Lors du dernier G8 du 08 au 10 juillet 2009 à L’Aquila (Italie), le Président russe Medvedev a fait sensation en présentant, pour souligner le fait que le sujet était d’actualité, une monnaie mondiale fictive.Cette monnaie, dont un échantillon a été remis à chaque représentant d’un pays participant au G8, s’inscrit dans le cadre d’un projet élaboré par une Fondation italienne, créée par le Dr Sandro Sassoli en 1996, qui fait du lobbying en ce sens. Cette fondation prétend vouloir développer, à travers la création d’une monnaie mondiale ayant pour devise « Unity in diversity » (« L’unité dans la diversité » ), un esprit de fraternité et de paix, tout en préservant les particularismes et les droits nationaux. A chacun de se faire son idée, à la lecture de la charte de cette organisation et de ses autres publications.
Quoi qu’il en soit, on pourrait être tenté de penser que le Président Medvedev et, à travers lui, les autres participants au G8, ont voulu promouvoir une fois de plus ce « Nouvel Ordre Mondial »dont Nicolas Sarkozy et, avant lui, plusieurs membres de la classe politique et de l’intelligentsia mondialistes, font leur idéal.
« Nouvel Ordre Mondial » qui se traduirait, dans l’esprit de ses promoteurs, par un gouvernement mondial supranational, facteur de paix et de prospérité, et serait en fait, aux yeux de ses détracteurs, une dictature technocratique bénéficiant à ce que Jacques Attali a appelé « l’hyperclasse » , constituée de quelques dizaines de millions de personnes détenant et/ou contrôlant toutes les richesses de la planète, au détriment du reste de la population, réduite pour l’essentiel à l’état de sous-consommateur métissé, sans identité et sans autre liberté que la soumission à un matérialisme tout-puissant.
En réalité, la nécessité d’une valeur ou d’une monnaie internationale n’est pas nouvelle.
Depuis la fin de l’étalon-or, le dollar américain, aujourd’hui monstrueusement surévalué, fait office d’unité de compte et d’échange au plan mondial : le pétrole, les armes et même le droit de polluer s’achètent en dollars.
Toute monnaie est une créance, une reconnaissance de dette : si je vous donne un bout de papier marqué « 100 dollars », je reconnais vous devoir cent dollars (dont vous m’avez remis, quant à vous, la contrevaleur en richesses plus ou moins réelles) mais moi, je ne vous donne pas ces cent dollars, mais juste un bout de papier sans valeur propre. Votre confiance en le fait que vous pourrez obtenir, quand vous le voudrez, la contrevaleur de ce billet en richesses plus ou moins réelles, permet seule ce type d’échange.
Or, les USA sont aujourd’hui le pays le plus endetté du monde et le volume de dollars en circulation est totalement disproportionné par rapport à la valeur réelle de l’économie américaine.
Autant dire que les USA financent leur déficit aux frais du monde entier, en faisant cautionner la valeur de leur consommation insolvable et de leur production en chute libre, par une valeur artificielle de leur monnaie, détenue en grandes quantités par l’étranger.
A l’heure actuelle, un dollar officiel vaut peut-être, en réalité, seulement dix fois moins. Pourtant, le cours du dollar se maintient pour le moment. Pourquoi ?
Parce que les gros détenteurs de dollars, à commencer par la Chine, n’ont pas envie de perdre leur mise et les marchés décrochés dans cette monnaie. La Chine exporte énormément vers les États-Unis, et même si les américains n’ont pas d’argent, le crédit leur permet d’acheter chinois, depuis vingt ans au moins. Si la Chine vendait ses bons du Trésor US, elle en ferait chuter la valeur et y perdrait considérablement.
Reste que la situation d’un dollar totalement surévalué et restant la monnaie des échanges internationaux, est lourde de menaces et ne peut durer encore longtemps. Le jour où le dollar se heurtera à la réalité, ce qui, de la part du reste du monde, sera sanctionné par une perte de confiance en cette monnaie, tout le monde en souffrira plus ou moins, car tout le monde détient plus ou moins de dollars.
Fin 2008, 64 % des réserves en devises des Banques Centrales étaient libellées en dollars, selon le journal anglais Telegraph. Or, nous entrons (oui, nous ne faisons qu’entrer et nous n’avons vraiment encore rien vu) dans LA crise économique mondiale du siècle.
Les évolutions brutes donnent une toute autre impression que celle donnée par les bavardages des journaux télévisés. L’effondrement de la production est plus important qu’en 1993 aux USA, et plus important qu’en 2001, crises qui furent pourtant longues, profondes, laissant de profondes cicatrices.
Quant à certaines courbes, ou plutôt descentes en chute libre, elles montrent l’inanité des positions anti-protectionnistes du G8 et de son apologie du libre-échange : nous sommes tout simplement sortis de cette période.
La machine économique s’arrête et se grippe comme en 1787, comme en 1916. L’effondrement de cette machine n’est ni négociable, ni masquable, ni escamotable. Les vœux pieux de reprises n’y changeront absolument rien.
En conséquence, avant de céder à la panique au sujet du Nouvel Ordre Mondial, penchons-nous un peu sur les faits : il y a trois mois, le Laboratoire Européen d’Anticipation politique conseillait déjà aux participants du G20 de Londres de créer une nouvelle devise internationale de référence :
« La clé de la crise actuelle se trouve dans la réforme du système monétaire international hérité de l’après-1945 afin de créer une nouvelle devise internationale de référence. Le Dollar américain et l’économie des États-Unis ne sont plus en mesure d’être les piliers de l’ordre économique, financier et monétaire mondial. Tant que ce problème stratégique n’est pas abordé directement, puis traité, la crise s’approfondira car il est au coeur des crises des produits financiers dérivés, des banques, des prix de l’énergie, … et de leurs conséquences en terme de chômage massif et de baisses des niveaux de vie. Il est donc vital que cette question soit l’objet principal du Sommet du G20 de Londres et que les premiers éléments de solution y soient lancés. La solution à ce problème est d’ailleurs bien connue : il s’agit de créer une devise de référence internationale (qu’on pourrait appeler le « Global ») fondée sur un panier de monnaies correspondant aux principales économies de la planète, à savoir le Dollar US, l’Euro, le Yen, le Yuan, le Khaleel (monnaie commune des etats pétroliers du Golfe qui sera lancée au 1° Janvier 2010), le Rouble, le Real, … . et de faire gérer cette devise par un « Institut Monétaire Mondial », dont le Conseil d’ Administration reflète les poids respectifs des monnaies composant le « Global ». Vous devez demander au FMI et aux banques centrales concernées de préparer un tel plan pour Juin 2009 avec objectif de mise en oeuvre au 1° Janvier 2010. C’est votre seul moyen de reprendre l’initiative sur le temps de déroulement de la crise. Et c’est le seul moyen de concrétiser la mise en oeuvre d’une globalisation partagée, en en partageant la monnaie qui est au coeur de toute activité économique et financière. Selon LEAP/E2020, si une telle alternative au système actuel en plein effondrement n’a pas commencé à être préparée d’ici l’été 2009, démontrant qu’il existe une autre voie que le « chacun pour soi », le système monétaire international actuel ne passera pas l’été. Et si certains Etats du G20 pensent qu’il vaut mieux garder le plus longtemps les privilèges que leur procure le statu quo, ils devraient méditer sur le fait qu’aujourd’hui ils peuvent encore influencer de manière décisive la forme que prendra ce nouveau système monétaire mondial. Une fois la phase de dislocation géopolitique entamée, ils perdront au contraire toute aptitude à le faire. » (source)
Et cela fait longtemps que la Russie et les autres pays du BRIC (Brésil-Russie-Inde-Chine) envisagent la création d’une ou plusieurs unités de compte et d’échange internationales, généralement sous forme d’un « panier » de plusieurs monnaies :
« Le sommet du BRIC doit créer les conditions pour un ordre mondial plus juste’, a déclaré M. Medvedev à l’issue de ce sommet. [le 16 juin 2009] (…) Le BRIC réclame, depuis le début de la crise mondiale, une refonte du système financier international et notamment une réduction de la suprématie du dollar. (…) La Russie, qui milite notamment pour une diversification des outils financiers internationaux, a appelé ses partenaires à investir dans les obligations émises par chacun des pays du BRIC.‘Nous pourrions placer une partie de nos réserves non seulement dans des bons du Trésor américains et européens, mais aussi (…) dans des instruments financiers émis par nos partenaires’, a dit Arkadi Dvorkovitch, conseiller économique du président russe, peu avant le début du sommet. ‘Ce serait parfaitement logique, si nos partenaires étaient d’accord pour placer une partie de leurs réserves chez nous’, a-t-il ajouté, assurant cependant que ‘personne ne veut démolir le dollar’, ni provoquer ‘l’instabilité sur les marchés financiers’. (…) ‘Les monnaies de réserve actuelles, et la principale monnaie de réserve, le dollar américain, n’ont pas rempli leurs fonctions’, a déclaré M. Medvedev. » (source)
En ce sens, le fait qu’une monnaie « test » soit présentée au G8 de L’Aquila par Medvedev ne signifie pas que l’idée d’un Nouvel Ordre Mondial totalitaire (finançable par qui et par quoi, d’ailleurs, dans le contexte actuel ?) soit l’arrière-pensée des Russes.
Il s’agit plutôt d’une malicieuse provocation du BRIC, et particulièrement de son leader politique, la Russie. Une provocation, qui revient à dire : « le G8, le leadership américano-centré, c’est fini. D’ailleurs, tenez, voilà un possible nouveau dollar, le nôtre » !
Ce que confirme l’article suivant :
« (…) A Saint-Pétersbourg, au Forum économique international du 5 Juin, (…) M. Medvedev a demandé à la Chine, la Russie et l’Inde de ‘construire un ordre mondial de plus en plus multipolaire.’ Ce qui signifie en clair : nous avons atteint nos limites en ce qui concerne les subventions à l’encerclement militaire de l’Eurasie par les Etats-Unis, tout en les laissant s’approprier nos exportations, nos entreprises, les actifs et les biens immobiliers en échange d’une monnaie de papier de valeur douteuse.‘Le système unipolaire maintenu artificiellement’ dont a parlé M. Medvedev, est fondé sur ‘un seul grand centre de consommation, financé par un déficit croissant, et donc de plus en plus de dettes, une monnaie de réserve jadis forte et une domination dans le système de l’évaluation des actifs et des risques.’ A la racine de la crise financière mondiale, a t-il conclu, il y a le fait que les États-Unis produisent trop peu et dépensent trop. Leurs dépenses militaires sont particulièrement choquantes, comme par exemple le renforcement de l’aide militaire américaine à la Géorgie annoncé la semaine dernière, le bouclier de l’OTAN en Europe de l’Est, et la mainmise des États-Unis dans les régions riches en pétrole comme le Moyen-Orient et l’Asie centrale. (…)
Lorsque la Chine et d’autres pays recyclent leurs flux de dollar US en achetant des bons du Trésor pour « investir » aux États-Unis, cette accumulation n’est pas vraiment volontaire. Cela ne reflète pas une foi en l’économie américaine qui rémunèrerait l’épargne des banques centrales, ni une quelconque préférence d’investissement, mais tout simplement un manque d’alternatives. Les « marchés libres » à la mode des USA piègent les pays dans un système qui les obligent à accepter indéfiniment des dollars. Mais désormais, ils veulent en sortir. (…) Les étrangers voient le FMI, la Banque mondiale et l’Organisation Mondiale du Commerce comme les représentants de Washington dans un système financier soutenu par les bases militaires américaines et les porte-avions qui entourent la planète. Mais cette domination militaire est un vestige d’un empire américain qui n’est plus en mesure de régner par sa force économique. La puissance militaire américaine est basée davantage sur des armes atomiques et les frappes aériennes à longue distance que sur les opérations au sol, qu’il est devenu politiquement trop impopulaire de monter sur une grande échelle. Sur le front économique, on ne voit pas comment les États-Unis pourraient trouver les 4 000 milliards de dollars qu’ils doivent aux gouvernements étrangers, à leurs banques centrales et aux fonds souverains mis en place pour écluser la surabondance de dollars. (…) Des responsables américains voulaient assister à la réunion de Iekaterinbourg [en Russie (ex-Sverdlovsk) les 15 et 16 juin 2009] en tant qu’observateurs. On leur a répondu : non. C’est un mot que les américains vont entendre beaucoup plus souvent à l’avenir. » (source)
Quant à la symbolique de la pièce de monnaie-test, rien de nouveau sur le fond : « L’unité dans la diversité » (« In varietate concordia » ), devise qui figure sur la monnaie-test montrée par Madvedev à L’Aquila, est déjà la devise de l’UE.
Sur la forme, la Russie, à l’origine de ce clin d’œil, fait un appel du pied à ses voisins d’Europe de l’Ouest pour qu’ils la rejoignent et quittent l’orbite de l’Empire américain.
Ajoutons que « L’unité dans la diversité » appelle au respect des particularismes, alors que « Un à partir de plusieurs » (« E pluribus unum » , devise officieuse des USA, figurant sur le dollar) appelle à leur effacement.