Je suis désolé d'être toujours aussi chiant et de réfuter sans arrêt les documents...
Mais je vais encore devoir le faire. :/
Tout cloche dans ce document, et à vrai dire, tout est franchement plus que douteux.
La forme:
- d'abord, Rakovski a effectivement échappé à la mort et vu sa peine commuée, mais il a été exécuté par le NKVD en 1941, sur ordre de Staline, avec 150 autres prisonniers.
Mais ça reste plausible dans la mesure où Staline était complètement paranoïaque et changeait d'avis comme de chemise. Bon.
- La mission de Rakovski. C'est quand même hyper confus, là... Procès stalinien, donc à Moscou, mais interrogatoire à Paris, tranquilou? C'est absolument pas le protocole. Pourquoi Rakovski, présumé en France au moment de l'annonce de son procès, n'est-il pas arrêté et expédié directement en URSS? Ou simplement rappelé? Pourquoi chercherait-il à négocier pour un procès où il ne pose même pas les pieds? Si interrogatoire il y a eu, ça a forcément été dans les locaux des services secrets soviétiques, peu importe la branche. Donc forcément à Moscou, et pas à Paris.
- Ni René Duval (sous son nom ou son pseudonyme), ni le "Dr. Landovski" (qui n'a curieusement pas de prénom...) ne semble exister en dehors du contexte de cet "interrogatoire". Aucune trace historique avérée alors que les archives de l'époque sont déclassifiées depuis longtemps. Bon, là, admettons que les sources soient insuffisantes pour attester de leur existence...
- Landovski est retrouvé mort par un "engagé espagnol" au fin fond d'une cabane à Petrograd. Aucune date, aucun nom: carrément invérifiable, donc forcément louche. Le siège de Petrograd a duré de septembre 1941 à janvier 1943, le blocus est brisé un an plus tard. Les volontaires espagnols de la Legion Azul (nazis) n'arrivent qu'en aout 1942 à Leningrad, et en sont délogés en octobre 1943. Ils n'opèrent qu'à 20km de la ville proprement dite, au point le plus près, et sont étalés sur un front de 45 km.
Au moment où ils arrivent, après un an de durs combats entre sovietiques et nazis, autant dire qu'il n'y a plus grand chose debout, ni dans la ville, ni surtout dans les campagnes autour. Trouver un document sur un corps dans un bâtiment en plein front, c'est... autant dire que ça relève du miracle.
- le document est un manuscrit carbone (donc extrêmement fragile) d'assez bonne taille, vu l'ampleur de celui-ci. Il y a au bas mot une trentaine de feuillets carbone dactylographiés en très petit, cinquante si dactylographiés en taille standard des machines courantes à l'époque. Ca fait déjà une très belle épaisseur... Qu'il est sensé avoir dissimulé dans un interstice de son bureau. Comment aurait-il pu sortir un tel document sans se faire prendre alors qu'il était surveillé en permanence, pour aller se faire tuer tout seul dans une cabane, sans que les documents en sa possession ne soient repris ou détruits sur place (dans le cas d'une exécution; il a pu mourir de froid auquel cas cette partie de la question n'est plus valable)?
- Le document a été déchiffré pendant des années à cause de son très mauvais état. Soit. Mais où est l'original? Un tel document vaut son pesant d'or (je parle en termes historiques, pas pécuniaires)... pourquoi personne ne semble l'avoir jamais vu?
Le fond, maintenant:
On nous présente un récit nettement moins brouillon que sa présentation. Les lieux sont situés: la Lubianka de Moscou, bâtiment de la police politique soviétique, où l'on exécutait les condamnés à mort après tortures et interrogatoires. Autant dire qu'ils n'y allaient pas avec des pincettes pour obtenir les renseignements qu'ils souhaitaient obtenir.
Pas question de Paris, donc.
Le prisonnier est sensé avoir été "brisé", c'est à dire que sa volonté a été détruite et qu'il collabore de lui-même à tous les interrogatoires et est prêt à tout pour que son calvaire cesse. Il n'y a donc aucun besoin de lui donner un sédatif léger pour le mettre à l'aise dans un cadre agréable en vue de l'interroger. La méthode soviétique était de presser jusqu'à la rupture, puis d'exécuter si l'ordre a été donné. Même pour un procès, ils ne ménageaient pas leurs victimes, ni psychologiquement, ni physiquement. Ils ne se servaient pas de drogues, méthode qui ne sera élaborée que dans les années 1950 par les Etats-Unis et appliquée à partir de 1963 via le manuel KUBARK.
Cette partie là n'est pas plausible.
L'interrogatoire lui-même n'est qu'une discussion. Rien de plus qu'un banal exposé. Cela n'a rien d'un interrogatoire, même dans sa forme la plus douce.
Un interrogatoire se fait par boucles, afin de confondre les éventuelles contradiction d'un récit inventé de toutes pièces. Ce type de procédé est typique et absolument incontournable. Il n'y a rien de ceci dans ce texte.
L'interrogateur est forcément dirigiste: c'est lui qui interroge sur ce qu'il veut savoir, pas l'interrogé qui s'amuse à parler de ce dont il a envie. Ici, l'interrogateur est le plus souvent passif, face à un homme "brisé" se permettant d'interroger à son tour son interrogateur, en y mettant un poil de facétie. C'est totalement absurde.
Quant aux allusions au Pacte Germano-Soviétique de 1939, elles témoignent d'un manque de recul flagrant sur les événements. Avec la Chute de l'URSS et la déclassification de nombreux documents relatifs à la WWII, on sait que les russes n'ont jamais étés dupes sur les intentions d'Hitler. Staline, lui, croyait fermement au Pacte et avait accordé sa pleine confiance à Hitler, seul homme à qui il fit confiance dans sa vie. Les intentions des nazis étaient claires dès 1934, avec la rupture du pacte de non-agression germano-polonais.
Les événements décrits dans ce texte ne suivent pas la chronologie réelle des événements. Le texte est bien documenté, les dates sont bien calculées, mais ce qui y est exposé ne correspond pas ni aux documents historiques, ni même à la réalité géopolitique de l'époque.
En somme, c'est un très bon récit, plutôt bien documenté, mais dont le fond et la forme sont incompatibles avec ceux d'un document réel.
Si il y avait ne serait-ce qu'un original à montrer, cela donnerait une bien meilleure crédibilité au document, malgré ses invraisemblances majeures.