations peuvent ensuite être lues et écrites de manière optoélectronique. Comme le souligne Michael Hartmann : « Nous avons ouvert une voie nouvelle et intéressante qui pourrait permettre de réaliser un ordinateur quantique ».
Mais cette fois, c’est une autre étape décisive qui vient d’être franchie : une équipe de l’Université Stanford, en Californie, est en effet parvenue à mettre au point le premier ordinateur basique utilisant des nanotubes de carbone. La machine, d’à peine quelques millimètres, est certes très rudimentaire, mais elle ouvre une nouvelle voie prometteuse (Voir article Nature).
Jusqu’à présent, la production industrielle de nanotubes de carbone destinés à remplir les fonctions de transistors était très difficile à contrôler parfaitement et environ un tiers des nanotubes obtenus étaient métalliques, au lieu d’être semi-conducteurs, ce qui ne permettait pas leur utilisation en tant que transistors capables d’interrompre ou au contraire de laisser passer un courant électrique.
Mais l’équipe de Stanford, dirigée par Philip Wong et Subhasish Mitra, a réussi à surmonter cet obstacle en éliminant les transistors métalliques défectueux à l’aide d’un courant électrique de forte intensité. Ils ont alors pu produire des séries complètes de transistors opérationnels constitués de nanotubes de carbone.
Ces chercheurs ont enfin réalisé un processeur informatique composé de 178 transistors renfermant chacun une centaine de nanotubes. Bien que très simple, cette puce s’est montrée tout à fait capable de faire tourner un système d’exportation et de réaliser plusieurs types de calcul en parallèle.
Commentant cette avancée, le professeur Subhasish Mitra qui a supervisé ces travaux souligne que « Pour la première fois, nous avons fait la démonstration qu’il était possible de produire à un niveau industriel des puces et composants électroniques non plus basés sur le silicium mais sur le carbone, ce qui marque le début d’une véritable révolution technologique ».
Pour l’instant, les transistors en nanotubes de carbone qui ont été expérimentés en laboratoire ont une taille bien plus importante, de l’ordre du micromètre (millionième de mètre), que celle de leurs homologues en silicium (20 nm pour les plus petits).
Mais, comme le souligne Adrian Ionescu, du Laboratoire des dispositifs nanoélectroniques de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, « il a fallu 40 ans à la technologie du silicium pour descendre à la finesse de gravure actuelle de quelques dizaines de nanomètres. L’important c’est que nous ayons apporté la preuve qu’il était possible de concevoir et de réaliser un ordinateur utilisant principalement des composants en nanotubes de carbone. Il n’y a aucun obstacle majeur à la fabrication de transistors en nanotubes de carbone aussi minuscules et même plus petits que ceux en silicium ».
La substitution des composants en silicium par des composants en nanotubes de carbone présente en outre d’autres avantages : d’une part, la quantité d’énergie nécessaire au basculement de ce type de transistors est très inférieure à celle requise par les transistors en silicium et d’autre part les nanotubes de carbone possèdent des propriétés physico-chimiques exceptionnelles de dissipation thermique et une nouvelle électronique reposant sur ce type de composant pourrait donc en grande partie s’affranchir des problèmes récurrents de ventilation et de refroidissement qui caractérisent nos ordinateurs et appareils numériques actuels (Voir MIT Technology review).
Mais en attendant l’arrivée de cette électronique du futur utilisant des nanotubes de carbone, les scientifiques explorent en parallèle d’autres voies technologiques, parmi lesquelles celle de la photonique sur silicium semble particulièrement prometteuse.
En février 2013, le CEA-Léti a annoncé qu’il allait coordonner un projet européen de quatre ans pour accélérer à l’industrialisation de cette technologie. Ce programme, baptisé PLAT4M (Photonic Libraries And Technology for Manufacturing) doit permettre un transfert rapide des recherches de laboratoire à la production industrielle.
Il y a quelques semaines, une équipe américaine associant des chercheurs du MIT et de la firme Micron Technology, dirigée par Milos Popovic, de l’Université du Colorado, a dévoilé un microprocesseur dans lequel ce ne sont plus des électrons mais des photons, sous forme de rayons lumineux, qui assurent la circulation d’informations entre les différents composants (Voir University of colorado Boulder).
« Cette solution technologique permet un débit d’information inégalé et nécessite très peu d’énergie. Elle est en outre transférable et intégrable sans difficulté majeure dans les processus industriels actuels de la fabrication de puces électroniques sur silicium », souligne Milos Popovic.
À travers le monde, de nombreux laboratoires, dont ceux d’IBM et d’Intel, travaillent sur ces technologies photoniques et leur intégration ou leur association à l’électronique classique. L’interconnexion optique repose sur l’utilisation d’un modulateur, qui convertit les signaux électriques en signaux optiques, et d’un photodétecteur, qui effectue l’opération inverse.
Il reste qu’à l’avenir l’utilisation croissante de la photonique passe également par l’abandon du silicium et son remplacement par d’autres substrats beaucoup plus performants, comme le germanium ou, à plus long terme, le graphène.
Dirk Englund, professeur au MIT, souligne à ce propos que, bien que les dispositifs de graphène soient encore à un ordre de grandeur derrière le germanium en termes de capacité à générer du courant en réponse à l’absorption de la lumière, ils ont fait d’immenses progrès depuis cinq ans et finiront par s’imposer dans ces technologies photoniques, compte tenu de leurs propriétés électroniques exceptionnelles en termes de débit et de fréquence.
Ces recherches récentes nous montrent que ces deux technologies prometteuses, électronique sur nanotubes de carbone et photonique, peuvent à terme converger pour aboutir à des composants et à des ordinateurs bien plus compacts et rapides qu’aujourd’hui.
Mais une autre rupture technologique majeure pourrait bien venir s’ajouter à ces deux avancées techniques et en décupler les potentialités : l’informatique quantique. En février 2013, des chercheurs de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne ont ainsi découvert qu’il était possible, à l’aide de nanofils semi-conducteurs, de créer des « îlots quantiques », d’une stabilité et d’une efficacité sans précédent. Les propriétés de ces nouvelles structures quantiques sont en outre paramétrables avec une grande précision et permettent de contrôler des émissions uniques de photons.
Enfin, il y a quelques jours, des physiciens allemands de l’Université Friedrich-Schiller d’Iéna ont présenté un prototype de puce d’ordinateur quantique optique qui repose sur l’utilisation d’un circuit optique sur une puce en verre de la taille d’une paume de main. Dans ce dispositif, il est possible de traiter les informations en utilisant des photons intriqués, qui proviennent d’une même source et dont les propriétés quantiques sont corrélées.
On voit donc qu’à terme, va émerger une informatique radicalement nouvelle qui va combiner trois révolutions technologiques et conceptuelles : la première sera celle du changement du substrat et du passage à des nano matériaux issus du carbone. La seconde se caractérise par l’utilisation croissante des photons et de la lumière dans la production et la transmission d’informations. Enfin la troisième, qui utilisera toutes les potentialités des deux premières, concerne la maîtrise et l’utilisation des étranges propriétés quantiques de la matière, ce qui permettra d’atteindre des puissances de calcul défiant l’imagination.
Il est probable que ces ruptures technologiques et conceptuelles majeures se réalisent bien plus rapidement que prévu et convergent pour déboucher d’ici une dizaine d’années sur une informatique qui n’aura plus grand-chose à voir avec celle d’aujourd’hui et pourra probablement rivaliser dans de multiples domaines avec l’intelligence humaine.
Il serait souhaitable, compte tenu de l’enjeu scientifique, cognitif et économique décisif que représente ce saut technologique, que l’Europe, comme elle a su le faire dans le domaine du cerveau avec le Human Brain Project, lance un grand programme de recherche sur 10 ans pour accélérer l’avènement de cet ordinateur du futur.
Initialement publié sur RTLflash, cet article est reproduit avec l’aimable autorisation de René TRÉGOUËT, Sénateur Honoraire et fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
http://www.gizmodo.fr/2013/10/25/linformatique-quantique-photonique-arriver-vite-prevu.html