Créer à partir du Néant. - Rudolf Steiner
Le réel et l'irréel dans la vie humaine.
Dornach, 16 décembre 1922.
Les facultés dont l'homme doit disposer pour pouvoir se placer face au monde et y travailler tout au long de sa vie ont un rapport, comme je l'ai souvent montré, avec les activités auxquelles cet homme se livre dans le monde spirituel qu'il traverse entre une mort et une nouvelle naissance. Or cela entraîne que l'homme, lorsqu'il est ici sur terre, se trouve plongé dans certaines situations dont la réalité n'est compréhensible que si l'on prend en considération les domaines
suprasensibles.
C'est en partant de ce point de vue que nous voulons examiner aujourd'hui les trois domaines qui englobent, en fin de compte, toutes les activités humaines sur la terre. Nous considérerons d'abord les pensées, au moyen desquelles l'homme cherche à atteindre la vérité dans le monde, puis les sentiments, dans la mesure où l'homme s'efforce d'atteindre la beauté à travers ce qu'il ressent, et enfin la volonté humaine, pour autant que l'homme cherche, par ses actions, à réaliser le bien.
Quand on parle des pensées, on pense à ce domaine grâce auquel l'homme peut s'approprier la vérité. Mais les pensées elles-mêmes ne peuvent pas avoir la moindre réalité. Quand nous comprenons qu'à travers nos pensées nous devons apprendre à discerner la vérité dans la réalité, il nous faut aussi reconnaître que les pensées en tant que telles ne peuvent pas être quelque chose de réel. Supposez en effet que vous siégiez à l'intérieur de vos pensées comme vous le faites dans votre cerveau ou votre coeur, alors les pensées seraient elles-mêmes quelque chose de réel. Mais vous ne pourriez pas, alors, vous approprier la réalité au moyen de ces pensées. Si la parole humaine, dans le sens habituel, terrestre, du terme, contenait une pleine réalité, il serait impossible d'exprimer, par son entremise, ce qui doit l'être. Si, à chaque fois que nous prononçons une phrase, nous devions faire naître une réalité pure et dure, nous ne pourrions pas exprimer quoi que ce soit. Il nous faudrait produire une réalité. En ce sens, ce que nous disons n'est pas une réalité en tant que telle, mais signifie une réalité, de même que nos pensées ne sont pas des réalités, mais signifient des réalités.
Si maintenant nous considérons le bien, nous voyons que ce qui se fait de soi-même, à travers la réalité physique, ne peut pas être qualifié de bien, ni de bon. Nous devons d'abord aller chercher dans les profondeurs de notre être l'impulsion vers le bien, qui est d'abord quelque chose de totalement irréel, puis le réaliser. Si l'impulsion vers le bien surgissait en nous comme la faim ou la soif, c'est-à-dire comme une réalité extérieure, cela ne pourrait pas être le bien.
Et puis, quand vous voyez une statue, l'idée ne vous vient pas d'entamer une conversation avec elle. L'oeuvre d'art n'est qu'une apparence. Dans cette apparence s'exprime quelque chose, qui est la beauté.
Nous voyons donc que la vérité « signifie » certes une réalité, mais que cette vérité elle-même se meut dans un élément irréel, et qu'il en est de même de la beauté et de la bonté.
S'il est vrai que l'homme a besoin que ses pensées ne soient pas elles-mêmes une réalité — imaginez que vos pensées soient des petites figurines de plomb qui se promèneraient dans votre tête : vous ressentiriez alors quelque chose de réel, mais ces pensées de plomb ne pourraient rien signifier pour vous ; elles seraient elles-mêmes une réalité —, s'il est vrai, donc, que les pensées, mais aussi le beau et le bien ne peuvent rien être d'immédiatement réel, il faut qu'il existe néanmoins une réalité, dans ce monde physique terrestre, qui nous permette d'avoir des pensées, d'introduire de la beauté dans le monde grâce à l'art, et aussi le faire le bien.
En disant cela, j'aborde aujourd'hui un domaine de la science de l'esprit qui peut nous rapprocher de façon particulièrement intime de certaines entités spirituelles qui nous entourent aussi ici sur terre, qui sont indispensables à notre existence terrestre, mais qui échappent totalement à l'observation de nos sens, et ne peuvent donc pas être saisies par la conscience habituelle fondée sur la perception sensorielle. En fait, nous sommes partout entourés de toutes sortes d'êtres spirituels, seulement la conscience ordinaire ne les voit pas. Il faut pourtant qu'ils soient là pour que nous puissions développer toutes nos activités humaines, et notamment pour que nous puissions avoir les pensées irréelles, légères, fugaces que nous connaissons, des pensées qui ne pèsent pas comme des masses de plomb dans notre tête, qui ne sont pas elles-mêmes quelque chose, mais peuvent signifier quelque chose.
Pour cela, il faut qu'il existe dans le monde des êtres qui font que nos pensées, malgré leur irréalité, ne nous échappent pas continuellement. Avec notre conscience ordinaire, nous sommes, nous les hommes, des êtres bien trop lourdauds et malhabiles pour pouvoir retenir les pensées comme cela, sans plus. Il faut que des êtres élémentaires soient là, et nous aident sans
cesse à retenir et à fixer nos pensées. Ces êtres sont extrêmement difficiles à découvrir parce qu'ils se cachent constamment. Si l'on se demande : comment se fait-il que nous puissions retenir une pensée alors que celle-ci n'a rien de réel, et qui nous aide à le faire ? — on peut très facilement être induit en erreur quand on cherche une réponse par la science de l'esprit. En effet, au moment où l'on se demande qui retient les pensées pour l'homme, du seul fait de cette volonté de savoir quelle est cette réalité spirituelle qui fixe les pensées, on est poussé dans le règne des entités ahrimaniennes. On s'enfonce en quelque sorte dans le règne des entités ahrimaniennes et l'on commence très vite à croire — mais c'est une croyance trompeuse — que l'on a besoin du soutien des esprits ahrimaniens pour que les pensées ne s'évanouissent pas dès qu'on les saisit.
C'est pourquoi la plupart des hommes se sentent même inconsciemment redevables aux entités ahrimaniennes de les assister lorsqu'ils pensent. Mais il s'agit là, en fait, d'une reconnaissance mal placée, car il existe tout un ensemble d'entités qui nous apportent leur aide lorsque nous pensons, et qui ne sont nullement des entités ahrimaniennes. Ces entités sont très difficiles à déceler, même pour un regard spirituel exercé. On les découvre parfois quand on regarde par exemple comment agit et se comporte un homme très futé. Quand on observe les faits et gestes d'une personne particulièrement intelligente et avisée, on perçoit autour d'elle une escorte fugitive. Où que cette personne aille, elle n'est jamais seule, mais elle est accompagnée d'une escorte fugitive d'entités élémentaires qui ne font pas partie du régne ahrimanien. Ces entités ont une propriété fort curieuse, que l'on n'apprend à connaître que si l'on peut observer les habitants des règnes élémentaires, ces êtres que l'oeil physique ne voit pas et dont la tâche principale consiste à produire les formes dans la nature, celles des cristaux par exemple. Tout ce qui a affaire avec la forme dépend en effet de l'activité de ces entités qui impriment et martèlent les formes solides.
Dans l'un de mes Drames-Mystères, j'ai représenté sous l'aspect de gnomes ces êtres qui produisent les formes. Comme vous pouvez déjà vous en rendre compte par la manière dont je les ai dépeintes, ces entités sont extrêmement subtiles et rusées, et elles n'ont de cesse de se moquer du peu d'intelligence des hommes. Ceux d'entre vous qui connaissent mes Drames-Mystères se représenteront bien cette scène (voir annexe p. 81).
Eh bien quand on observe attentivement quelqu'un de très intelligent et que l'on voit comment il peut être escorté de toute cette troupe d'entités élémentaires dont je viens de vous parler, on voit aussi à quel point ces entités sont méprisées par ces esprits du règne élémentaire que l'on appelle les gnomes, et cela parce qu'elles sont balourdes et, surtout, terriblement sottes. La sottise est vraiment leur principale qualité! On peut donc dire que les gens les plus intelligents sont traqués par des légions d'idiots, de fous venus du monde spirituel.
C'est comme si ces fous voulaient appartenir à la personne qu'ils suivent ainsi. Et ces fous, comme je l'ai dit, sont l'objet de la risée et du mépris de la part des entités qui confectionnent toutes les formes que nous voyons apparaître dans la nature. Dans les mondes tout d'abord inaccessibles à la conscience ordinaire, il en est un qui est habité par un peuple d'esprits stupides, fous, qui se bousculent là où ils trouvent de la sagesse et de l'intelligence chez un être humain.
À l'époque actuelle, ces êtres n'ont en réalité pas de vie propre. Ils en acquièrent en utilisant celle de ceux qui meurent à cause d'une maladie, mais qui ont encore en eux des forces vitales. Ils ne peuvent se servir que de vie passée. Ces esprits sots aspirent les restes de vie qu'ils trouvent encore dans les cimetières ou d'autres lieux semblables.
Quand on pénètre dans ce genre de mondes, on prend conscience de la quantité infinie d'êtres qui vivent ainsi derrière notre monde sensible. Il existe une multitude d'entités spirituelles de toutes sortes qui vivent dans un certain rapport avec nos activités. Car si l'homme intelligent, qui n'est pas clairvoyant, mais seulement sensé, peut saisir ses pensées avisées et les maintenir, c'est parce qu'il est suivi par cette troupe de sots spirituels.
Ces idiots se cramponnent à ses pensées, les tirent à eux et leur donnent du poids, si bien qu'elles peuvent demeurer en lui, alors qu'elles disparaîtraient, sinon, aussitôt.
Ces entités stupides sont sujettes à des moqueries perpétuelles de la part des gnomes. Ceux-ci ne peuvent pas les souffrir dans leur domaine bien qu'ils appartiennent au même règne qu'elles. Ils les débusquent et les chassent en permanence, et l'on assiste à un combat violent entre le peuple des gnomes et celui de ces idiots spirituels sans lesquels l'homme ne pourrait pas atteindre la sagesse, car celle-ci lui échapperait toujours au moment où elle apparaîtrait, de sorte qu'elle ne pourrait pas demeurer en lui.
Comme je l'ai dit, ces entités sont difficiles à découvrir, parce que l'on glisse tout de suite très facilement dans l'élément ahrimanien quand on pose la question correspondante. Mais on peut les déceler dans les occasions que je vous ai signalées, en observant attentivement des hommes particulièrement futés, qui traînent derrière eux toute une cohorte de ces entités. Par ailleurs, s'il n'y a pas suffisamment de pensées avisées attachées à un homme, on trouve aussi ces entités dans toutes sortes d'endroits où se concentre de la sagesse. Elles séjournent par exemple dans les bibliothèques — bien que ce soit difficile, là aussi,
de les découvrir —, lorsque les livres contiennent des choses intelligentes. S'il y a des sottises dans les livres, elles ne sont pas là. On ne les trouve que si ce qui est écrit est sensé ; c'est à cela qu'elles se cramponnent.
Nous acquérons ainsi une certaine compréhension pour un règne qui nous entoure comme le font les règnes de la nature, qui a à faire avec nos propres facultés, mais au sujet duquel il est bien difficile de nous faire une opinion. C'est pourquoi il nous faut, pour cela, compter sur les gnomes et prendre en compte le fait qu'ils les trouvent terriblement sots et insolents. Mais ces êtres ont encore une particularité : quand les gnomes et les esprits de la nature de ce genre les persécutent trop, ils se réfugient dans les têtes humaines, et eux qui sont presque des géants dans la nature extérieure — ils sont en effet extrêmement grands — devien-
nent tout petits quand ils séjournent dans les têtes des hommes. Disons que ce sont des esprits de la nature hors norme, mais qui sont intimement liés à l'évolution humaine sur terre.
Une autre sorte de ces entités est celle qui vit essentiellement dans l'élément aqueux et aérien. Vous trouvez ces créatures décrites dans mes Drames-Mystères comme des sylphes et des nymphes. Elles ont surtout à faire avec le monde de l'apparence, de la belle apparence. Elles s'attachent moins aux gens avisés qu'aux natures d'artistes. Ces entités-là, elles aussi, sont très difficiles à découvrir, car elles peuvent facilement se cacher.
On peut les rencontrer aux endroits où se trouvent de véritables oeuvres d'art, donc là où la forme humaine ou des formes naturelles sont reproduites en apparence. C'est là que l'on peut les trouver, seulement il n'est pas facile de les découvrir.
Comment se fait-il que la belle apparence nous intéresse autant, et que, dans certaines circonstances, nous puissions éprouver un plus grand plaisir à voir une statue qu'un homme vivant — un plaisir d'un autre ordre, certes, mais un plaisir plus grand —, ou bien que nous puissions nous élever et nous réjouir en entendant des mélodies et des harmonies musicales ? Si nous nous posons cette question, nous sommes attirés et nous glissons très facilement, là encore, dans un autre domaine, celui des entités lucifériennes. Mais les entités lucifériennes ne sont pas les seules à porter ce qui est artistique ; nous rencontrons là encore une catégorie d'entités élémentaires qui suscitent en l'homme un intérêt pour la belle apparence artistique. Sans leur intervention, l'homme serait en effet bien peu enclin à éprouver de l'intérêt pour une chose aussi irréelle que la beauté.
S'il est tellement difficile de découvrir ces entités, c'est parce qu'elles peuvent se cacher encore plus facilement dans le monde spirituel que les idiots dont nous venons de parler.
Elles sont seulement là où le beau se manifeste, et quand on s'adonne à ce qui est beau et qu'on en jouit, on ne voit certainement pas ces êtres.
Pourquoi cela ?
Pour apercevoir ces êtres d'une façon normale, il faut en fait essayer, lorsqu'on est adonné d'une façon ou d'une autre à des impressions artistiques, de diriger le regard clairvoyant sur les entités que vous trouvez décrites dans la même scène de mon Drame-Mystère (voir annexe p. 81) comme des nymphes ou des sylphes, ces êtres qui existent aussi dans les règnes élémentaires de la nature, et il faut se plonger en eux. Avec ces êtres de l'air et de l'eau, il faut en quelque sorte regarder les autres, ceux qui sont présents quand on jouit de la beauté. Et comme cela est difficile, il faut encore s'aider d'une autre manière. Heureusement, voudrais-je dire, on peut alors facilement découvrir ces êtres quand on écoute quelqu'un qui parle passablement bien, mais dont on ne comprend pas le langage. On entend les sonorités de la langue, mais sans comprendre ce qu'elle signifie. Il faut que la personne en question ait une belle diction, voire un style oratoire,
mais sans que l'on puisse bien la comprendre.
C'est ainsi que l'on peut acquérir la faculté, intime et délicate, de voir ces entités. Il faut donc essayer, d'une certaine façon, de s'approprier le talent des sylphes et de le renforcer grâce au talent qui se forme lorsqu'on écoute quelqu'un qui dispose d'une belle diction, mais que l'on ne comprend pas, si bien que l'on n'écoute pas la signification de ce qu'il dit, mais seulement sa belle façon de parler. On découvre alors ces êtres, qui sont partout où il y a de la beauté, et qui accordent leur soutien aux hommes pour que ceux-ci puissent s'intéresser de façon juste à la beauté.
Et puis vient la grosse déception, la terrible surprise. Ces êtres sont tout à fait horribles ! Ce sont les êtres les plus laids que l'on puisse contempler : des êtres affreux, les archétypes de la laideur! Quand on a appris à tourner le regard spirituel vers ces êtres et que l'on visite ensuite un atelier où travaille un artiste, on s'aperçoit que ce sont ces entités qui, telles des araignées, doivent se trouver sur le sol de l'existence universelle sur terre pour que l'homme s'intéresse à la beauté. Ce sont ces horribles êtres arachnéens élémentaires qui maintiennent éveillé l'intérêt de l'homme pour la beauté.
L'homme ne pourrait pas s'intéresser de manière juste à la beauté s'il n'était pas enveloppé dans les toiles de ces êtres semblables à d'affreuses araignées.
Ce que je viens de vous dire met en évidence la manière dont il faut procéder pour découvrir les formes de ces entités. Celles-ci sont toujours là, chaque fois que l'homme jouit de la beauté. Quand on visite une galerie d'art, on ne se doute pas que l'intérêt que l'on éprouve pour les plus beaux tableaux est en fait entretenu par ces affreuses araignées qui ne cessent d'entrer et sortir par les oreilles et les narines des visiteurs. L'enthousiasme pour la beauté s'élève en prenant appui sur la laideur. Il s'agit d'un mystère du monde : nous avons besoin d'être aiguillonnés par la laideur pour que la beauté puisse nous apparaître. Et les grandes natures d'artistes étaient telles qu'elles pouvaient, grâce à la robustesse de leur constitution corporelle, supporter d'être ainsi envahies par ces arachnéens pour produire une Madone Sixtine ou d'autres chefs-d'oeuvre analogues. Tout ce qui est produit de beau dans le monde doit être arraché à un océan de laideur par l'enthousiasme de l'âme humaine.
Ne croyez pas que, quand on parvient derrière le voile du sensible, dans le domaine situé au-delà du seuil, tout n'est que beauté. Lorsque ceux qui connaissent bien ces choses affirment que les hommes, tant qu'ils ne sont pas préparés correctement, doivent être maintenus en deçà du seuil du monde spirituel, ne pensez pas qu'ils disent cela à la légère!
Car il faut d'abord apprendre à connaître les fondements fort peu édifiants qui sous-tendent les choses édifiantes, voire exaltantes, que l'on trouve devant le rideau. Et quand vous parvenez à voir dans le monde élémentaire qui appartient à l'air et à l'eau, vous découvrez le grand combat auquel se livre le monde fluctuant des sylphes et des ondines contre ces archétypes de la laideur. Quand je parle d'êtres semblables à des araignées, je dois préciser qu'ils
sont faits d'eau et de vapeur d'eau. Ce sont des formes gazeuses éphémères dont la laideur augmente constamment du fait qu'à chaque seconde ils affi-
chent une nouvelle laideur qui donne l'impression d'être encore pire que la précédente. Voilà le monde qui existe dans l'air et l'eau tout autant que ce qui,
par ailleurs, nous réjouit tant dans ces éléments. Pour que l'homme puisse s'enthousiasmer pour le bien, il faut encore qu'autre chose ait lieu.
Les êtres dont je vous ai parlé, on peut dire qu'ils sont plus ou moins là; mais pour ce qui est des entités dont il va maintenant être question, je dois dire qu'elles se développent constamment. Elles se développent, à vrai dire, lorsque l'homme sent se déployer en lui une certaine chaleur intérieure pour le bien. C'est dans cette chaleur que ces entités, qui ont la nature du feu, du chaud, se développent. Elles vivent dans le présent, mais elles ont en réalité une nature du genre de celle que j'ai décrite dans ma Science de l'occulte lorsqu'il y est question de l'existence saturnienne de l'être humain.
Ces entités sont aujourd'hui comme était l'homme sur l'ancien Saturne. Elles ne sont pas constituées comme l'homme, mais ont la même nature que l'homme de Saturne. On ne peut pas dire qu'elles sont belles, ni laides, ni rien de ce genre.
Pour se faire une opinion à leur sujet, il faut partir du point de vue qui nous est donné par les êtres de chaleur élémentaires ordinaires qui existent par ailleurs. Toute cette approche spirituelle est extrêmement difficile, d'abord parce qu'il nous est de toute façon très difficile, en tant qu'êtres humains, d'entrer en relation avec des entités qui ne vivent que dans la chaleur, dans le « feu» au sens ancien du terme, et aussi parce que, quand on s'en approche, ce n'est pas très agréable. C'est par exemple le cas quand on souffre d'une forte fièvre. En général, on n'est pas dans les meilleures conditions pour faire des observations très objectives!
Sinon, pour appendre à percevoir ce genre d'êtres de chaleur, il faut mettre en oeuvre, en les développant jusqu'à un certain stade, les moyens que l'on trouve présentés dans mes livres. Ces êtres de chaleur ont déjà un rapport avec ces entités qui apparaissent lorsque l'homme développe un enthousiasme chaleureux pour le bien.
Mais ce rapport est vraiment très particulier.
Je supposerai, à titre d'hypothèse — car je ne peux pas décrire les choses autrement —, qu'il y a là des êtres de chaleur normaux, du genre donc de ceux qui proviennent de la chaleur humaine physique. L'homme produit en effet de la chaleur propre et se trouve, de ce fait, environné par ces entités.
Et maintenant, quand cet homme s'enthousiasme pour le bien, voilà que ces autres entités, qui sont aussi des êtres de chaleur mais d'une autre sorte, sont produites à leur tour. Mais dès qu'elles approchent les êtres du feu normaux, elles reculent devant eux et s'enfoncent au plus profond de l'être humain. Quand on se donne beaucoup de mal, en partant du point de vue des êtres de chaleur normaux, pour découvrir les propriétés de ces entités, on s'aperçoit que celles-ci éprouvent un terrible sentiment de pudeur. Elles ne veulent absolument pas être observées par d'autres êtres du monde spirituel et s'enfuient devant eux parce quelles ont trop honte qu'on les voit. Elles vont se réfugier au plus profond de l'intériorité humaine, si bien qu'il est très difficile de les y découvrir.
On ne les découvre, en fait, que si l'on s'observe soi-même à certains moments qu'il n'est pas si facile de provoquer volontairement.
Supposez que vous lisiez un passage particulièrement dramatique dans un roman ou une pièce de théâtre et que, bien que vous ne soyez pas quelqu'un de particulièrement sentimental, cette scène vous tire les larmes des yeux. Une belle action est décrite dans le roman, et cela vous émeut jusqu'aux larmes.
Si vous vous observez ensuite vous-même, vous pourrez voir comment des foules de ce genre d'entités — qui éprouvent un sentiment de pudeur si subtil et si intime qu'elles ne veulent pas être vues par les autres êtres du monde spirituel — se réfugient dans votre coeur, au plus profond de votre poitrine, comment elles se précipitent vers vous en cherchant à se protéger des autres êtres des mondes élémentaires spirituels, en particulier des autres êtres de chaleur.
Il existe une force répulsive singulière entre les êtres de chaleur normaux et ceux qui, du fait de leur formidable sentiment de pudeur, ne vivent que dans la sphère morale des hommes et fuient tout contact avec d'autres êtres spirituels. Ces entités sont beaucoup plus nombreuses qu'on ne le pense habituellement, et ce sont elles qui développent en l'homme l'enthousiasme pour le bien moral. L'homme ne s'enflammerait pas facilement pour le bien si ces entités ne lui venaient pas en
aide. Quand il aime ce qui est moral, il est en lien, inconsciemment, avec ces entités.
Certaines particularités de ces entités font que l'on peut facilement se tromper à leur sujet. Car, en fait, pourquoi ces êtres sont-ils aussi gênés ? Ils sont pleins de confusion parce que l'ensemble du règne spirituel élémentaire dans lequel ils se trouvent les méprise et ne veut rien savoir d'eux. Ils le sentent, et, du fait qu'ils sont tellement dédaignés, ils agissent justement en suscitant de l'enthousiasme pour le bien.
Je préfère ne pas évoquer d'autres particularités de ces entités. Il suffit en effet de voir à quel point l'âme humaine est déjà touchée quand on parle des horribles êtres arachnéens. C'est pourquoi je passerai sous silence certains autres traits qui les caractérisent. Mais nous avons vu comment ce qui nous apparaît ici-bas dans le monde des sens sous la forme du vrai, du beau et du bien se développe à partir de fondements qui ont besoin de ces trois règnes spirituels que je vous ai décrits, de même que nous avons besoin, sur la terre, de marcher en ayant un sol dur sous nos pieds. Ce n'est pas que ces entités créent elles-mêmes le vrai, le beau et le bien ; je n'ai jamais dit cela. Mais les pensées qui expriment, qui indiquent ce qui est vrai, ont besoin de pouvoir se mouvoir sur les épaules de ces nigauds spirituels.
Et la beauté que l'homme produit a besoin des affreuses araignées faites d'air et d'eau pour que cette beauté puisse s'élever au-dessus de leur océan de laideur. Quant au bien, il a besoin d'un règne d'entités qui ne peut pas supporter de se montrer aux autres esprits de la chaleur, les esprits convenables, si bien qu'il doit toujours fuir et se cacher, ce qui fait jaillir l'enthousiasme pour les impulsions du bien. Si tous ces êtres n'existaient pas, nous devrions avoir des sortes de soldats de plomb dans la tête, ou tout au moins une brume épaisse, et non des pensées. Ce qui sortirait de là ne serait pas très intelligent. Et pour produire quelque chose de beau, nous devrions déjà être à même de rendre cette beauté un peu vivante pour que les gens s'y intéressent, et ainsi de suite. Pour qu'existe dans
notre monde sensible ce dont nous avons besoin pour activer nos pensées, pour stimuler ce que nous ressentons face à la beauté, pour orienter notre volonté dans le sens du bien, il faut que trois règnes élémentaires de ce genre interviennent.
Les règnes élémentaires normaux, ceux que la tradition populaire appelle gnomes, sylphes, ondines, salamandres, sont des règnes qui vont devenir encore quelque chose dans le monde. Ils prendront à l'avenir des formes semblables à celles que nous avons dans notre monde sensible, certes différentes, mais néanmoins perceptibles à des sens tels que ceux dont l'homme dispose aujourd'hui, alors qu'actuellement, dans leur existence élémentaire, nos sens ne les perçoivent pas.
Les entités que je viens de vous décrire, par contre, ont déjà été happées au-delà du stade où se trouvent aujourd'hui les hommes, les animaux et les plantes. Ils ont déjà dépassé ce stade. De telle sorte que, si nous pouvions par exemple revenir à l'état de l'ancienne Lune, c'est-à-dire l'incarnation précédente de notre Terre, nous y trouverions ces entités pudiques qui, aujourd'hui, nous aiguillonnent moralement ici sur terre. Nous les verrions sur l'ancienne Lune comme un véritable règne animal, passer, disons, d'un arbre à l'autre, car elles seraient visibles aussi pour l'oeil terrestre.
Mais souvenez-vous de la manière dont j'ai décrit l'existence de l'ancienne Lune dans ma Science de l'occulte. Cette existence lunaire est bien
entendu fluctuante et délicate, et les choses s'y transforment, s'y métamorphosent constamment.
Entre ces entités, on aurait vu se faufiler ces êtres affreux que je vous ai décrits, car ces arachnéens primordiaux se trouvaient, eux aussi, partout sur l'ancienne Lune. Et on aurait pu y apercevoir encore les entités stupides qui accompagnent aujourd'hui les sages. Elles étaient là, elles aussi, et elles ont provoqué la pulvérisation de l'ancienne Lune, ce qui a permis la formation de la Terre.
Aujourd'hui encore, pendant l'existence terrestre, ces entités ne se réjouissent pas lorsqu'un cristal apparaît, mais chaque fois qu'un minéral est broyé.
Ainsi, si l'on peut dire que les êtres élémentaires normaux deviendront un jour visibles, perceptibles aux sens, il faut dire par contre que ces entités-là ont été un jour perceptibles aux sens, et puis qu'elles ont été happées dans le spirituel par l'action des êtres lucifériens et ahrimaniens. Si bien que nous avons deux sortes d'êtres élémentaires, l'une ascendante et l'autre descendante.
Sur l'ancienne Lune, la laideur était très développée, et on peut dire que notre monde de la beauté provient en quelque sorte de la pourriture de l'ancienne laideur lunaire.
Vous avez une analogie dans la nature quand vous répandez le fumier dans les champs et voyez ensuite les splendides fleurs qui en résultent.
La seule différence, c'est qu'ici le fumier nous apparaît dans le monde sensible. Quand vous laissez ce monde à moitié réel de la beauté venir à vous, vous le contemplez sans tenir compte de toute cette vie qui grouille en même temps dans les trois règnes de la nature sous le sol. Vous laissez surgir devant votre esprit toutes les belles choses qui jaillissent de la terre. Mais, de la même façon que les belles fleurs jaillissent de la prairie grâce au fumier qui fermente dans le sol, vous devez vous représenter, sous la beauté du monde, ce fumier spirituel, cet engrais lunaire qui contient les affreuses araignées dont je vous ai parlé. De même que vos choux ne pousseraient pas si vous ne fumiez pas la terre, de même la beauté ne pourrait pas s'épanouir sur la terre si les dieux ne fumaient pas cette terre avec la laideur.
C'est une nécessité intérieure de la vie, une nécessité qu'il faut connaître si l'on veut pouvoir faire face en pleine conscience à ce qui nous entoure en réalité dans la nature.
Ceux qui croient que la beauté peut être apportée sur terre grâce à l'art sans le fondement de cette laideur ressemblent à un homme qui dirait : mais c'est atroce de fumer ainsi la terre, il vaudrait mieux laisser les belles fleurs pousser sans tout ce fumier! Il est tout simplement impossible que la beauté soit produite sans le fondement de la laideur. Et si l'on ne veut pas vivre dans l'illusion à propos du monde, c'est-à-dire si l'on veut vraiment connaître le réel et non l'illusoire, il faut
reconnaître ces choses. C'est une nécessité.
Ceux qui pensent que l'art peut se développer dans le monde sans la laideur ne connaissent pas vraiment l'art. [...]
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L'éducation de l'enfant au point de vue de la science spirituelle : http://www.partage-facile.com/XR7C90UY4N/steiner_rudolf___l___ducation_de_l_enfant_au_point_de_vue_de_la_science_spirituelle.pdf.html
La pratique de la Pensée : http://www.partage-facile.com/E4T2CAZPIV/steiner_rudolf___la_culture_pratique_de_la_pens__e.pdf.html
La philosophie de la liberté : http://www.partage-facile.com/IBI7OUP0U5/steiner_rudolf___la_philosophie_de_la_libert__.pdf.html