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 L'homme qui voulait être heureux

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MessageSujet: L'homme qui voulait être heureux   L'homme qui voulait être heureux I_icon_minitimeMar 10 Déc 2013 - 19:50

L'homme qui voulait être heureux


Voici, en exclusivité pour Psychologies.com, le premier chapitre du nouveau livre de Laurent Gounelle : “L’homme qui voulait être heureux”.
Ce roman initiatique, écrit par un spécialiste du développement personnel, est conçu pour mener le lecteur vers son propre chemin. Extrait.

source; http://www.psychologies.com/Culture/Livres/L-homme-qui-voulait-etre-heureux

Chapitre 1

Je ne voulais pas quitter Bali sans l’avoir rencontré. Je ne sais pas pourquoi. Je n’étais pas malade ; j’ai même toujours été en excellente santé. Je m’étais renseigné sur ses honoraires car, mon séjour touchant à sa fin, mon portefeuille était quasiment vide. Je n’osais même plus consulter mon compte en banque à distance. Les gens qui le connaissaient m’avaient répondu : « Tu donnes ce que tu veux, tu le lui glisses dans une petite boîte posée sur l’étagère. » Bon, cela m’avait rassuré, même si j’angoissais un peu à l’idée de laisser un tout petit billet à quelqu’un qui avait, disait-on, soigné le Premier ministre du Japon.

Ce fut difficile de trouver sa maison, perdue dans un petit village à quelques kilomètres d’Ubud, au centre de l’île. Je ne sais pas pourquoi, dans ce pays, il n’y a pratiquement pas de panneaux indicateurs. Lire une carte, c’est possible quand on a des points de repère, sinon c’est aussi inutile qu’un téléphone portable dans une zone où l’on ne capte pas. Restait, bien sûr, la solution de facilité : demander à des passants. J’ai beau être un homme, cela ne m’a jamais posé de problème. Il me semble parfois que la plupart des hommes auraient l’impression de perdre leur virilité s’ils devaient s’abaisser à ça. Ils préfèrent se murer dans un silence signifiant « Je sais », feignent de se repérer, jusqu’à ce qu’ils soient complètement perdus et que leur femme leur dise : « Je t’avais bien dit qu’on aurait dû demander. »

L’ennui, à Bali, c’est que les gens sont si gentils qu’ils disent toujours oui. Vraiment. Si vous dites à une fille « Je vous trouve très jolie », elle vous regardera avec un beau sourire et vous répondra : « Oui. » Et quand vous demandez votre chemin, ils sont tellement désireux de vous aider qu’il leur est insupportable de vous avouer qu’ils n’en sont pas capables. Alors, ils vous indiquent une direction, sans doute au hasard.
J’étais donc un peu énervé lorsque je me suis retrouvé devant l’entrée du jardin.

Je ne sais pas pourquoi, mais j’avais imaginé une maison assez luxueuse, comme on en voit parfois à Bali, avec des bassins couverts de fleurs de lotus, sous l’ombre bienveillante des frangipaniers exhibant de grosses fleurs blanches au parfum tellement enivrant que c’en est presque impudique. En fait de maison, c’était une succession de campans, sortes de maisonnettes sans murs qui communiquent les unes avec les autres. À l’image du jardin, ils étaient d’une grande simplicité, assez dépouillés, sans faire pauvres pour autant.

Une jeune femme vint à ma rencontre, enroulée dans son sarong, ses cheveux noirs relevés en chignon, le teint hâlé, un petit nez régulier et des yeux non bridés, traits qui m’ont toujours étonné chez cette population enfouie au cœur de l’Asie.
– Bonjour, que voulez-vous ? me demanda-t-elle, s’exprimant d’entrée de jeu dans un anglais approximatif.
Mon mètre quatre-vingt-dix et mes cheveux blonds laissaient peu d’ambiguïté sur mes origines occidentales.
– Je viens voir monsieur... euh... maître... Samtyang.
– Il va venir, m’informa-t-elle avant de disparaître entre les arbustes et la succession de petites colonnes qui soutenaient les toits des campans.

Je restai un peu bête, debout, en attendant que Son Excellence daigne venir accueillir l’humble visiteur que j’étais. Au bout de cinq minutes, qui me parurent suffisamment longues pour m’amener à m’interroger sur la pertinence de ma présence ici, je vis s’avancer un homme d’au moins soixante-dix ans, peut-être même quatre-vingts. La première chose qui me vint à l’esprit fut que je lui aurais sans doute donné cinquante roupies si je l’avais vu faire la manche dans la rue. J’ai tendance à ne donner qu’aux vieux : je me dis que s’ils mendient à leur âge, c’est vraiment qu’ils n’ont pas le choix. L’homme qui marchait lentement dans ma direction n’était pas en haillons, certes, mais ses vêtements étaient d’une sobriété désarmante, minimalistes et sans âge.
J’ai honte d’avouer que mon premier réflexe fut de penser qu’il y avait erreur sur la personne. Il ne pouvait s’agir du guérisseur dont la réputation s’étendait outre-mer. Ou alors son don allait de pair avec son manque de discernement et il acceptait que le Premier ministre du Japon le paye en cacahuètes. Il aurait pu aussi être un génie du marketing, ciblant une clientèle d’Occidentaux crédules, avides de clichés, comme celui du guérisseur vivant en ascète dans le parfait détachement à l’égard des choses matérielles, mais acceptant en fin de séance une rétribution généreuse.

Il me salua et m’accueillit simplement, s’exprimant avec beaucoup de douceur dans un très bon anglais. La luminosité de son regard contrastait avec les rides de sa peau tannée. Son oreille droite présentait une malformation, comme si le lobe avait été en partie sectionné.
Il m’invita à le suivre dans le premier campan : un toit soutenu par quatre petites colonnes, adossé à un vieux mur, une étagère – la fameuse – le long du mur, un coffre en bois de camphrier, et, sur le sol, une natte. Le coffre ouvert débordait de documents, parmi lesquels des planches représentant l’intérieur du corps humain, ce qui, dans un autre contexte, m’aurait donné envie de pisser de rire tellement les représentations étaient éloignées de la connaissance médicale actuelle.
Je me déchaussai avant d’entrer, comme le veut la tradition balinaise.

Le vieil homme me demanda de quoi je souffrais, ce qui me renvoya brutalement à la raison de ma présence ici. Que cherchais-je au juste, puisque je n’étais pas malade ? J’allais faire perdre son temps à un homme dont je commençais à sentir l’honnêteté, pour ne pas dire l’intégrité, même si je n’avais encore aucune preuve de sa compétence. Avais-je seulement envie que quelqu’un se penche sur mon cas, s’intéresse à moi, me parle de « mÔa » et, qui sait, découvre qu’il y a un moyen pour que j’aille encore mieux ? À moins que j’aie obéi à une sorte d’intuition... Après tout, on m’avait dit que c’était un grand bonhomme, et j’avais tout simplement envie de le rencontrer.
– Je viens pour un check-up, lui confiai-je en rougissant à l’idée que je n’étais pas à la visite médicale annuelle et que ma demande était déplacée.
– Allongez-vous là, me dit-il en désignant la natte et sans manifester aucune réaction à la futilité de ma requête.

Ainsi commença la première – et, j’espère, la dernière – séance de torture que je connus dans ma vie. Tout avait débuté normalement : allongé sur le dos, détendu, confiant et mi-amusé, je le laissais palper en douceur différentes zones de mon corps. Ma tête, pour commencer, puis ma nuque. Mes bras, tout du long jusqu’aux dernières phalanges de mes doigts. Suivirent différentes zones apparemment très précises sur mon torse, puis mon ventre. J’eus le soulagement de constater qu’il était passé directement du ventre au haut des cuisses. Mes genoux, mes mollets, mes talons, la plante de mes pieds : il palpait tout, et cela ne me dérangeait pas outre mesure.
Enfin, il arriva aux orteils.

Je ne savais pas qu’il était possible de faire à ce point souffrir un homme rien qu’en tenant son petit orteil gauche entre le pouce et l’index. Je hurlais et me tordais dans tous les sens sur ma natte. Vu de loin, on devait avoir l’impression d’un pêcheur qui essaye de fixer à son hameçon un asticot d’un mètre quatre-vingt-dix. Je reconnais que je suis de nature plutôt douillette, mais ce que j’éprouvais dépassait en intensité tout ce que j’avais ressenti jusque-là.
– Vous avez mal, me dit-il.
Sans blague. J’étouffai un « oui » entre deux gémissements. Je n’avais même plus la force de crier. Lui n’avait pas l’air affecté par ma souffrance, il conservait une sorte de neutralité bienveillante. Son visage exprimait même une sorte de bonté qui contrastait avec le traitement qu’il m’infligeait.

– Vous êtes quelqu’un de malheureux, dit-il, comme s’il posait son diagnostic.
À cet instant précis, oui. Très. Je ne savais plus si je devais pleurer ou rire de cette situation dans laquelle je m’étais mis. Je crois que je faisais les deux à la fois. Je n’ai jamais eu mon pareil pour dénicher des plans comme ça. Et dire que j’aurais pu passer ma journée sur la plage, à discuter avec les pêcheurs et regarder les jolies Balinaises !
– Votre douleur en ce point précis est le symptôme d’un mal-être plus général. Si j’exerce la même pression au même endroit chez quelqu’un d’autre, il ne devrait pas avoir mal, affirma-t-il.
Sur ce, il relâcha enfin mon pied, et je me sentis d’un seul coup le plus heureux des hommes.

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