29
Le Conseil d'Etat pour les Sciences et les Technologies a spécialement
institué pour la réalisation de ces programmes un institut, le Centre Vent,
financé par le Ministre de la Défense ainsi que par la Commission MilitaroIndustrielle du Cabinet Ministériel de l'URSS et du KGB. D’après son directeur
A. Akimov, le financement se montait à hauteur d’un demi-milliard de roubles
soviétiques. Cette somme a été confirmée plus tard par la publication de la
directive du Comité pour la Science et la Technologie de l’URSS, datée du 4
juillet 1991. Sous la direction du Centre Vent travaillaient 26 institutions
scientifiques, dont l’institut directeur était l'Institut pour la Recherche en
Matériaux à Kiev dont le directeur avait nié que l’institut soit en possession
d'un générateur psychoélectronique.
Le 11 novembre 1992, un autre quotidien russe, la Pravda, a publié un article
au sujet de ce type d’armement dans lequel le directeur du Center Vent. A.
Akimov, affirmait : « en conséquence du travail expérimental nous avons à
disposition tout ce qui est nécessaire pour produire les échantillons
industriels ». Il établissait aussi que « les champs de torsion [...] sont capables
de transmettre l'information sans barrière capable de les arrêter ».
L’information selon laquelle dès 1982 avait commencé en URSS le
développement d'un nouveau système radar qui pourrait être utilisé pour créer
un « champ psychoélectronique pour le contrôle mental » a été publié en 1992
par l'Institut Indépendant pour les Affaires Etrangères de Moscou dans
l'hebdomadaire Stolitsa46. L’information provenait à nouveau de Victor
Sedletski, vice-président de la Ligue des Scientifiques Indépendants de
l’URSS qui avait été à l’origine de la révélation publique de l’existence des
programmes psychoélectroniques russes un an plus tôt.
L’effondrement de l’URSS avait donc abouti à la déclassification partielle des
programmes d’armement de l’URSS dans ce domaine très particulier. Mais la
fin de la guerre froide était loin de marquer la fin du développement des armes
de « contrôle mental », bien au contraire.
46 Stolitsa, no. 43, MC-Ultra programme, pg. 40, 2 novembre 1992, Alexei Myasnikov, cité par le
Russian Press Digest - RusData Dialine.
30
8. Après la fin de la guerre froide, les Etats-Unis mettent à profit les
technologies russes
Les Etats-Unis ne vont pas mettre longtemps avant de mettre à profit les
capacités russes dans le domaine des armes psychoélectroniques, véritable
trésor de guerre. En janvier 1993, un article de la revue spécialisée Defense
News, intitulé « Les Etats-Unis explorent les Technologies de Contrôle Mental
Russes », annonçait : « Connue sous le nom de psycho-correction
acoustique, la capacités à contrôler les esprits et altérer le comportement des
civils et des soldats pourrait bientôt être partagée entre les responsables
militaires, médicaux et politiques américains, selon des sources américaines
et russes. […] Par conséquent, les auteurs russes ont proposé un Centre des
Psycho-Technologies bilatéral où les autorités américaines et russes
pourraient contrôler et limiter les capacités émergentes. » Les potentiels
d’armes psychoélectroniques en concurrence développés par chacune des
deux superpuissances allaient ainsi fusionner, principalement au bénéfice des
Etats-Unis, vainqueur de la guerre froide.
La « psycho-correction acoustique » dont il est fait référence est l’invention du
docteur Igor Smirnov, de l’académie de médecine de Moscou. Elle est définie
ainsi sur le site de l’Institut de Recherche en Psychotechnologie, dont I.
Smirnov est aujourd’hui le directeur : « pour influencer les décisions d’un
individu, modifier sa personnalité et diriger sa condition et son
comportement, la psychocorrection est fondée sur l’utilisation de la
persuasion, de l’explication, et d’instructions qui contournent le contrôle
volontaire et la conscience de l’individu. La psychocorrection consiste à
présenter au sujet, sans qu’il en soit conscient, des stimuli visuels,
acoustiques et autres stimuli sémantiques, préparés et formulés selon
des impératifs directeurs. » Le « psycho-sondage » y est défini comme les
« moyens permettant d’obtenir les informations de l’esprit d’un individu
indépendamment de sa volonté et de sa conscience. [Le dispositif] PsychoZond
est fondé sur l’analyse mathématique des réponses
comportementales et/ou psychologiques d’un individu aux stimuli sémantiques
(significatifs) qui lui sont présentés, et qui contournent sa conscience. ». Le
terme générique de « psychotechnologies » est défini en tant que « systèmes
désignés à réaliser un accès direct dans le subconscient ».47
En 1993 et 1994, plusieurs articles de la presse américaine48 publieront
l’information selon laquelle Igor Smirnov à expérimenté pour les services
secrets américains et le FBI une technologie capable d’insérer de façon
subliminale des pensées dans l’esprit d’individus afin de contrôler leur action.
Le FBI a notamment envisagé l’utilisation du dispositif de Smirnov contre
47 Site de l’Institut de Recherche en Psychotechnologies (http://int.psycor.ru/). Des informations
supplémentaires, bien que limitées, figurent sur le site.
48 Defense Electronics, juillet 1993, “DOD, intel Agencies Look at Russian Mind Control Technology,
Claims FBI Concidered testing on Koresh” ; Newsweek, 7 février 1994, “Soon Phasers on Stun” ;
Village Voice, 8 mars 1994, “Mind Control in Waco”.
31
David Koresh de la secte de David pendant le siège de Waco. Smirnov
racontait : « J'ai suggéré que les voix d'enfants et de familles invitant les
personnes suicidaires à rentrer à la maison pourraient être mixées avec les
bruits de véhicules automobiles de la police (le bâtiment en était entouré) ». Il
s’agissait également d’envoyer des messages à Koresh lui faisant croire qu’il
entendait la voix de dieu directement dans sa tête. Le FBI n’aurait pas retenu
l’option pour la raison (officielle) que Smirnov ne garantissait que 70% de
chances de réussite. Un participant à une réunion avec Igor Smirnov aux
Etats-Unis était cité dans l'article de Defense Electronics : « les agences de
renseignement [...] ont cherché à dépister Smirnov pendant des années [...].
Nous savons qu'il existe des preuves que les Forces spéciales de l'Armée
Soviétique ont utilisé la technologie pendant le conflit en Afghanistan. »
Dans la foulée de ces révélations, la presse russe publiera elle aussi des
articles sur Smirnov. La Pravda écrira le 6 mars 1994 : « Village Voice a publié
les ‘nouvelles scandaleuses’ selon lesquelles les russes sont capables de
contrôler le comportement humain »
49. Deux semaines plus tard un article de
Moscou News publie un long article sur Smirnov, qui expliquait comment
Smirnov, à des fins médicales, utilisait la « psychocorrection ». Des « bruits »
contenant des questions, qui ne sont pas audibles mais perçues par le
cerveau, sont envoyés à l’intérieur des oreilles du patient. Le cerveau répond
à ces questions, et ces réponses sont enregistrées sur
l’électroencéphalographe et analysées par ordinateur, permettant à Smirnov
d’accomplir une psycho-analyse très rapide. Après quoi des « bruits »
contenant des messages guérisseurs sont à nouveau envoyés dans le
cerveau du patient, qui obéira à ces messages. Smirnov se défend d’utiliser
cette technologie à des fins autres que médicales, ou contraires à l’éthique…
Un article de Moscow News publié en octobre 1994 mentionnait la lettre
d’invitation d’une usine en Arménie qui produit pour le ministère de la
défense : « Au cours des vingt dernières années notre entreprise s'est
spécialisée dans la production des appareils psychoélectroniques pour les
systèmes de défense, la conception d'équipement de navigation pour
l'appareillage des missiles intercontinentaux et cosmiques [...] ». Cette lettre
invitait le journaliste à prendre connaissance des « renforceurs biophysiques
(metatron) Miranda consacrés à l'utilisation des découvertes fondamentales
les plus récentes dans le domaine de la psychoélectronique. »
50 Au cours de la
visite, le personnel de gestion de l'usine expliqua aux journalistes que Miranda
est l'un des produits clefs de l’armement psychoélectroniques. Le directeur
adjoint du Centre de Recherche Médicale de l'usine, Vladimir Niestierov, leur
déclara que Miranda est produit sur une licence américaine sur la base d’un
accord signé entre le KGB et la CIA le 24 septembre 1990, et qu'il pourvoit la
recherche associée dans le domaine de la psychoélectronique. Le dispositif
49 "The Art to Control the Crowd", Pravda, 6 mars 1994,
50 "Shall we Succeed to Change the Lie Detector into the Detector of Truth?" ; "The Experts from the
Defense Factory State that they Produced Psychotronic Weapons”, Moskovskie Novosti, 20-27 mars
1994.
32
Miranda émet sur le patient des impulsions électromagnétiques sonores et, au
cas où son corps ne résonne pas avec elles, procède au diagnostic de ses
éléments. Quand le journaliste de Moscou News a demandé une
démonstration de la machine, on lui a dit qu’une part importante de la machine
n’est pas fournie par l’Arménie…
33
9. La Révolution dans les Affaires Militaires (RMA) américaine et les
psychotechnologies : la clef pour mener les « conflits de faible
intensité » ?
La plupart des stratèges américains s’entendent, depuis le début des années
1990, sur le fait qu’une « révolution dans les affaires militaires » (RMA) est en
cours. Par cette appellation est désignée une transformation historique dans la
façon concevoir et de mener de la guerre, induite par des transformations
technologiques, économiques, doctrinales et/ou politiques plus générales.51
Même si aucun accord n’existe chez les stratèges sur la portée plus ou moins
importante - voire considérable - de la RMA en cours, et de sa définition
exacte, voici un exemple d’aperçu général du phénomène : « l’origine de
l’actuelle révolution dans les affaires militaires (RMA) peut être remontée
jusqu’à la seconde guerre mondiale, mais les avancées dans les capacités
militaires sur lesquelles elle repose ont commencé à s’accélérer pendant la
dernière décennie, et sont susceptibles de se poursuivre jusqu’à 2025.
Comme dans le cas de plusieurs transformations antérieures de la guerre,
cette révolution militaire encore émergente est étroitement liée à des
transformations sociétales plus larges, dans ce cas précis les révolutions
jumelles dans les technologies de l’information et des biotechnologies. Les
capacités militaires seront transformées sous l’effet des avancées dans dix
domaines principaux : conscience et connectivité, portée et endurance,
précision et miniaturisation, vitesse et furtivité, rapidité et précision,
automation et simulation »
52, dont les retombées concernent aussi bien les
champs de bataille terrestre, naval, aérien, informationnel et spatial. Il ne s’agit
donc pas ici de faire un état des lieux général des caractéristiques de la
révolution dans les affaires militaires, mais d’analyser l’une de ses
composantes que sont les systèmes d’armes psychoélectroniques, et leur
impact en particulier dans un domaine de la guerre, les « conflits de faible
intensité ».
Au carrefour entre la révolution dans les technologies de l’information, les
neurosciences et les biotechnologies, l’armement psychoélectronique est
incontestablement l’un parmi un ensemble d’éléments qui fondent l’actuelle
« révolution dans les affaires militaires ». Dès 1980, le colonel John B.
Alexander avait écrit sur les technologies de contrôle mental : « quiquonque
fait la première percée majeure dans ce domaine aura une avance quantique
51
« la dimension historique témoigne d’au moins une douzaines de cas de changements
révolutionnaires dans la conduite de la guerre. […] La période moderne en général et les deux siècles
passés en particulier ont témoigné de la plus grande rapidité de changement. Depuis le début du
18ème siècle, la conduite de la guerre a été radicalement transformée à huit reprises » (« Revolutions in
Military Affairs », Centre for Strategic and Budgetary Assesments, Etats-Unis): la révolution
napoléonienne avec l’avènement de la guerre de masse (fin du 18ème siècle) ; les transformations
militaires induits par l’essor combiné des chemins de fer, de la carabine et du télégraphe au (courant
19ème siècle), l’apparition du cuirassé et du sous-marin (début 20ème), l’avènement de la supériorité
aérienne et la guerre blindée (consacrées par la Blitzkrieg allemande en 1940), la puissance navaleaérienne (seconde guerre mondiale), et la révolution induite par l’avènement de l’arme nucléaire.
52 “The Emerging RMA”, Centre for Strategic and Budgetary Assesments, Etats-Unis, 1999.
34
sur son adversaire, un avantage similaire à la possession exclusive des armes
nucléaires ». Trois ans plus tard, Samuel Koslov, qui avait été un des
personnalités directrices du projet Pandora de la Navy Américaine, concluait
au terme d’une conférence sur « l’Electrodynamique Nonlinéaire dans les
Systèmes Biologiques » que les champs électromagnétiques allaient
« devenir une clef de la console du contrôle cellulaire. Les implications,
sociales, économiques, et même militaires sont considérables. ». Il comparait
la signification de ces découvertes à celle de la fission nucléaire en 1939 et
proposait d’envoyer une lettre au président sur le même modèle que qu’avait
envoyé Albert Einstein au président Roosevelt…
La signification stratégique des psychotechnologies est le mieux documentée
par l’ouvrage intitulé « La révolution dans les affaires militaires militaire et les
conflits à court de guerre [conflict short of war] »53, écrit en 1994 par Steven
Metz – influent stratège américain – et James Kievit du Strategic Studies
Institute. Les auteurs développaient l’analyse selon laquelle La RMA a été
largement étudiée dans ses implications sur les conflits de moyenne ou haute
intensité54 (appliquées pour la première fois pendant la guerre du Golfe), mais
ses implications dans la guerre de faible intensité (ou « conflit à court de
guerre » - conflict short of war) n’ont pas encore été précisément définies.
Selon les auteurs, « le succès ultime dans l'application de la RMA au
conflit à court de guerre dépend du développement des psychotechnologies ». Cette « révolution » dans la guerre de faible intensité est
selon eux potentiellement aussi profonde que la RMA dans la guerre de
moyenne et haute, mais sera plus difficile à accomplir : « les valeurs et
attitudes américaines forment des contraintes significatives pour la
pleine utilisation des technologies émergentes, au moins dans tout ce
qui manquerait d’être perçu comme une guerre pour la survie nationale.
Dépasser ces contraintes pour accomplir une RMA dans le conflit à
court de guerre nécessiterait des changements fondamentaux aux EtatsUnis – une révolution éthique et politique peut être nécessaire pour
accomplir une révolution militaire. »
Sont désignés par « conflits à court de guerre » les conflits d’intérêt militaire
ou stratégique dans lesquels la force militaire conventionnelle ne peut être
utilisée ou n’apporte pas un avantage décisif. Metz et Kievit y incluent
notamment « les opérations d’évacuation des non-combattants (NEO), le
53 “The Revolution in Military Affairs and Conflict Short of War”, Steven Metz, James Kievitz, Strategic
Studies Institute, US Army War College, 1994.
54 Selon ces auteurs, « La RMA émergente dans la guerre de moyenne ou de haute-intensité
est centrée sur la fusion des systèmes sophistiqués de capteurs à distance avec des
systèmes d’armes extrêmement létaux de frappe de précision de longue portée, et le
Commandement, Contrôle, Communications (C3) assisté par automation. Entraînés avec
des simulations électroniques, des dispositifs de réalité virtuelle, et des exercices de terrain,
on s’attend à ce que cette fusion permette à des forces militaires plus réduites d’atteindre
des résultats rapides et décisifs à travers des opérations synchronisées et quasisimultanées dans la largeur et la profondeur du théâtre de guerre. Le résultat final pourrait
consister en des formes radicalement nouvelles de guerre conventionnelles. Avec peu
d’exceptions, cependant, l’impact de la RMA dans le conflit à court de guerre est beaucoup
moins clair. »
35
contre-terrorisme, le contre-narcotrafic, le maintien de la paix, et la contreinsurrection ». Selon eux, « Pendant la Guerre Froide, la forme du conflit à
court de guerre – plus tard appelé « conflit de faible intensité » - la plus
significative du point de vue stratégique, était l’insurrection révolutionnaire
dans le Tiers-Monde. Le conflit de faible intensité à l’extérieur du Tiers Monde
ne nécessitait pas la force militaire américaine – les Britanniques, Italiens,
Allemands, ou Espagnols pouvaient s’occuper de leurs propres problèmes –
mais l’insurrection révolutionnaire visant nos alliées du Tiers-monde l’exigeait
souvent. ». La RMA à appliquer dans la guerre de « faible intensité » entre
dans un contexte d’après guerre froide qui n’est pas marqué, loin s’en faut, par
l’avènement d’une ère d’accalmie et de prospérité, mais plutôt par un chaos
assez général et une redéfinition des formes de la « menace ».55
55 D’après les auteurs : « Pendant la Guerre Froide, le conflit à court de guerre concernait en
premier lieu les Etats-nations. Dans l’ère de la post-guerre froide, beaucoup sinon la plupart
des Etats du Tiers-monde s’émietterons en unités plus petites. L’ingouvernabilité et
l’instabilité seront la norme. Même ceux qui restent formellement intacts vont voir le pouvoir
politique et militaire se disperser entre des seigneurs de guerre, des milices primaires, et
des organisations politico-criminelles bien organisées. La plupart de celles-ci se
caractériseront par leur cruauté, certaines d’entre elles par une sophistication dangereuse à
l’heure où les terroristes et les narcotrafiquants maîtrisent les technologies modernes. Les
communications rapides et globales permettront aussi aux insurgés, terroristes, et
narcotrafiquants d’apprendre et de s’adapter rapidement et même de former des alliances et
des coalitions. Alors que la guerre ou la quasi-guerre pourrait ne pas être moins répandue
que dans les décennies passées, une violence générale, de faible intensité, deviendra
envahissante. »
36
Pour eux, appliquer les nouvelles technologies dans le cadre des « stratégie,
doctrine, organisation, objectifs, concepts, attitudes et normes
existants » procurerait un avantage notoire, mais opérer une
« révolution complète » consistant à recentrer tout cela autour de la
mise à profit des nouvelles technologies est aussi possible. Se
demandant quelles transformations présupposent la réalisation de la
RMA dans la guerre de faible intensité, ils répondent : « deux choses
pourraient inspirer les efforts pour développer et appliquer les
technologies de pointe. L’une est l’émergence d’une coterie active et
puissante de visionnaires à l’intérieur de la communauté de la sécurité
nationale, comprenant à la fois les supérieurs militaires et les
dirigeants civils. L’autre est une défaite ou une catastrophe »
56. Pour
évaluer les prouesses et les dangers d’une telle « révolution », ils
développent un scénario possible futur. Notons que celui-ci n’a pas un
but de politique-fiction plus ou moins lointaine, mais d’évaluer grâce à
la prospective les conséquences de développements qui sont
sérieusement envisagés par l’armée américaine.
56
« Par ironie, l’issue victorieuse de la Guerre Froide, bien qu’elle ait dramatiquement
augmenté le besoin d’innovation, en complique le processus. Dans tout effort humain, le
succès tend à étouffer l’innovation. L’attitude naturelle est « tant que ça ne casse pas, on ne
touche pas ». Le fait que les Etats-Unis n’aient pas été confronté à une catastrophe militaire
ou de sécurité national récent, a entravé le développement et l’application des nouvelles
technologies au conflit à court de guerre. Pour beaucoup d’américains, l’absence de
catastrophe montre que notre stratégie de sécurité nationale « ne casse pas ». On ignore si
les conditions que les auteurs attendaient de leurs vœux sont aujourd’hui remplies, après
que les Etats-Unis ont effectivement subi une telle catastrophe (les attentats du 11
septembre 2001) et qu’ils peinent à s’en sortir en Irak.
37
Voici le scénario envisagé. Après un ensemble de défaites sur le terrain du
contre-terrorisme, de la contre-insurrection et des opérations de
« maintien de la paix », une partie de l’élite militaire et de sécurité
nationale se rallie à la perspective d’une RMA dans le conflit de faible
intensité et arrive à en convaincre le président. Une vaste
réorganisation de la structure militaire s’engage alors, suivie de la
révolution dans les mœurs : « A travers des efforts prolongés et une
« élévation de la conscience » intérieure extrêmement sophistiquée,
les notions d’autrefois de vie privée personnelle et de souveraineté
nationale ont changé […] Une fois les valeurs transformées, les
technologies ont ouvert la porte à de profondes innovations. De vastes
progrès dans les systèmes de surveillance et le traitement de
l’information ont rendu possible de surveiller un grand nombre
d’ennemis (et d’ennemis potentiels). A l’époque de la pré-RMA, les
opérations psychologiques et la guerre psychologique étaient
primitives. A mesure qu’elles progressaient dans l’aire de l’électronique
et de la bioélectronique, il a été nécessaire de repenser nos
prohibitions éthiques sur la manipulation des esprits de nos ennemis
(et ennemis potentiels) aussi bien au niveau international qu’à
l’intérieur. […] A chaque fois que cela était possible, la rentabilité a été
utilisée pour encourager des entreprises privées et quasi-privées à
développer des technologies appropriées. […] Aucune distinction –
légale ou autre – n’était opérée entre les menaces intérieures et
extérieures. Dans le monde interdépendant du 21ème siècle, une telle
différentiation était dangereusement nostalgique. […] La stratégie
concrète construite sur la RMA était divisée en trois pistes. La
première cherchait à perpétuer la révolution. Sa dimension interne
institutionnalisait les changements organisationnels et
comportementaux qui ont rendu la révolution possible […] La seconde
piste consistait en l’action offensive. Notre préférence allait à la
dissuasion. Dans un monde dangereux, il est préférable de tuer (sic)
les terroristes avant qu’ils puissent endommager l’écologie ou frapper
les Etats-Unis. Tandis que les américains avaient longtemps soutenu
cette théorie, la RMA nous permettait de l’accomplir dans les faits avec
un risque minimum […] Comme la RMA rendait la dissuasion rapide,
secrète, en général victorieuse, et politiquement acceptable, les EtatsUnis ont graduellement abandonné les efforts collectifs. Presque tous
les alliés, avec leurs armées surannées de la pré-RMA, se sont
révélées plus encombrantes que d’une quelconque aide. »
38
Le scénario envisage l’application de cette « révolution » contre une
insurrection à Cuba quelques années après la chute de Fidel
Castro vers l’an 2000 : « Les soutiens potentiels de l’insurrection dans
le monde entier étaient identifiés en utilisant la Base de Données
Complète Intégrée et Interservices. Ils étaient catégorisés comme
« potentiels » ou « actifs », avec des simulations de personnalité
informatisées utilisées pour développer, façonner, et orienter des
campagnes psychologiques contre chacun d’entre eux. Les individus
et organisations avec des prédilections actives pour soutenir
l’insurrection étaient des cibles d’une ruse globale élaborée utilisant les
réseaux de communication informatiques et des appels par un
‘dirigeant insurgé’ informatiquement généré. Les véritables dirigeants
insurgés qui étaient identifiés étaient laissés en place afin qu’une
analyse informatique sophistiquée de leurs contacts puisse être
développée. Un conflit intrinsèque au sein de l’élite insurgée était
développé à l’aide de la psychotechnologie. Les opérations
psychologiques incluaient la propagande traditionnelle aussi bien que
des avancées plus agressives tel que le conditionnement subliminal
assisté par drogue. […] A l’intérieur de Cuba même […] toutes les
réserves de nourriture contenaient un sédatif extrêmement durable.
Cela a calmé les passions locales et a conduit à un déclin immédiat de
l’activité anti-régime. Là où il n’y avait aucun effort direct de secours
américain, les sédatifs étaient dispersés en utilisant des missiles de
croisières. Dans les régions supposées avoir de plus larges zones
d’activité insurgée, le dosage était augmenté. […] tous les américains
de Cuba avaient été bioélectriquement marqués et surveillés pendant
les étapes initiales du conflit […] Les campagnes de modelage du
comportement dirigées sur le public américain, le public mondial, et le
peuple cubain ont assez bien marché. […] Des messages subliminaux
subrepticement intégrés dans les transmissions télévisées cubaines
ont aussi été d’une grande aide. […] Les forces de frappes
américaines attaquaient également des cibles neutres pour soutenir la
campagne psychologique tandis que les leaders insurgés
informatiquement générés revendiquaient les attaques. […] Finalement
tout a fonctionné : les insurgés ont été discrédités et leur guerre a
sombré dans un conflit larvé peu susceptible de menacer les EtatsUnis. »
Les contrecoups d’une telle « révolution » étaient ensuite analysés : « Avec
une décennie pour s’adapter, beaucoup d’opposants des Etats-Unis, acteurs
étatiques et non-étatiques, détournent eux-mêmes la technologie à leurs
fins. […]. Nombre des drogues et psycho-technologies difficilement
détectables développées pour être utilisées dans le conflit à court de guerre
sont apparues sur le marché noir intérieur et, de plus en plus, sur les
établissements scolaires et lieux de travail américains. Plus important peutêtre, les Américains commencent à questionner les coûts économiques,
humains, et éthiques de notre nouvelle stratégie. Un mouvement politique
39
appelé le « Nouvel Humanitarisme » se développe, particulièrement parmi les
Américains de souche non-européenne, et semble à même de jouer un rôle
majeur dans l’élection présidentielle de 2012. Il y a même des grondements
de mécontentement dans le milieu de la sécurité nationale alors que la pleine
signification de la révolution devient claire. […] nombre de ceux qui sont
théoriquement dans les services militaires doivent commencer à se sentir
extérieurs aux notions traditionnelles des relations civilo-militaires. Ce groupe
a fondé un nouveau parti politique, le Mouvement de l’Aigle (Eagle Movement)
qui commence a exercer une forte pression sur les parties politiques
traditionnels pour son inclusion dans l’élaboration de la politique nationale.
Les partis traditionnels sont, pour le dire doucement, intimidés par le
Mouvement de l’Aigle, et semblent à même d’accepter ses demandes. Pour
finir, seuls les historiens et philosophes du futur peuvent évaluer de façon
ultime les conséquences de l’application de la RMA dans le conflit à court de
guerre. »
On s’attend à ce que ces terribles perspectives conduisent les auteurs à
rejeter l’idée d’une RMA dans les conflits de faible intensité… Mais non, ils en
viennent à conclure : « il y a un intérêt à appliquer les technologies
émergentes et des concepts innovants au conflit à court de guerre. […]
La plus grande question est de savoir si nous cherchons une vraie
révolution plutôt que de simples améliorations marginales. L’accomplir
demande des changements fondamentaux dans les attitudes et valeurs
aussi bien que dans l'organisation, la structure des forces, la doctrine, et
les techniques. Après un débat sérieux, la population et les dirigeants des
Etats-Unis pourraient décider que les coûts et risques de l'application de la
RMA au conflit à court de guerre ne valent pas les bénéfices attendus. »
En dehors de tout scénario prospectif cette fois, les auteurs citaient quelques
dimensions des psychotechnologies : « Dans le futur proche tous les
américains à risque pourraient être équipés d’un dispositif électronique
localisateur de position individuelle (IPLD). Le dispositif, dérivé du
bracelet électronique utilisé pour contrôler certains criminels
récidivistes ou en liberté conditionnelle, pourrait continuellement
informer une banque centrale de données des localisations
individuelles. Finalement un tel dispositif pourrait être implanté de façon
permanente sous la peau, avec une activation automatique à distance
soit sur le départ du territoire américain (quand on passe dans le
système sécuritaire de dépistage, par exemple), ou par transmission
d’un code d’alerte NEO aux régions de conflit. L’implantation aiderait à
empêcher le retrait du dispositif (même si, bien sûr, certains terroristes
pourraient être prêts à enlever une partie du corps de l’otage si ils
savent où le dispositif est implanté). Le IPLD pourrait aussi agir comme
forme d’IFFN (identification ami, ennemi, ou neutre) si le personnel
militaire américain était équipé des dispositifs appropriés de
sommation/réponse. Enfin, un tel dispositif pourrait servir finalement […]
comme une chaîne de communication à double voix permettant à
l’annonce NEO d’être réalisée secrètement. » Plus loin, les auteurs
40
interrogent : « est-ce que les américains à l’étranger seront obligés de
porter (ou pire d’avoir implanté) un tel dispositif ou est ce que son
utilisation sera volontaire ? Si ce port est obligé, est-ce qu’il s’appliquera
également à ceux qui sont employé à l’étranger et aux touristes ? Est-ce
que les américains accepterons le fait que le gouvernement pourrait, par
l’accès à la base de donnée des localisateurs NEO, connaître chaque
mouvement qu’ils font ? ». Sur les armes à énergie dirigée, sans doute compte
tenu du secret défense, ils se font moins loquaces et plus allusifs : « Les
valeurs américaines rendent aussi l’utilisation des armes à énergie dirigée
contre l’aviation (sic) suspectée de narcotrafic technologiquement réalisable
mais moralement difficile, peut-être inacceptable. L’avantage des armes à
énergie dirigée sur les conventionnelles est la déniabilité. […] la
déniabilité doit être dirigée sur le peuple américain, qui ne sanctionne pas
l’emprisonnement, encore moins l’exécution, d’individus sans procès. […] ». Ils
mentionnent aussi la perspective de « l’utilisation militaire de la télévision
contre des adversaires étrangers soulève le spectre d’applications intérieures.
[Cette] possibilité pourrait provoquer un scepticisme publique plus grand à
l’égard de l’image de la télévision, réduisant l’impact de l’un des outils de
communication les plus puissants des politiciens américains. » Dans
l’ensemble, ils considèrent que « la puissante amélioration du
rassemblement et de la fusion du renseignement est une composante de
première importance de la RMA, et les capacités de guerre de
l’information proposées pourraient convenir de façon idéale pour aider à
développer les émotions, attitudes, et comportements souhaités. »
Les auteurs théorisent ainsi la portée du phénomène d’ensemble de la RMA
en cours : « Par le passé, les RMAs prenaient des années, souvent des
décennies pour se développer. Aujourd'hui, deux RMAs peuvent être en
cours simultanément. La première (et la plus mûre) est électronique. Ses
manifestations ont amélioré le C4I et les systèmes de précision de
frappe. La seconde (et potentiellement plus profonde) RMA est
biotechnologique, comprenant l'ingénierie génétique et les drogues de
modification du comportement. A cause de la compression de temps et
du raccourcissement des modèles historiques, la révolution
biotechnologique est totalement imbriquée avec l'électronique. Il se
pourrait de façon ultime que ce soit la combinaison des deux qui se
révèle véritablement révolutionnaire. » Ils concluaient ainsi leur ouvrage :
« Les changements qui ont mené à la AirLand Battle, à la victoire dans la
guerre du Golfe, et à l'actuelle RMA ont été suprêmement créatifs. Cependant,
ils n'étaient que des premiers pas. Accomplir une révolution dans le conflit
à court de guerre sera plus difficile. Mais accepter que les technologies
se développent sans créativité concomitante serait, au final, mettre en
péril la sécurité de la Nation. »
En 1995, dans un article intitulé « La Stratégie et la Révolution dans les
Affaires Militaires », le même Steven Metz réaffirmait : « Le monde est
potentiellement au seuil d’une révolution ‘majeure’ dans les affaires militaires
résultant de l’interaction de changements économiques, sociaux, et culturels
41
portés par la technologie des puces de silicone, la robotique, les psycho- et
bio-technologies. »
57 Selon lui l’usage des psychotechnologies offensives
participe de la solution aussi bien en terme de capacité à conduire la guerre
contre les « ennemis subnationaux ou non-militaires » que contre des
« adversaires symétriques » (peer competitors). S’agissant de ces derniers, il
écrivait « Du fait que l’issue d’une guerre contre un adversaire symétrique ne
serait probablement pas déterminée par les systèmes traditionnels tel que les
forces armées terrestres et les avions pilotés, les Etats-Unis devraient, pour
s’y préparer, passer à la seconde étape des technologies telles que la
robotique, la psychotechnologie, la domination de l’espace, et les capacités de
« feu de fourmi ». Et, comme la projection des forces conventionnelles contre
un concurrent symétrique serait dangereuse ou impossible, les Etats-Unis
devraient dans une confrontation contre un tel ennemi se concentrer sur la
projection d’effets plutôt que d’objets. […] la démarcation entre la
compétition et les hostilités, entre la paix et la guerre, pourrait être
extrêmement difficile à déterminer – particulièrement dans le domaine de
l’information. ». Pour être menée, la guerre contre un adversaire de
dimension égale nécessiterait ainsi une conduite discrète, voire imperceptible,
que permet assez bien le caractère de « déniabilité » des psychotechnologies.
Quant au combat contre les ennemis de l’intérieur et/ou civils, Metz affirmait :
« Une armée américaine configurée pour une utilisation contre des
ennemis subnationaux ou non-militaires serait composée d’unités
réduites et très flexibles (mais leur force d’ensemble ne serait pas
réduite). […] Les policiers et scientifiques high-tech, qu’il s’agisse des
spécialistes en informatique, d’écologistes ou quelque chose de similaire,
seraient les éléments les plus vitaux de la force de sécurité, avec les soldats
en adjonction. Une technologie de protection personnelle comprenant une
armure individuelle, ainsi qu’une technologie de contre-terreur, seraient
essentielles. La psychotechnologie pour manipuler les perceptions, les
croyances et les attitudes serait également centrale. ». Metz estimait sur
ce type de guerre : « Bien plus que la guerre symétrique, ce qu’on avait
l’habitude d’appeler le conflit de basse intensité pourrait devenir la menace
dominante au 21ème siècle. »
Plus loin, il écrivait : « La RMA pourrait aussi avoir des effets de second ordre,
non intentionnels et non souhaités, sur la société américaine. L’un des
objectifs premiers de la RMA est la quasi-omniscience pour les
commandants militaires. Les technologies de senseurs et de traitement
57Steven Metz, « Strategy and the Revolution in Military Affairs », Strategic Studies Institute, US Army
War College, 27 juin 1995. Metz distinguait deux types de RMA, « majeure » et « mineure » : « les
révolutions ‘mineures’ dans les affaires militaires tendent à être initiées par des changements sociaux
ou technologiques individuels, s’opèrent dans des périodes relativement courtes (moins d’une
décennie), et leur impact direct le plus fort est sur le champ de bataille. Les révolutions ‘majeures’
dans les affaires militaires sont le produit de multiples changements combinés au niveau
technologique, économique, social, culturel et/ou militaire, ont lieu généralement sur de longues
périodes (plus d’une décennie), et ont un impact direct sur la stratégie. » Il écrivait aussi qu’« une
révolution ‘mineure’ dans les affaires militaires, portée par les applications militaires de la technologie
des puces de silicone, est en cours, et la prochaine révolution ‘mineure’ sera portée par la robotique et
les psychotechnologies. »
42
de l’information pourraient leur donner un accès complet et instantané
aux informations aussi bien sur leurs propres soldats que sur ceux de
l’ennemi. Les commandants ne connaîtront pas seulement
l’emplacement de leurs forces et de celles de l’ennemi, mais aussi leur
condition physique et mentale. Et les psychotechnologies permettront
aux commandants de manipuler les perceptions et croyances de leurs
propres soldats, des ennemis, et des non-combattants. De telles
capacités pourraient être utilisées aussi bien pour les problèmes
intérieurs que pour les internationaux, défiant de ce fait les croyances
américaines fondamentales sur la vie privée personnelle et l’intrusion de
l’Etat dans la vie des individus. Est-ce que la nation est disposée à accepter
le risque d’une boîte de pandore RMA ? Dans le cas contraire, comment peutelle éviter un débordement de la RMA sur la société intérieure ? »
Visiblement, Steven Metz en avait trop dit. Cinq ans plus tard, dans un écrit
didactique, qui s’apparente à une opération de communication au grand
public, Steven Metz mentionne plusieurs fois les psychotechnologies en
accompagnant partout ce terme de guillemets, futurs, conditionnels, et mises
en garde au nom de l’éthique. Il en dit notamment : « Il se pourrait que les
futurs commandants militaires aient une technologie permettant d’altérer les
croyances, perceptions, et sentiments de l’ennemi. Cela pourrait aller de
choses comme le ‘morphing’ d’un leader ennemi pour créer un programme de
télévision dans lequel il se rend, à des idées beaucoup plus effrayantes
comme des implants pour modifier la perception, des produits chimiques, ou
des rayons de quelque sorte. De telles technologies seraient particulièrement
menaçantes d’un point de vue éthique. Aujourd’hui, une psychotechnologie
effective et contrôlable relève de la science fiction. Tout développement dans
ce domaine exige un examen minutieux. Excepté un certain changement
fondamental dans l’environnement de sécurité global, elles devraient être
évitées. »
58 Dans d’autres écrits, Steven Metz ne s’embarrasse pourtant pas
de ces couches d’atermoiements et d’éthique. Il déclarait par exemple dans
une publication de 2004 intitulée « Insurrection et Contre-Insurrection au 21ème
siècle : reconceptualiser la menace et les réponses » (cosignée avec
Raymond Millen) : « Spécifiquement, l’armée américaine et d’autres
agences gouvernementales devraient développer une approche conçue
pour fracturer, désunir, démoraliser, et priver de ressources les insurgés.
Faire fonctionner cela nécessite une organisation d’évaluation
stratégique indépendante composée de responsables gouvernementaux
expérimentés, d’officiers militaires, de policiers, d’officiers de
renseignement, de stratèges, et de spécialistes régionaux pour évaluer
une opération de contre-insurrection et permettre aux principaux
dirigeants d’accomplir des adaptations. »
59 La stratégie ne semble donc
58 Steven Metz, “Information in the 21st century : the information revolution and post modern warfare”,
Strategic Studies Institute, avril 2000.
59 Steven Metz, Raymond Millen, “Insurgency and Counterinsurgency in the 21st Century :
Reconceptualizing Threat and Response”, Strategic Studies Institute, US Army War College,
novembre 2004. Voir aussi Steven Metz, “The Future of Insurgency”, Strategic Sudies Institute, 10
décembre 1993. Il expliquait dans cette dernière publication : « Il y aura de nombreuses formes de
43
pas fondamentalement différer dans son fond de celle mise en œuvre au
Vietnam ou par la France en Algérie, si ce n’est les puissants outils que lui
offrent les progrès technologiques. Soit les stratèges américains sont
effectivement terrassés par les « idées effrayantes » que représentent de
telles technologies (comprenant des « produits chimiques » et des « rayons
de quelque sorte ») et se refusent à les employer parce qu’elles sont
menaçantes « du point de vue éthique », et relèvent d’ailleurs aujourd’hui de la
« science-fiction ». Soit le discours de Steven Metz s’inscrit ici dans la lignée
de la politique de sécurité nationale qui consiste à couvrir, depuis plusieurs
décennies, les développements dans ce domaine sensible, pour garantir la
surprise ou l’imperceptibilité de leur utilisation présente et/ou future.
Les perspective décrites par Steven Metz et Kievitz pour l’Institut des Etudes
Stratégiques américain permettent de saisir l’importance stratégique que va
revêtir – et revêt déjà – l’armement psychoélectronique dans la stratégie
globale. Il ne s’agirait que de rêves lointains domination, si ces technologies
n’étaient pas déjà en grande partie opérationnelles et ne connaissaient pas un
développement fulgurant.
Le document de source ouverte qui développait peut-être le plus radicalement
l’analyse des capacités de l’armement psychoélectronique est sans doute à ce
jour l’article du Lieutenant-Colonel américain Timothy L. Thomas intitulé
« L’esprit n’a pas de logiciel anti-intrusion »
60 (1998). Compte tenu des
informations importantes qu’il contient à ce sujet il mérite ici d’être largement
cité. Nous devons prendre en compte que ce document travaille à partir des
sources libres et que les potentiels d’armes mentionnés, aussi puissants
soient-ils, ne représentent qu’une partie des capacités déjà existantes des
armes psychoélectroniques.
Au fondement de l’approche de ce domaine de la guerre, réside la redéfinition
du corps humain en tant que système d’information dont les données, comme
celles de tout autre système, peuvent être manipulées :
« Le corps humain, un peu comme un ordinateur, contient une
myriade de processeurs de données. Parmi lesquels, mais la liste
n’est pas exhaustive, l’activité chimique-électrique du cerveau, du
cœur et du système nerveux périphérique, les signaux envoyés de
la région du cortex dans le cerveau vers les autres parties du
corps, les minuscules cils sensitifs reliés à des cellules réceptrices
dans l’oreille interne qui traitent les signaux auditifs, ainsi que la
violence prolongée de faible intensité alors que le système de sécurité globale de la post-guerre froide
se coalise. Parmi celles-ci, l’insurrection – l’utilisation de la violence prolongée de faible intensité pour
renverser un système politique ou obliger quelque changement fondamental dans le statu quo
économique et politique – persistera certainement. Après tout, il s’agit de l’un des types de conflits les
plus envahissants dans l’histoire, et il est aujourd’hui épidémique. Pour beaucoup de pays du monde,
une guerre interne en ébullition est une condition permanente. Aussi longtemps qu’il y aura des
populations frustrées au point d’utiliser la violence, mais trop faibles pour défier un régime par des
moyens militaires conventionnels, l’insurrection persistera. »