Si les Russes se défoncent à l’héroïne -et en meurent- c’est la faute à la mollesse de Barack Obama. C’est en substance le message qu’a adressé ce samedi Viktor Ivanov, chef de l’agence antidrogues russe, à l’administration américaine, qui ne semble pas pour l’heure avoir jugé utile de répondre.

La ficelle est évidemment un peu grosse, mais elle mérite tout de même qu’on la déroule. Selon Viktor Ivanov, l’héroïne tuerait chaque année 30 000 personnes en Russie, où l’on compterait 2,5 millions d’accros. Or, 90% de l’héroïne que l’on s’injecte dans les rues de Moscou ou d’ailleurs vient d’Afghanistan…

Et si l’on poursuit la raisonnement, la production d’opium afghan était de 185 tonnes avant l’intervention américaine en 2001. Et de 6900 tonnes en 2009! Soit une progression de près de 4000%. Une donnée que les Russes connaissent bien puisque l’intervention de l’Armée rouge en 1979 avait donné lieu au premier boom de l’opium afghan.
En bref, à en croire Moscou, l’armée américaine pourrait être tenue pour responsable des OD russes. Et même si la tendance est plutôt à la baisse (la production d’opium afghan a reculé en 2008 et 2009 et le dernier rapport de l’ONU parle d’une stabilisation en cours pour 2010), Viktor Ivanov ne semble pas vraiment s’en satisfaire:

« Les déclarations américaines sur le refus de détruire les plantations d’opium, de l’avis même des Afghans, sont une garantie solide d’impunité pour les producteurs de drogue dans le pays. »

Autre point soulevé par le responsable de l’agence russe:

« Le commandement de l’Otan concentre ses efforts exclusivement sur la lutte avec des producteurs minoritaires, laissant dans leur grande bonté aux autorités régionales de l’Afghanistan la tâche de lutter avec les 99% qui restent. »

Il est vrai que les accusations récurrentes contre, entre autres, le propre frère d’Hamid Karzaï et les protections dont bénéficierait son petit commerce de la part de ses alliés américains font désordre. Et ne sont pas sans rappeler les errements de la CIA à l’époque de la guerre du Vietnam (lire à ce sujet l’excellent livre d’Alfred McCoy, « La Politique de l’héroïne »).

Reste un point sur lequel il est difficile de suivre Viktor Ivanov: l’efficacité supposée des campagnes d’éradication du pavot. Car si l’administration Obama a choisi de lever le pied sur les fumigations et autres campagnes d’arrachage forcé, c’est bien que ces dernières ont largement prouvé leur inefficacité, si ce n’est pour grossir les rangs des talibans. Ce qu’expliquait Richard Holbrooke, envoyé spécial américain en Afghanistan et au Pakistan, en juin dernier devant le G8:

« L’éradication est une perte d’argent. Les politiques occidentales de lutte contre la production de pavot et d’opium sont un échec. Elles ont permis de détruire quelques hectares de plantation mais elles n’ont pas réduit d’un dollar l’argent qui tombe dans les poches des talibans. Elles ont même aidé les talibans. Nous allons donc y mettre un terme. Les fermiers ne sont pas nos ennemis, ils ne font que cultiver pour survivre. C’est la politique américaine qui a conduit ces gens dans les bras des talibans. »

En parallèle à cette retraite en rase campagne d’éradication, l’administration américaine expliquait qu’elle ciblerait désormais plus énergiquement les trafiquants (notamment en envoyant sur place des agents de la DEA) et favoriserait les mesures d’aide au développement rural.

Qu’il s’agisse de déclarations de façade ou d’une réelle volonté de changement, c’est bien là que réside en effet le véritable enjeu. Tant qu’ils n’auront pas de débouchés pour leurs produits agricoles et qu’ils vivront dans une instabilité politique permanente, les paysans afghans continueront de produire du pavot, qui leur rapporte bien plus que le blé ou les autres cultures de subsistance. Et les camés russes continueront de se shooter à l’héroïne brune. N’en déplaise à Viktor Ivanov…