L’Arctique, conflit énergétique en perspective ?Alexandre Latsa"Un autre regard sur la Russie" par Alexandre LatsaAlexandre Latsa, 33 ans, est un blogueur français qui vit en Russie. Diplômé en langue slave, il anime le blog DISSONANCE, destiné à donner un "autre regard sur la Russie".Très prochainement aura lieu à Arkhangelsk, dans le grand nord russe, la deuxième édition du forum international "Arctique, territoire de dialogue", organisé par la Société géographique de Russie. Pour la majorité arctique rime avec pôle nord c’est à dire une zone glaciale, peuplée d’ours blancs et de manchots, avec une faible présence humaine.
Pour d’autres, plus initiés (dont sans doute bon nombre de lecteurs de Ria Novosti) l’Arctique est au contraire un formidable théâtre d’opérations, avec un potentiel minier important. C’est également une zone de rivalités entre grandes puissances, préfigurant la bataille pour l’énergie que connaîtra sans doute ce siècle. Cette tension autour du pôle nord n’est pas totalement nouvelle. Durant la guerre froide, soviétiques et américains considéraient l’Arctique comme passage le plus court pour observer l’autre mais aussi comme passerelle géographique en cas d’interventions militaires. Pour Jean Claude Besida, l’Arctique est devenu à ce moment là une "interface géopolitique entre puissances".
Après la chute de l’URSS et la fin de la guerre froide, les pays riverains de l’Arctique (Russie, Canada, Norvège, Danemark, Etats-Unis) ont constitué trois organisations de coopération régionale destinées à promouvoir la collaboration entre les états ayant des intérêts dans la zone: Le conseil des états de la mer Baltique en 1992, La Coopération de Barents en 1993 et enfin Le Conseil de l’Arctique en 1996. Auparavant, en 1982, la convention des nations unies sur le droit de la mer avait été signée à Montego Bay, mais elle n’est entrée en vigueur qu’en 1994. Ce timide réchauffement des relations s’est accompagné d’un réchauffement climatique aux conséquences majeures pour la planète.
La fonte des glaces devrait en effet s’accélérer durant ce siècle, puisque depuis 1979 la superficie de glace en Arctique a diminué de 20%, et qu’elle devrait encore diminuer de 50% d’ici 2100.
Cette fonte des glaces ouvre des perspectives économiques et stratégiques majeures, via le développement de routes commerciales maritimes bien plus courtes, plus rentables et plus sûres, entre l’Occident et l’Asie. Deux variantes principales existent, la route du nord qui longe les côtes de la Sibérie et la route du nord ouest qui passe à travers le grand nord Canadien. En outre, on estime qu’un quart des réserves mondiales non encore découvertes de pétrole et de gaz se situent en Arctique.
La région est également très riche en minerais divers (nickel, fer, phosphates, cuivre, cobalt, charbon, or, étain, tungstène, uranium ou argent). Enfin L’Arctique comprend également les plus vastes réserves d’eau douce de la planète. Le retour de la Russie dans le concert des puissances internationales a considérablement changé la donne dans la région Arctique. En effet, si les relations entre la Russie et puissances du nord se sont timidement et diplomatiquement réchauffées, il reste que tous les Etats concernés ainsi que les états au statut d’observateur comme la France sont membres de l’OTAN, sauf la Russie.
Avec leur statut de futurs propriétaires des routes commerciales, Russie et Canada ont décidé d’affirmer activement leur souveraineté sur la région. Lors d’une mémorable expédition en 2007, la Russie a planté son drapeau au fond de l’océan Arctique en utilisant des bathyscaphes. A l’époque, la presse anglaise avait comparé cette expédition au premiers pas de l’homme sur la lune en 1969 en termes de témérité et de performance technologique. Mais au delà de la prouesse technique, l’expédition a montré l’importance que les autorités russes accordent à cette zone. Si l’Arctique ne représente que 1,5% de sa population, la région compte déjà pour 11% de son PIB et 22% de ses exportations. Enfin, 75% des habitants de l’Arctique sont russes.
La Russie a aussi la frontière arctique la plus longue. Par conséquent une militarisation de l’Arctique est en cours. Elle est alimentée par les cinq nations qui ont des revendications sur la région: États-Unis, Canada, Russie, Danemark et Norvège. Plus récemment, la Grande-Bretagne, la Finlande et la Suède ont également rejoint le débat sur l’Arctique. Symbole de cette démonstration dissuasive occidentale, les manœuvres militaires Nanook qui ont lieu dans le cadre de l’OTAN tous les étés. Chaque année le nombre de participants et la quantité de matériel impliqué sont en hausse. Cet été par exemple, 100 militaires étrangers se sont entrainés avec plus d’un millier de soldats canadiens. En 2008, les entrainements étaient basés sur le scénario d’un état envahissant l’Arctique. Il est légitime de se demander à quel état les organisateurs pensaient, sachant encore une fois que le seul état Arctique non membre de l’Otan et n’ayant donc pas participé à ces manœuvres est la Russie.
Flotterait-il un parfum de nouvelle guerre fraîche entre russes d’un coté, et américano-canadiens de l’autre? La Norvège vient d’annoncer un projet visant à établir un commandement arctique interarmées, une force de réaction arctique et un renforcement de la base aérienne de Thulé pour la partager avec ses alliés de l’OTAN.
Le Canada, pour sa part, a récemment décidé de développer les effectifs et le matériel de ses brigades arctiques. Quand à la Russie, elle revendique clairement sa souveraineté sur une bonne partie de la dorsale sous marine Lomonossov. Certains officiels affirmaient déjà en 2008, tel le général Vladimir Chamane, que "le pays devait être prêt à faire la guerre en arctique si nécessaire". Cette année a vu la création de deux nouvelles brigades arctiques pour contribuer à la protection des intérêts nationaux russes dans la région. Mais par ailleurs, la Russie affirme vouloir faire de l’Arctique un territoire de dialogue et écarte par avance tout risque de conflit dans cette zone du monde. Récemment, l’influent premier ministre Vladimir Poutine a rappelé que: "La sécurité et les intérêts géopolitiques de la Russie sont liés à l’Arctique". Enfin en dehors des Etats Unis, riverains de l’Arctique via l’Alaska, d’autres pays plus lointains ont manifesté récemment des visées sur l’Arctique: La Chine ou encore l’Iran.
Routes commerciales du futur, exploitation des richesses minières, l’Arctique va sans doute faire l’objet de tractations compliquées et de nouveaux rapports de force entre puissances. Pour les européens, le filtre Otan et nord-américain ne semble pas le plus conforme à leurs intérêts. En effet un équilibre en Arctique n’est pas concevable sans la Russie. En outre, à l’heure ou le moyen orient multiplie les signes d’instabilité, et alors que le besoin en énergie va augmenter durant le siècle, le rapprochement avec la Russie semble plus que jamais utile. C’est ce qu’a laissé entendre l’ambassadeur français pour l’Arctique Michel Rocard: "La Russie est une puissance arctique disposant de nombreux atouts (expérience, matériel...) pour assurer le développement de la route commerciale arctique".
Russes et européens ont sans doute l’occasion de faire ensemble de l’Arctique un territoire de paix et de dialogue, et d’utiliser ces richesses ensembles, afin de renforcer leurs positions dans le monde.
Source : http://fr.rian.ru/tribune/20110909/190882762.html