Bernard Bernier est directeur du département d'anthropologie et chercheur affilié au Centre d’études de l’Asie de l’Est de l’Université de Montréal. Il fait des recherches sur le Japon depuis plus de 40 ans. Il analyse pour ALJ le comportement des Japonais suite au 11 mars.
« Au Japon, l'expression des sentiments profonds se limite au milieu familial, lieu de l'intimité, du véritable soi (honne), opposé à l'extérieur, à la façade (tatemae) que l'on présente au monde, là où les émotions profondes ne sont pas de mise. […]
Mais cette façade de sobriété pourrait disparaître si les autorités ne règlent pas rapidement le problème de la centrale nucléaire Fukushima Daiichi ou celui de l'hébergement des centaines de milliers de personnes qui ont perdu leur logis. »
C‘est ainsi que Bernard Bernier a ressenti le comportement des Nippons suite à la triple catastrophe du 11 mars 2011. Il a accepté de répondre à nos questions.
Pensez-vous que si tous ces événements s'étaient produit dans un autre pays, les réactions auraient été différentes? Si oui, en quoi?
Cela dépend du pays. Mais dans la plupart des pays, la réaction aurait été plus à fleur de peau. Les émotions auraient été manifestées plus clairement.
Pensez-vous que leur réaction vienne du choc ou d'un ancrage culturel profond?
Je ne sais pas exactement ce que vous entendez par “ancrage culturel profond”. Mais la réaction ne m’a pas surpris. Les Japonais apprennent très tôt à ne pas manifester de façon ostentatoire leurs émotions en public. Il s’agit d’une réaction apprise, donc culturelle. Mais, en milieu rural, ce mode de réaction n’est pas ancien. Il date des années d’après-guerre et surtout des années 1970.
Selon vous, leur "calme" peut-il être ébranlé? Ont-ils une "limite"?
Oui, si on leur ment ou si on leur cache quelque chose. Mais la patience des Japonais peut durer longtemps.
Comment pensez-vous que les Japonais vont se remettre de ces événements? Et par quels moyens?
Il faut distinguer entre les Japonais qui ont été directement touchés (décès, perte de la maison, etc.), et les autres. Le problème se posera pour ceux qui ont été directement touchés. Dans ce cas, comme dans n’importe quel situation de deuil, les personnes passeront par diverses étapes inévitables. Mais les réactions seront variables. Certaines personnes, plus optimistes, s’en remettront plus vite. Mais pour d’autres, les séquelles dureront plus longtemps. Il y aura sans aucun doute des cas de suicide. Mais en général, les Japonais apprennent qu’il y a des événements inévitables. Ils apprennent aussi à avoir confiance en l’avenir, bien que ce sentiment de confiance ait été ébranlé par les difficultés économiques qui durent depuis 1990.
Source