Octobre lyonnais en 1942 : « Pas un homme en Allemagne ! »
Publié le 13 octobre
Maj le 5 juillet 2009
C’est le cri des cheminots lyonnais des ateliers d’Oullins qui ont eu le courage le 13 octobre 1942 d’arrêter le travail pour s’opposer aux réquisitions de leurs collègues dans les entreprises de guerre allemandes. Le mouvement s’étend dans la région. L’unification de la résistance ouvrière et de la résistance militaire prend corps à partir de cet octobre lyonnais qui fut déterminant dans la lutte contre l’Allemagne nazie.
Oui, c’est un grand courage pour ces ouvriers cheminots des ateliers d’Oullins que d’avoir osé faire le tric en temps de guerre, d’avoir osé s’opposer aux lois sévères du régime de Vichy, qui de plus l’interdisait, en stoppant le travail et en manifestant. [1]
Cette grève d’Oullins de 1942, on ne peut en trouver nulle trace dans les journaux de l’époque, même le Progrès, qui tous s’autocensuraient, restant aux ordres du régime de Vichy. Pourtant cela s’est su partout, y compris en Angleterre où se trouvait De Gaulle, par ce qui se passait sous le manteau au sein des réseaux de résistance. Il se trouve que justement aux ateliers ferroviaires d’Oullins, des ouvriers faisaient partie massivement de nombreuses structures clandestines de résistance : Combat, Libération, Franc-Tireurs, Coq Enchaîné, tandis que d’autres étaient à la CGT clandestine, ceux de ce syndicat qui avait refusé la collaboration, et 90 d’entre eux étaient au parti communiste.
C’est dire si tous ces ouvriers avaient du mal à accepter dans cette année 1942 toutes les nouvelles lois et règlementations du gouvernement de Pétain, aux ordres d’Hitler. Dès le 4 mai, les trains convoyant du matériel pour « l’effort de guerre » allemand deviennent prioritaires aux trains de voyageurs. Le 15 mai, l’expression déportation est interdite, on doit dire « envoi en travail forcé » (Verschickung zur Zwangsarbeit). Le 16 juin, accord Laval-Sauckel sur le (faux) principe de la « Relève » : en échange de volontaires français venant travailler en Allemagne dans les industries de guerre, « des « cultivateurs » seraient libérés » !! Le 14 juillet, des manifestations anti-nazies, pourtant interdites, ont lieu à Lyon et St-Etienne, alors que de grandes rafles de juifs sont aidées par la police française, et que sont embarqués aussi des résistants, des tsiganes et des homosexuels.
Le 4 septembre 1942, c’en est trop aux ateliers d’Oullins, c’est la loi sur « l’orientation de la main-d’oeuvre » qui exige la réquisition forcée de travailleurs français en Allemagne, notamment dans les industries d’armements.
Aux ateliers ferroviaires d’Oullins
« Le 13 octobre, vers 8 heures, une liste de 30 noms de cheminots choisis pour être envoyés Outre-Rhin est affichée au bureau du personnel [2]. Des conciliabules réunissent furtivement les travailleurs et, parmi eux, les responsables de l’action illégale. Deux positions s’opposent : des attentistes mettent en garde contre les dangers que ferait courir à l’organisation syndicale clandestine naissante une action prématurée, d’autres, au contraire plaident en faveur d’une initiative à chaud, favorisée par la tension que crée l’affichage brusqué de la note. Finalement, c’est cette dernière position qui l’emporte. A 10h20 un militant communiste rompu depuis 1940 à l’acte illégal, Jean Enjolvy prend la responsabilité de se « découvrir » aux yeux de tous. Il dégringole les escaliers qui conduisent au rez-de-chaussée de la fonderie, bouscule deux contremaîtres qui s’interposent et déclenche, avant de s’échapper, la sirène qui hurle dans les ateliers. En quelques minutes 3.000 ouvriers des différents services cessent le travail et se rassemblent, face aux bureaux, dans l’allée centrale qui dessert les principaux bâtiments du chantier. » [3]
« En dépit des efforts des cadres, le travail ne reprend pas. A l’heure de la pause, les ouvriers sont appelés à se réunir dans leurs sections de travail pour discuter de la poursuite de l’action. Celle-ci dure jusqu’à 19h30. La police et les GRM (Groupes Mobiles de Réserve) casqués et en armes, ont envahi le quartier, mais les grévistes reçoivent de l’extérieur l’appui de leurs proches qui se rassemblent à proximité des forces de l’ordre. Les ouvriers des chantiers peuvent alors sortir en masse, accompagnés d’une grande manifestation qui se rend devant la mairie avant de se disperser. »
« Dans la nuit, 27 cheminots sont arrêtés. Le lendemain, après un matin de lock-out, le travail reprend petit à petit, mais une nouvelle manifestation, revendicative en matière de ravitaillement, se déroule encore en ville. Quant à la grève, à partir du coup de boutoir d’Oullins, elle s’étend. Les cheminots de la SNCF sont en relation avec les gares de l’agglomération lyonnaise et en tant que métallurgistes, avec les grandes usines du secteur. »
Le mouvement prend de l’ampleur
« Les organisations de Résistance ont travaillé ensemble au cours de la nuit pour sortir un tract intitulé « PAS UN HOMME en ALLEMAGNE » [4] appelant à la lutte et signé de quatre organisations clandestines de la Résistance : Combat, Franc-Tireur, Front National [5], Libération et Parti Communiste clandestin. Des arrêts de travail se multiplient : ateliers de la Mouche, dépôt de Vénissieux, gare de Vaise (sous la direction du cheminot Chifflot), gare de Perrache, gares de Chateaucreux (Saint-Etienne), du Teil, de Chambéry. »
Le 14 octobre, près de 3800 cheminots ont cessé le travail et les transports ferroviaires sont paralysés. Cela va être au tour des ouvriers de la métallurgie de s’y mettre.
« Dès le 15 entrent en lutte les usines Sigma (sous la direction du syndicaliste Cochard), Somua, les chantiers de Longwy à Vénissieux, puis Bronzavia, Paris-Rhône, Zénith et Berliet [6]. Le 16, Rochet-Schneider, Delle, Calor, les Cables de Lyon, S.W., Citroën. Selon les renseignements généraux, il y aurait 12.000 grévistes dans 22 usines, et, selon la CGT clandestine, 30.000 grévistes dans 30 usines. Au-delà des chiffres, l’essentiel est dans les effets du mouvement. »
Manif contre le STO avec occupation des voies ferrées à Romans
Échec de la volonté nazie
« Une grève de cette ampleur surgissant soudainement dans l’État de la « Révolution Nationale » où la loi interdit toute cessation de travail concertée ! L’effet de panique, à Vichy, est considérable. »
Le 15 au soir, un télégramme est envoyé à tous les préfets de la zone sud pour mettre fin énergiquement à toute tentative de grève...
Mais, si le mouvement va vite s’arrêter dès le 17 octobre étant donné la répression énorme, les réquisitions d’ouvriers n’ont pu se faire comme les nazis l’auraient voulu.
Propagande nazie
(Tout comme l’affiche en haut de l’article : « JE TRAVAILLE EN ALLEMAGNE pour la Relève, pour ma famille, pour la France ») ...Mais cette propagande n’a cependant pas eu les résultats escomptés
Le bilan de la « Relève Forcée » en région rhodanienne s’est finalement soldé par un échec. Les réquisitions forcées de Sauckel (septembre 42) imposaient un contingent de 13.000 hommes pour le 31 décembre 42 ; le service du travail obligatoire (STO) de février 43 exigeait 24.000 hommes, soit au total 37.000 hommes. Une estimation donne 4050 départs d’ouvriers soit seulement 11% du contingent réclamé. Deux réfractaires sur trois se sont cachés et 20% ont gagné des maquis actifs dans la Résistance.
Beaucoup de militants ouvriers qui s’étaient « découverts » dans l’action, avaient été contraints de passer dans la clandestinité totale. Ils seront les premiers animateurs de la lutte armée contre l’occupant. Le 17 octobre 42, la BBC de Londres a exalté l’action des ouvriers de la région lyonnaise. Ce mouvement lyonnais, parti d’Oullins, a facilité le rapprochement entre la Résistance gaulliste et la Résistance ouvrière, syndicale et politique.
Notes
[1] « Tric » est le mot lyonnais, « grève » étant un mot parisien. Le grand TRIC des Imprimeurs, c’est la première grève recensée du salariat qui a eu lieu à Lyon à partir du 25 avril 1539. Comme après il y a eu des délocalisations d’imprimeries et notamment en Allemagne, le mot a été repris par les patrons qui avait la trouille du « tric » et cela a donné « streik » en allemand et « strike » en anglais. A Paris, les grévistes allaient revendiquer sur la place de Grève.
[2] Il semble qu’il y ait eu une deuxième liste affichée et qu’il y ait eu 41 ou 42 hommes requis pour aller travailler en Allemagne.
[3] Récit du début de la grève d’Oullins, par Maurice Moissonnier, Cahiers Rhône-Alpes d’histoire sociale, Institut régional C.G.T. (octobre 1992). La continuation du récit entre guillemets est bien sûr du même auteur, Maurice Moissonnier.
[4] Reprenant ce qui a été scandé lors de la manif d’Oullins.
[5] Front National est bien une organisation de la Résistance, dont on peut voir une plaque sur le mur du 12 rue Ste Catherine, à Lyon-Terreaux, qui rend hommage à 80 juifs arrêtés le 7 février 1943, déportés dans les camps d’extermination. C’est bien plus tard que Le Pen en a repris indûment le titre.
[6] A Berliet-Vénissieux les ouvriers durent affronter leur patron qui, comme la plupart des autres patrons oeuvraient directement pour l’Allemagne nazie. En effet « la dynastie des Berliet dont un fils, Jean, conseille au Préfet d’attendre le vendredi après-midi pour afficher la liste des requis, ainsi une tentative de protestation sera plus aisément jugulée ; il suggère de procéder à des désignations de groupes importants et, délateur, n’hésite pas à préparer une liste d’individus pouvant être considérés comme agitateurs ». Un autre de ses frères, Henri, constituera à l’usine de Vénissieux un groupe de choc pour aller travailler à l’usine Bessing en Allemagne.
Rares sont les patrons comme Victor Vermorel qui a barricadé son usine de Villefranche-sur-Saône pour entraver les réquisitions parmi ses ouvriers : il sera interné, gagnera le Vercors ou il sera tué en juillet 44, et le directeur de son entreprise, M. Henri Renot sera déporté à Neuengamme.