A Wandworth Common,
un parc du sud-ouest de Londres, tous les samedis matin, un groupe de
pères britanniques apprend le football à une centaine d'enfants, pour
une participation annuelle de 30 livres (environ 33 euros). Pendant ce
temps, les mères de famille distribuent le café. Dans moins d'un mois,
ces parents dévoués seront fichés par l'Independent Safeguarding
Authority (ISA), une agence gouvernementale. L'ISA procédera à une
enquête sur leurs antécédents et jugera s'ils ne représentent pas un
danger pour des footballeurs en herbe.
A compter du 12 octobre, tous ceux qui sont amenés à s'occuper "de manière fréquente (au moins une fois par mois) ou intensive (trois fois par mois)" d'enfants en Angleterre, au Pays de Galles
et en Irlande du Nord devront s'inscrire auprès de l'ISA. Laquelle
vérifiera qu'ils n'ont pas, dans une vie précédente, été suspectés de
pédophilie ou de violence. Auquel cas ils devront se retirer.
Les enseignants, les infirmières, les médecins, les assistantes
maternelles, les proviseurs ou encore les dentistes sont concernés au
premier chef. Mais la loi de 2006, qui a créé ce dispositif, va bien
au-delà. Un adulte qui accompagne régulièrement des sorties de scouts,
par exemple, devra lui aussi être accrédité. Tout comme les familles
qui accueillent des enfants étrangers désireux de perfectionner leur
anglais.
Ceux qui oublieront de s'inscrire auprès de l'ISA encourent une
amende de 5 000 livres. Tout comme leurs employeurs, qui seront
passibles d'une peine de prison s'ils font travailler une personne que
l'ISA a jugée inapte. ""La base de données anti-pédophiles", comme l'appelle le Daily Telegraph,
qui mène une violente campagne contre son entrée en vigueur, devrait in
fine ficher 11,3 millions de personnes, soit un adulte sur quatre.
Jusqu'ici, le gouvernement recensait exclusivement les professionnels
de l'enfance, mais pas de manière exhaustive et avec une enquête à leur
sujet plus limitée que ce qui est désormais prévu. Il a ainsi déjà
collecté plus de 5 millions de noms.
Lors de son adoption à Westminster en 2006, la loi était apparue
consensuelle. Les rares débats qu'elle avait suscités concernaient les
64 livres que doivent verser les fichés de l'ISA au titre des frais
d'enquête qu'ils occasionnent. Il a été décidé que les bénévoles en
seraient exonérés. Pour le reste, il n'y avait pas eu de polémique. Il
a fallu attendre que l'ISA précise, il y a quelques jours, les
modalités de sa mission pour que les critiques se fassent entendre.
Des écrivains pour enfants, comme Philip Pullman et Anne Fine, se sont offusqué des "exigences insultantes" de l'ISA et ont menacé de ne plus se rendre dans les écoles. Le travailliste Barry Sheerman,
qui préside la commission à l'enfance et aux familles de la Chambre des
communes, a condamné la manière dont la loi était mise en oeuvre et a
appelé le gouvernement "à se saisir du dossier".
"Nous allons voir les clubs et les centres de loisirs pour
enfants se vider et cela finira avec des jeunes qui s'ennuieront dans
la rue", a ainsi commenté Chris Gayling, ministre de l'intérieur du cabinet fantôme conservateur. Dans le même ordre d'idées, la National Society for the Prevention of Children a jugé que cette législation mettait en péril "des activités parfaitement saines et normales". "Quand un dispositif destiné à protéger les enfants est critiqué de toutes parts, c'est qu'il va trop loin", a de son côté jugé Chris Huhne, pour les libéraux-démocrates.
Ed Balls, le ministre de l'éducation, a dû annoncer, lundi 14
septembre, qu'il allait faire réexaminer l'ensemble du dispositif pour
vérifier que le gouvernement "a bien placé le curseur là où il faut". Sir Roger Singleton, le président de l'ISA, a jusqu'à décembre pour juger si des "ajustements" doivent être envisagés.
M. Balls a jugé utile de préciser que "les adultes qui rendent
occasionnellement service à des amis en allant, par exemple, chercher
leurs enfants à l'école, ne seraient pas concernés. Pas plus que les
parents qui se rendent à l'école de leurs enfants pour le spectacle de
Noël, ou autre".
La loi de 2006 qui a créé l'ISA et sa base de données trouve ses
origines dans un fait divers qui a ému la Grande-Bretagne en 2002.
Holly Walls et Jessica Chapman, deux petites filles de 10 ans, avaient été tuées à Soham (Cambridgeshire) par Ian Huntley.
Cet homme travaillait dans le collège voisin, bien qu'il ait été
impliqué dans des affaires d'agression sexuelle et de viols. Mais il
n'avait pas été condamné dans ces dossiers.
"La fureur qui a saisi le pays avec l'affaire de Soham nous a tous rendus paranos", juge aujourd'hui le détective à la retraite Chris Stevenson, qui a mené l'enquête sur les deux meurtres. Londres "a surréagi",
juge-t-il, alors que la plupart des affaires de pédophilie sont le fait
de membres de la famille ou d'amis. M. Stevenson n'est pas certain que
la nouvelle loi aurait empêché le drame : Ian Huntley a rencontré ses
victimes parce qu'elles étaient les élèves de sa compagne,
rappelle-t-il. Et cela, aucune loi ne pourra rien y changer.
Il y a quelques jours, M. Stevenson accompagnait son petit-fils de 9
ans à un match de football. Il était en train de le mitrailler avec son
appareil photo quand un entraîneur lui a demandé de supprimer toutes
ses prises ou de demander l'autorisation à tous les parents qui étaient
présents.Virginie Malingre
Source : http://www.lemonde.fr/europe/article/2009/09/17/londres-va-ficher-les-11-3-millions-de-britanniques-qui-s-occupent-d-enfants_1241742_3214.html#ens_id=1241893&xtor=RSS-3208