En espionnant la vie privée des citoyens, les candidats aux élections peuvent savoir exactement ce qu'ils pensent, et s'adapter pour obtenir plus de votes.
"Je n'ai rien à cacher", entend-on souvent lorsque la surveillance des citoyens par les démocraties est dénoncée. Pourtant, cette surveillance "permet de rester éternellement au pouvoir", selon Christian Fredrikson, P-DG de l'éditeur de sécurité finlandais F-Secure, qui s'exprimait lors d'un point de presse intitulé "Activez la liberté" mardi à Helsinki. "Dans les démocraties, si vous savez tout ce que pensent les citoyens, vous pouvez facilement garder le pouvoir. C'est ce que Richard Nixon avait essayé de créer, mais il n'avait pas encore les bons outils", ajoute-t-il.
Les systèmes de surveillance, aux États-Unis mais aussi en France et ailleurs dans les grandes démocraties occidentales, permettent de surveiller les citoyens et leurs télécommunications, notamment grâce aux smartphones qui rassemblent appels, messages, géolocalisation, navigation sur Internet ou encore applications de loisirs. Ce système de surveillance généralisée, baptisé "Prism" aux États-Unis, a été dévoilé par l'ex-agent américain Edward Snowden, devenu ennemi public numéro un à Washington.
La surveillance peut altérer l'avenir"
"En Europe, notre législation est relativement forte pour protéger la vie privée..., mais les législations changent très vite", nuance Christian Fredrikson. "Nous ne devons pas laisser cela se produire, il ne faut pas être naïf et renoncer aussi facilement à notre vie privée, que nos ancêtres ont si chèrement gagnée", précise-t-il. "Nous ne savons rien sur les gouvernements qui seront en place dans le futur", renchérit Mikko Hypponen, directeur de la recherche de F-Secure. "Les choses peuvent très vite changer", confie cet expert "cyber" mondialement reconnu, craignant l'élection de gouvernements moins respectueux des libertés, et qui exploiteraient à outrance ces outils pour rester au pouvoir.
Les résultats des dernières élections européennes font, sur ce point, froid dans le dos. Et Mikko Hypponen de prendre un exemple. "L'homosexualité était illégale en Finlande jusque dans les années 1970 : si le gouvernement finlandais avait eu de tels outils de surveillance à l'époque, il aurait pu traquer les homosexuels et les emprisonner tous", lance-t-il. "La loi n'aurait jamais changé. Vous voyez, la surveillance peut altérer l'avenir." Terrifiant.
Big Brother directement dans votre cerveau
L'accès aux données des opérateurs (en France : Orange, Free, SFR, etc.), des réseaux sociaux (Facebook, Twitter, etc.) ou encore des moteurs de recherche (Google, Bing, etc.) permet d'obtenir un profil très précis de chaque citoyen. Le cofondateur d'Apple Steve Wozniak l'avait expliqué en mars dernier lors de la conférence allemande CeBIT : "Avant, on posait nos questions existentielles aux anciens, aux sages. Désormais, on les pose à Google." Et les gens ne mentent pas aux moteurs de recherche : c'est la clé de la surveillance.
Évidemment, les plateformes enregistrent tout, à des fins publicitaires. Et de plus en plus souvent, sans intervention de la justice, les sites doivent fournir ces enregistrements aux États s'ils en font la demande. "Cela permet de surveiller non seulement ce que l'on fait, mais ce que l'on pense, car on dit exactement ce qu'on pense aux moteurs de recherche", s'émeut Christian Fredrikson.
Certes, le patron de F-Secure promeut ses logiciels et applications destinés à chiffrer les échanges et les espaces de stockage en ligne (cloud). Mais la parole de cet ancien de Nokia, patron d'un éditeur qui n'est pas un géant américain ou russe (McAfee, Symantec, Microsoft, Kaspersky, etc.), n'en a pas moins de valeur. "De mauvaises choses se produisent quand les gens bien se taisent", lance-t-il, paraphrasant ainsi Edmund Burke.
SOURCE / le point