« La dernière somme récoltée par le Téléthon, c’est 40% de ce que l’état va rembourser au seul Bernard Tapie; c’est à peine 3 fois le chèque fait par les impôts à Bettencourt pour son bouclier fiscal. Et l’Etat n’aurait donc pas les moyens de financer la recherche sans qu’on passe par le culpabilisant Téléthon? »
Le Syndicat national des travailleurs de la recherche scientifique (SNTRS-CGT) attaque lui sous l’angle thérapeutique :
« Depuis 24 ans par le biais du service public de la télévision, le Téléthon nous fait miroiter que les dons vont faire progresser la recherche et aider aux traitements des maladies génétiques. Force est de constater que les résultats ne sont pas du tout au niveau des promesses réitérées chaque année.
Et pour cause, l’AFM [Association française contre les myopathies, NdA]prétend lutter contre toutes les maladies génétiques rares en privilégiant les pathologies de l’enfant, plus médiatisables. (…)
Les discours enthousiastes sur les perspectives de la thérapie génique et cellulaire présentées comme des messages publicitaires destinés à inciter aux dons reposent sur une vision réductrice de la démarche scientifique. Pour développer ces thérapies, il est fondamental de continuer à explorer l’ensemble des mécanismes de régulation des cellules normales et pathologiques. Or, la recherche pour le traitement des maladies génétiques ne peut-être que freinée par la politique scientifique actuelle de créneaux de plus en plus étroits déterminés uniquement par les stratégies des industriels.
Les robinets de l’innovation sont quelque peu taris du coté des industriels de la pharmacie du fait de la réduction des champs de recherche publique menée par tous les gouvernements depuis de nombreuses années. La manne financière du Téléthon focalisé sur quelques créneaux sans développement du front des connaissances a contribué à amplifier cette réduction des champs disciplinaires, obérant les possibilités d’aboutir à des traitements. Ce n’est pas la réduction de 15% des crédits de paiement alloués aux laboratoires par l’Inserm et le CNRS pour 2011 qui va améliorer les choses. »
Puisque l’angle économique est abordé, convoquons enfin Christian Jacquiau, commissaire aux comptes, expert comptable et essayiste, qui en passe par ce prisme pour aboutir à un réquisitoire politique :
« Magnifique exhibition de générosité qui force l’admiration chaque année, tant les sommes récoltées sont astronomiques, alors que des pans entiers de la recherche sont par ailleurs complètement sinistrés.
C’est que depuis sa création (1987), le Téléthon français a rapporté plus de 1,6 milliards d’euros ! Une manne exceptionnelle sur laquelle plus de 119 millions d’euros ont été consacrés à ses frais de gestion et près de 175 millions… aux seuls frais de collecte des dons. Respectivement 7,3 % et 10,7% des dons recueillis, selon les chiffres communiqués par l’Association française contre les myopathies (AFM). Des chiffres qui donnent le vertige… Mais qui ne doivent pas faire oublier l’envers du décor de cette joyeuse et gigantesque kermesse surmédiatisée.
Car derrière cette très belle démonstration de la puissance télévisuelle se cache une bien curieuse réalité. Beaucoup moins glorieuse celle là…
Le désengagement de l’État de ses fonctions essentielles : la santé, la recherche et l’éducation, notamment. Avec en toile de fond une formidable illustration du fameux théorème libéral : mutualisation des dépenses/privatisation des profits.
Étrange modèle que celui qui consiste à faire appel à la générosité publique pour financer les travaux de chercheurs privés – au seul bénéfice d’une cause, certes noble mais strictement ciblée.
Chercheurs qui s’empresseront, dès que leurs travaux auront abouti, de déposer des brevets qui assureront non seulement leurs fortunes personnelles mais qui permettront aussi à des laboratoires
– privés eux aussi
– de s’enrichir sur la commercialisation de nouveaux médicaments qu’ils vendront alors au prix fort à ce qu’il restera d’une Sécurité sociale exsangue, n’assumant déjà plus son rôle de protection mutualisée des plus faibles.
Car enfin…
Si l’État et ceux qui se déchirent pour alterner à le représenter prenaient et assumaient véritablement leurs responsabilités, ne veilleraient-ils pas à assurer un financement approprié de la recherche publique ?
Cela aurait pour effet immédiat de réduire les coûts de santé, la sécurité sociale n’ayant plus à assurer le service de substantiels bénéfices aux laboratoires privés, comme elle est contrainte de le faire aujourd’hui. (…
Ce modèle d’appropriation de l’argent public par le privé – prélevé autoritairement où grâce aux moyens sophistiqués de la séduction médiatique
– n’est pas nouveau.
Et pas davantage limité à la santé.
Il y a longtemps déjà qu’en application du fameux AGCS, il a été appliqué pour la première fois aux concessions d’autoroutes, de parkings publics et de bien d’autres…
Ici comme ailleurs, les usagers ont été, dans un premier temps, soumis à de substantiels droits de péage destinés à financer les travaux initiaux de réalisation.
Avant que ces ouvrages n’entrent discrètement dans le patrimoine de sociétés concessionnaires privées qui n’avaient plus alors qu’à engranger les substantiels bénéfices tirés d’un patrimoine… appartenant en réalité aux usagers et à la collectivité des citoyens, mais détourné par les politiques au profit de structures privées, habilement constituées à cet effet.
Comble d’ironie, et l’altruisme médiatisé ayant ses limites, les généreux donateurs du Téléthon bénéficient d’une réduction d’impôts de 66% du montant des dons qu’ils promettent à l’AFM.
« Après réduction d’impôts, votre don de 100 € ne vous revient qu’à 34 €», explique l’AFM sur son site.
Mais ce qu’économise le donateur, c’est l’État qui le paiera.
Ainsi pour la seule année 2009, c’est un peu plus de 62 millions d’euros qui sont passés
– ni vus, ni connus – du budget de l’État (via les déductions fiscales accordées aux donateurs) à la recherche privée… via le Téléthon.
Sans engagement et sans contrepartie.
Emblématique, non seulement d’une certaine idée de la recherche publique mais bien au-delà, du rôle de l’État dans la société, le Téléthon serait-il devenu un moyen efficace de nous faire admettre
– en chansons, avec flonflons et serpentins
– le détricotage méticuleux et systématique des acquis sociaux issus du Conseil national de la Résistance que les politiques ont de plus en plus de mal à nous faire accepter? »
*88 millions d’euros de promesses de dons pour 2013.
Le professeur Testart dénonce une « mystification »
« C’est scandaleux. Le Téléthon rapporte chaque année autant que le budget de fonctionnement de l’Inserm tout entier.
Les gens croient qu’ils donnent de l’argent pour soigner. Or la thérapie génique n’est pas efficace.
Si les gens savaient que leur argent va d’abord servir à financer des publications scientifiques, voire la prise de brevets par quelques entreprises, puis à éliminer des embryons présentant certains gènes déficients, ils changeraient d’avis.
Le professeur Marc Peschanski, l’un des artisans de cette thérapie génique, a déclaré qu’on fait fausse route. On progresse dans le diagnostic, mais pas pour guérir.
De plus, si on progresse techniquement, on ne comprend pas mieux la complexité du vivant.
Faute de pouvoir guérir les vraies maladies, on va chercher à les découvrir en amont, avant qu’elles ne se manifestent. Cela permettra une mainmise absolue sur l’homme, sur une certaine définition de l’homme »: Jacques Testart, directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), spécialiste en biologie de la reproduction, « père scientifique » du premier bébé éprouvette français, et auteur de plusieurs essais témoignant de son engagement pour « une science contenue dans les limites de la dignité humaine«, dans une interview accordée à Médecines-Douces.com.
Testart écrit aussi sur son blog:
« Les OGM sont disséminés sans nécessité puisqu’ils n’ont pas démontré leur potentiel et présentent des risques réels pour l’environnement, la santé et l’économie. Ils ne sont donc que des avatars de l’agriculture intensive qui permettent aux industriels de faire fructifier les brevets sur le vivant.
Au contraire, les essais thérapeutiques sur les humains sont justifiés quand ils sont la seule chance, même minime, de sauver une vie.
Mais il est contraire à l’éthique scientifique (et médicale) de faire miroiter des succès imminents des uns ou des autres. Malgré la persistance des échecs, les tenants de la thérapie génique (qui sont souvent les mêmes que ceux des OGM) affirment que « ça va finir par marcher », et ont su créer une telle attente sociale que la « mystique du gène » s’impose partout, jusque dans l’imaginaire de chacun.
Le succès constant du Téléthon démontre cet effet puisqu’à coups de promesses toujours réitérées, et grâce à la complicité de personnalités médiatiques et scientifiques, cette opération recueille des dons dont le montant avoisine celui du budget de fonctionnement de toute la recherche médicale en France.
Cette manne affecte dramatiquement la recherche en biologie puisque le lobby de l’ADN dispose alors du quasi monopole des moyens financiers (crédits publics, industriels, et caritatifs) et intellectuels (focalisation des revues, congrès, contrats, accaparement des étudiants…).
Alors, la plupart des autres recherches se retrouvent gravement paupérisées – une conséquence qui paraît échapper aux généreux donateurs de cette énorme opération caritative… » couv
Dernière citation pour la route, extraite de l’ouvrage de Testart, Le vélo, le mur et le citoyen : »Technoscience et mystification : le téléthon.
Depuis bientôt deux décennies, deux jours de programme d’une télévision publique sont exclusivement réservés chaque année à une opération remarquablement orchestrée, à laquelle contribuent tous les autres médias: le Téléthon.
Ainsi, des pathologies, certes dramatiques mais qui concernent fort heureusement assez peu de personnes (deux ou trois fois moins que la seule trisomie 21 par exemple), mobilisent davantage la population et recueillent infiniment plus d’argent que des maladies tout aussi terribles et cent ou mille fois plus fréquentes.
On pourrait ne voir là que le succès mérité d’un lobbying efficace, et conseiller à toutes les victimes de toutes les maladies de s’organiser pour faire aussi bien. Ce serait omettre, par exemple, que :
- le potentiel caritatif n’est pas illimité. Ce que l’on donne aujourd’hui contre les myopathies, on ne le donnera pas demain contre le paludisme (2 millions de morts chaque année, presque tous en Afrique) ;
- presque la moitié des sommes recueillies (qui sont équivalentes au budget de fonctionnement annuel de toute la recherche médicale française) alimentent d’innombrables laboratoires dont elles influencent fortement les orientations.
Ainsi, contribuer à la suprématie financière de l’Association française contre les myopathies
(l’AFM, qui recueille et redistribue à sa guise les fonds collectés),
c’est aussi et surtout empêcher les chercheurs (statutaires pour la plupart, et donc payés par l’État, mais aussi thésards et, surtout, post-doctorants vivant sur des financements de l’AFM, forcément fléchés) de contribuer à lutter contre d’autres pathologies, ou d’ouvrir de nouvelles pistes ;
- il ne suffit pas de disposer des moyens financiers pour guérir toutes les pathologies.
Laisser croire à cette toute puissance de la médecine, comme le fait le Téléthon, c’est tromper les malades et leurs familles ;
- après vingt ans de promesses, la thérapie génique, ne semble plus être une stratégie compétente pour guérir la plupart des maladies génétiques ;
-lorsque des sommes aussi importantes sont recueillies, et induisent de telles conséquences, leur usage mériterait d’être décidé par un conseil scientifique et social qui ne soit pas inféodé à l’organisme qui les collecte.
Mais comment aussi ne pas s’interroger sur le contenu magique d’une opération où des gens, allumés par la foi scientifique, courent jusqu’à l’épuisement ou font nager leur chien dans la piscine municipale…
pour « vaincre la myopathie » ?
Au bout de la technoscience, pointent les oracles et les sacrifices de temps qu’on croyait révolus…
mes sources : Elishean au féninin.
bon Dimanche Laly