Depuis quelques semaines, au milieu des panneaux publicitaires L’Oréal, Décathlon, Dior, etc., une nouvelle affiche de l’Unicef a fait son apparition : “Urgence malnutrition : 2 millions d’enfants menacés par la crise nutritionnelle dans la Corne de l’Afrique !” Cette fois, les spécialistes de la “com” n’hésitent pas à exhiber des photos de désespoir sur lesquelles on peut voir une mère exténuée qui tient dans ses bras un enfant malade, sans doute mal nourri. Mais là, nous dit-on, c’est pour la bonne cause. A l’instar de ses consœurs publicitaires qui attirent notre œil de consommateur potentiel, son objectif est clair : d’une part, tout en nous poussant à mettre la main à la poche et nous délester de quelques Euros, cela donne l’illusion que l’Etat “démocratique” (comme il se nomme lui-même) met en place des structures afin que nous tous, en bons “citoyens”, nous puissions venir en aide aux plus démunis. Une grave illusion que nous nous devons de dénoncer. D’autre part, cela contribue d’une manière tout à fait insidieuse et méprisable à nous faire passer pour des privilégiés. Des épargnés de la misère qui passent leur temps à se plaindre pour si peu : pour les quelques mesures de rigueur que prennent “courageusement” la plupart des gouvernants des pays centraux. Cette campagne est encore une farce ignoble ! Alors, que faire ?
Que se passe-t-il dans la Corne de l’Afrique ?
Il est vrai que la situation en Somalie, Djibouti, Ethiopie, Kenya et Erythrée qui constituent la corne de l’Afrique, est particulièrement dramatique et révoltante. Une sécheresse d’une ampleur inédite (1) s’abat impitoyablement sur la région déjà en proie à la guerre depuis plus de deux décennies. Dans une interview parue dans le Figaro.fr, Andrée Montpetit, conseillère qualité de l’ONG Care en Ethiopie, confie : “J’entends des choses que je n’ai jamais entendues avant. Un villageois de Dambi, dans la région de Morena, m’a expliqué vendredi que même les chameaux mouraient de soif, alors que lors de la grande sécheresse de 1991 les chameaux avaient tenu le coup. Toujours à Borena, il faut marcher six heures aller-retour pour avoir accès à un point d’eau.
C’est du jamais vu. Il n’y a ni eau, ni herbe, les vaches tombent comme des mouches.” L’ONU estime à plus de 12 millions le nombre de personnes en situation de détresse. En Somalie, la situation est insoutenable. Avec la guérilla qui oppose depuis 2006 l’armée éthiopienne aux 7000 combattants Chabab, le mouvement de la jeunesse des tribunaux islamiques qui contrôle 80 % de la Somalie et impose une application extrémiste de la Charia, c’est plus de 9 millions d’habitants qui vivent l’enfer au quotidien. Crevant la bouche ouverte dans des conditions abjectes, souffrant de maladies dans une chaleur atroce, sans eau pour se laver. Quant à l’aide humanitaire, les ONG elles-mêmes, dénoncent le manque de moyens mis en œuvre. Pire encore, lorsque l’aide arrive enfin, elle est souvent bloquée ou détournée par les rebelles islamistes qui combattent le gouvernement de transition, ou à l’inverse, par l’armée somalienne pour les mêmes raisons militaires. “Dernier exemple en date, vendredi passé [le 12 août], le pillage de deux camions d’aide alimentaire par des soldats somaliens, juste avant une distribution de nourriture à des familles affamées dans un quartier de la capitale. La fusillade qui s’est ensuivie à fait cinq morts” (2).
On ose à peine imaginer ce que sont devenues ces familles affamées, terrées dans des quartiers de Mogadiscio. Tout comme des milliers d’autres familles ayant fui la capitale, entassées dans les tentes des camps de réfugiés, sous un soleil de plomb, et avec juste ce qu’il faut d’eau et de nourriture pour survivre encore un jour de plus. “Mahieddine Khelladi, directeur exécutif de l’ONG Secours islamique, préfère parler de “risque important” de détournement : ‘Dans un hôpital que j’ai visité auquel on avait envoyé des médicaments, la pharmacie était vide” , raconte-t-il” (3). Et ce n’est pas l’intervention des grandes puissances qui va améliorer le sort de ces malheureux, bien au contraire ! “Depuis l’effondrement du gouvernement en 1990, les Etats-Unis occupent une partie du terrain militairement. Cela c’est fait en 1992 à travers l’opération baptisée Restore Hope (“Restaurer l’espoir” – sic !). A la même époque, tout le monde se souvient des images diffusées partout de Bernard Kouchner arrivant en Somalie avec des sacs de riz sur les épaules, suivi de près, discrètement, par quelques contingents de l’armée française !”, écrivions-nous en février 2010, dans un article intitulé : “Au Yémen, en Somalie, les grandes puissances accentuent le chaos”. Ne visant que la défense de leurs intérêts capitaliste dans cette zone géostratégique d’une importance majeure (4), les grandes puissances n’ont que faire du sort des pauvres habitants. En fait, l’exacerbation des tensions impérialistes dans la région est un facteur aggravant qui pousse, entre autres choses, les groupes armés à recruter des combattants de plus en plus jeunes. “Selon un récent rapport d’Amnesty International, les Chabab, qui ont perdu beaucoup d’hommes depuis le début de l’année, en sont réduits à recruter de plus en plus d’enfants” (5).
Des œdèmes aux joues et aux paupières, la peau amincie, vernissée, craquelée ou sanguinolente, le ventre démesurément gonflé : syndrome de malnutrition, ou bien encore les traits du visage marqués par la guerre, les yeux noirs et plein de haine, une mitrailleuse entre les mains, voici désormais le visage des enfants du “berceau de l’humanité”. Le visage, qu’ont sculpté quelques décennies de barbarie capitaliste. Des milliers d’années d’évolution sont remises en cause par la survie de ce système totalement cynique. Il ne faut pas s’y tromper : ce qui se passe en Afrique et dans les pays en proie à la guerre et à la misère n’est que le reflet du sort que le capitalisme réserve à toute l’humanité. Nul gouvernement, nulle ONG ou force armée ne peut enrayer cette dynamique destructrice dictée par les lois du profit et des intérêts impérialistes. Dans les pays centraux, l’inflation galopante et les cures d’austérité à répétition en sont les prémices. Seul le renversement du capitalisme, œuvre de la majorité en recherche d’une solidarité authentique, pourra libérer l’humanité des griffes de ce système moribond.
1) L’ONU parle de “la pire sécheresse depuis 60 ans”.
2) Courrier international no 1085, du 18 au 24 août 2011.
3) Selon le quotidien 20 Minutes du 22 août 2011, “Somalie : l’aide humanitaire détournée ?”.
4) Le Golfe d’Aden, voie maritime vers la mer Rouge et les champs pétroliers du Golfe persique et traversé par la moitié de la flotte mondiale des porte-conteneurs et 70 % du trafic total des produits pétroliers qui passent par la mer d’Arabie et l’Océan Indien. Nous incitons nos lecteurs à se référer à notre article cité plus haut pour comprendre les enjeux de cette zone géostratégique.
5) Courrier international no 1085.