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 Missions, méthodes, techniques spéciales des services secrets au 21e siècle

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xerox

xerox

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Missions, méthodes, techniques spéciales des services secrets au 21e siècle   Empty
MessageSujet: Missions, méthodes, techniques spéciales des services secrets au 21e siècle    Missions, méthodes, techniques spéciales des services secrets au 21e siècle   I_icon_minitimeVen 12 Avr 2019 - 22:45


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Lieutenant-colonel « X » avec Jacques Léger


Missions, méthodes, techniques spéciales des services secrets au 21e siècle




Éditions Regard sur le monde.

2013
« Si vous cherchez à savoir ce que sont des espions dans la plupart des quelque 180 pays de ce monde ; il s’agit d’une force de police interne utilisée contre sa propre population dans le but de maintenir quelqu’un au pouvoir »[1].

Déclaration de l’amiral Mike McConnell lors de son discours de prise de fonction en tant que directeur de la NSA ; en 2008
SOMMAIRE


Avant-propos

INTRODUCTION Rôles connus et méconnus des services secrets : les missions du XXIe siècle.

RESSOURCES HUMAINES ORGANISATION ET HIERARCHIE DES SERVICES SECRETS ET DE LEURS RESEAUX. De la source inconsciente au cadre des services. La vie de « l’employé » des services La vie de l’agent clandestin Profils de recrues L’avocat et le psychiatre, piliers des services secrets modernes

METHODES
Méthodes de surveillance Méthodes de recrutement et formation Le contrôle des sources et des correspondants, et leur manipulation La manipulation des individus Les méthodes modernes d’élimination des individus 1. l’élimination sociale 2. l’élimination physique Du contre-espionnage à l’intelligence domestique

INFLUENCE
La manipulation des groupes d’individus Influence et contre-influence De l’usage et de la surveillance de la culture De l’usage et de la surveillance des media de masse De l’usage et de la surveillance de l’Internet

CONCLUSIONS Services secrets, monde sans lois.

AVANT-PROPOS
Le but de ce livre est d’offrir à son lecteur un cliché pris sur le vif de ce qu’est un service secret occidental en 2013. Cette manière anonyme d’aborder un tel sujet, généralement fort délicat à traiter sitôt que l’on parle d’un pays en particulier, a permis à son auteur de présenter pour la première fois à peu près tous les faits, méthodes et missions particulières des services secrets modernes qui étaient peu connus ou méconnus du grand public jusqu’alors. L’accent est donc mis sur la mission d’intelligence domestique (ou sécurité intérieure), au détriment de celle de l’espionnage en direction des pays étrangers, puisque cet autre sujet spécifique est régulièrement présenté au public par de nombreux auteurs. Cette présentation insiste également sur le quotidien d’un service secret et de ses personnels et agents, chaque fois que l’auteur a jugé que cela intéresserait le lecteur non-initié. L’approche sociologique du service secret occidental « typique » y est donc très présente. Les explications, lorsque très techniques, sont enrichies d’exemples et de courts récits de missions et d’opérations qui se sont réellement produites, ou qui sont fortement inspirées de missions ayant réellement existé durant les vingt dernières années. Des références et des notes historiques et techniques ont ponctuellement été ajoutées chaque fois que cela fut jugé nécessaire, en particulier à l’attention du lecteur qui ne peut avoir connaissance de certains faits communs aux univers très particuliers du contre-espionnage, de l’influence et de la contre-influence, et de la sécurité intérieure en général. Les contextes politiques des faits et anecdotes rapportés sont également indiqués chaque fois cela est nécessaire à leur bonne compréhension. Les noms des intervenants, ainsi que les endroits où les missions citées en exemples se sont produites, ne sont que rarement mentionnés, aux seuls motifs de leurs actualités et de la préservation de l’anonymat des personnes qui y ont été impliquées, activement ou passivement. Cette description s’achève sur une critique personnelle de l’auteur concernant les évolutions et nouvelles missions des services secrets depuis la fin de la Guerre froide. Ce livre n’est pas le fruit d’une investigation de type journalistique ; il a été établi sur la base d’une connaissance pratique vécue de son auteur, dans une large mesure, laquelle couvre les trente dernières années précédant l’année 2013. L’espionnage aujourd’hui n’est pas seulement une profession, mais, comme la plupart des professions, celle-ci a pris les apparences d’une discipline, avec une méthodologie, un vocabulaire, un ensemble de théories et même une doctrine, une collection de techniques élaborées et une large foule d’adeptes. Cette discipline présente la particularité de s’articuler autour du secret, au point que ce dernier est lui-même le thème d’un « rituel » qui l’emporte sur les motivations d’ordre politique. C’est ce rituel qui permet de définir qui fait partie du groupe des initiés, auxquels « on fait confiance », et qui en est exclu — autrement dit, qui détient un pouvoir et qui n’en a aucun, puisque le secret est le pouvoir.
Concernant les termes de la profession de l’espionnage employés dans ce livre, quelques-uns de ceux-ci ne prétendent pas être exacts du point de vue des services secrets de chaque pays. C’est tout spécialement le cas du mot « agent », qui peut avoir une signification fort différente d’un pays à l’autre. Par exemple : le FBI a des employés salariés à temps plein qui sont officiellement ses agents, tandis que la CIA, le SVR, la DGSE ou le MI6 recrutent des « agents » qui ne sont pas leurs employés au sens formel de ce dernier terme, mais bien des correspondants réguliers clandestins dont ils peuvent nier la collaboration à tout moment. C’est cette seconde définition qui a été adoptée dans cet ouvrage, ce qui a contraint l’auteur à nommer « employés » tous les personnels travaillant à temps plein pour les services secrets, et qui ont couramment accès à de la documentation confidentielle, propriété d’un État. En raison du même problème, quelques autres définitions ont été arbitrairement choisies une bonne fois pour toutes pour chaque collaborateur officiel ou clandestin, et parfois aussi au moment de nommer des services et départements que l’on rencontre ordinairement dans à peu près tous les services secrets occidentaux actuels sous des noms différents. Le lecteur, professionnel du renseignement, saura les substituer à celles employées dans son pays.

                                                         Janvier 2013
INTRODUCTION

Rôles connus et méconnus des services secrets Les missions du XXIe siècle
Tout le monde a appris, par les canaux des media, et beaucoup aussi par la fiction des films et romans, que l’espionnage à l’étranger est la vocation des services secrets. Ceci vient du fait que ce volet de la mission générale des services secrets revêt bien souvent un caractère romanesque, en effet. Dans la réalité, les missions d’espionnage dans les pays étrangers mobilisent bien moins de cadres, d’agents conscients et inconscients et autres sources que la mission dite d’intelligence domestique (ou sécurité intérieure), laquelle sera largement présentée dans ce livre. La mission d’espionnage à l’étranger implique des nombres d’individus et des moyens d’importances très inégaux selon les pays surveillés et services secrets concernés. Chaque pays à ses alliés, ses ennemis, et aussi, parfois, un allié dominant ou, à l’inverse, satellite (dominé). Dans ces deux derniers cas, l’influence ou la domination complète exercée est aussi discrète que possible. Il y a des pays puissants qui ont acquis, au fil du temps et parfois historiquement, une très grande influence politique et/ou économique sur d’autres, plus faibles. Il y a des alliances de pays au sein desquelles, cependant, finissent toujours par émerger des leaders. Les choix politiques et économiques des pays dominés sont évidemment assez restreints ; leurs dirigeants n’ont guère d’autre option que de se soumettre à celles choisies par celui qui se présente toujours à eux comme un protecteur. La fin de la Guerre froide a officiellement entraîné la disparation d’un antagonisme entre deux grands groupes de nations qui furent appelés « blocs ». Ces blocs réunissaient chacun des alliés, et chacun un pays dominant. Cette perception de l’alliance politique et stratégique doit être pondérée lorsque parlant du monde de l’après-Guerre froide. Pour des raisons que le lecteur comprendra à la lecture des chapitres de ce livre consacrés aux usage et surveillance des media et de l’Internet, les journalistes, aussi compétents et consciencieux soient-ils, ne s’attardent jamais trop sur les faits d’ordre géopolitique. Et les professeurs de sciences politiques et de relations internationales s’étendent toujours plus facilement sur les évènements passés que ne couvrent plus le secret et les impératifs d’ordre diplomatique. Tous les services secrets espionnent chacun plus volontiers certains pays que d’autres, mais un phénomène remarquable est apparu depuis la fin de la Guerre froide, et celui-ci est devenu assez courant car il découle d’une nouvelle manière de se faire la guerre, c’est-à-dire autrement que par l’usage d’armes létales et visibles telles que chars, canons, avion et navires armés. Il consiste en un refus de reconnaître son ennemi comme tel, voire à le désigner à l’opinion publique comme un « allié » dans quelques cas. Une nécessité aussi logique que cruciale vient justifier de tels dénis : celle d’éviter à tout prix que le conflit ne vienne à déboucher sur un véritable affrontement armé, ou même simplement sur des mesures d’embargo économique. Car nous n’en sommes plus à redouter seulement la guerre avec ses morts et ses blessés ; il est
devenu vital pour chaque pays de maintenir des échanges économiques, et donc des relations diplomatiques avec tous les autres, même lorsque certains de ceux-ci sont des ennemis. Il y a des exceptions que l’on pourrait compter sur les doigts d’une main ; de plus, elles ne concernent que des puissances qualifiées de mineures. Il résulte de tout ceci que le public a accès, grâce aux media, aux nouvelles de ce qu’il connaît sous les noms de « politique » ou de « relations internationales », de « diplomatie », lesquelles ne présentent (sauf dans le cas de pays mineurs, incapables de déclencher un conflit armé d’envergure susceptible d’en contaminer d’autres) que ce qu’il convient d’appeler, dans le contexte de ce livre, les « visées formelles », ou « visées de forme ». Les visées formelles viennent toujours masquer des visées réelles, parce que ces dernières sont presque toujours jugées irrecevables par un public noninitié (le plus large) qui ne parvient pas à concevoir la politique internationale et ses enjeux économiques autrement que sous l’angle d’une éthique adaptée à des interactions sociales entre individus. Ce que ce grand public connaît sous le nom de « relations internationales », les initiés — parmi lesquels on trouve, tout spécialement, les cadres des services secrets — les nomment « realpolitik »[2]. De cette perception réaliste des relations internationales, et même de la politique intérieure ainsi que nous le verrons, découlent la phrase célèbre, « en politique, il n’y a ni amis ni ennemis ; seulement des intérêts », laquelle résume assez bien ce qu’est la realpolitik, en effet. Baignant au quotidien dans un milieu où la limite entre travail et vie privée est moins que ténue, et où les notions qui viennent d’être sommairement expliquées prévalent sur toute autre considération, les cadres de tous les services secrets du monde se doivent de relativiser l’importance populairement accordée à l’individualité, à l’éthique et à la morale. Car s’ils n’y parvenaient pas, ils seraient alors incapables de s’affranchir de leurs tâches quotidiennes et missions générales. Ces notions, qui forment, sur le long terme, ce que l’on peut qualifier « d’état d’esprit » étant posées, on peut enfin énumérer une liste sommaire des tâches ordinaires de tout service secret moderne, en prenant l’exemple d’un pays économiquement puissant et socialement avancé. Nous utiliserons pour ce faire la terminologie propre à ces services du XXIe siècle, et nous avertirons le lecteur que ces différentes missions génériques ne correspondent pas nécessairement à autant de départements ou divisions d’un service secret.  L’organisation d’un service secret moderne est plus complexe que ce nous en montrent parfois des organigrammes dessinés pour l’information du grand public, ainsi que nous le verrons ; c’est précisément le propos de ce livre de présenter une vision complète des services secrets modernes et de leurs missions, par son insistance sur tout ce qui a été longtemps caché. Comme la mission d’un service secret couvre tout ce qu’un État ne peut faire ouvertement ou revendiquer officiellement, la sécurité intérieure d’un pays est donc la première servie, et sa préservation est une tache fréquemment nommée depuis quelques années :

l’intelligence domestique[3], ou « espionnage domestique » ou « sécurité intérieure », est l’activité de surveillance à l’intérieur des frontières, visant à la surveillance de la population et des stabilités économique[4], politique et sociale du pays. C’est la mission prioritaire de tout service secret au XXIe siècle, c’est-à-dire avant les activités clandestines à l’étranger. Cette mission procède, pour l’essentiel, de l’usage d’un très grand nombre d’informateurs et d’agents, dans le cadre de partenariats officieux et informels avec les services de police, de gendarmerie et de douanes, et de l’entretien d’une organisation informelle de type « société secrète » lorsqu’il en existe une, au premier chef. Il existe fréquemment une relation étroite entre la mission (et les services) de contre
espionnage et celle d’intelligence domestique ; nous verrons comment et pourquoi aux chapitres suivants. Sont couramment englobées dans la mission générale de l’intelligence domestique les taches de : Surveillance des partis politiques, des organisations syndicales et corporatives, des associations et des religions universellement reconnues ; Surveillance des personnalités (élites) de tous les milieux (puisque, ayant un accès régulier aux media, celles-ci sont susceptibles d’utiliser leurs notoriété et popularité à des fins jugées subversives, délibérément ou des suites d’une influence ou d’une manipulation en provenance d’un pays étranger) ; Surveillance des employés des activités sensibles (défense, recherche, nouvelles technologies, production de matières premières importantes et d’énergie, traitement des eaux, services postaux, banque et finance, aéronautique, personnels des « entreprises clés » de la nation d’une manière générale…) ; Contrôle de la circulation des élites (contrôle et restrictions de l’accès des citoyens aux positions sociales et au pouvoir par la richesse ou la célébrité[5]). La mission d’influence domestique, également intégrée dans l’intelligence domestique, et qui comprend : Surveillance des media ; Surveillance des nouveaux media (Internet, réseaux sociaux…) ; Surveillance de la culture (littérature et musique en particulier, puisqu’étant régulièrement et historiquement utilisées par des pays étrangers, des organisations terroristes ou extrémistes de divers types à des fins subversives ou de propagande). Sont englobées dans l’intelligence domestique, mais peuvent être détachées de celle-ci dans une certaine mesure, les missions particulières de : Lutte antiterroriste ; Surveillance des groupes extrémistes politiques et/ou religieux et des sectes ; Contre-espionnage et contre-influence ; Lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée (mafias, gangs importants et particulièrement dangereux) ; Lutte contre le faux-monnayage et les activités associées de contrefaçon de documents administratifs et d’identité divers ; Lutte contre le trafic d’armes ; Lutte contre la délinquance financière (« criminalité en col blanc ») ; Surveillance des importations ; Surveillance des jeux (casinos, courses, etc.), parce ce que ceux-ci sont fortement susceptibles de servir à des fins de blanchiment d’argent et de dissimulation de revenus illégaux, ou simplement non déclarés aux administrations fiscales, en général ; Surveillance des migrations et des minorités immigrées et ethniques.

La collecte du renseignement à l’étranger : mission la plus connue et la plus popularisée des services secrets, elle englobe au XXIe siècle les activités de : Renseignement technologique : vol de découvertes scientifiques et technologiques, de procédés de fabrications et de concepts marketing et commerciaux, à vocation de défense comme civile, devant ensuite être transmis à des entreprises publiques et privées du pays (depuis la grande entreprise à la start-up, selon le cas et/ou de possibles objectifs stratégiques-économiques, ou autres, particuliers).
Cette mission implique fréquemment la création d’entreprises ou de filiales, ainsi que l’envoi d’étudiants et de travailleurs migrants dans des « pays cibles ». Comme taches associées à cette activité, on trouve, entre autres : le reverse engineering (reconstruction d’une invention par analyse d’un exemplaire produit fini qui en a bénéficié ou d’un prototype) ; la veille technologique, qui est une tache de surveillance « soft » (sans vol) des activités des entreprises publiques et privées étrangères, devant précéder une tentative de vol ou, le plus fréquemment, produisant une information importante qui doit permettre à une entreprise nationale de devancer son concurrent étranger (stimulation de l’économie privée du pays et protection et surveillance des exportations/importations). Intelligence économique, qui consiste en la surveillance des indices et données économiques par secteur d’activité et des situations financières des entreprises comme des finances publiques étrangères. Cette mission comprend également la surveillance particulière des investisseurs étrangers importants, individus comme organisations, et une surveillance accrue des possibles opérations de fusion et d’acquisition par des entreprises étrangères. On y trouve aussi la surveillance des tentatives de spéculation sur les matières premières et les produits finis (informatique et nouvelles technologies), afin d’en tirer des déductions et de pouvoir formuler des prévisions. Renseignement politique, qui consiste à surveiller les évolutions politiques des pays, d’une manière générale, pour fournir des informations au pouvoir politique comme aide à la décision et à l’initiative. Un volet particulier de cette sous-mission consiste à repérer les individus susceptibles d’accéder à des postes politiques clefs dans le futur, afin de les approcher, et, si possible, de les influencer favorablement, voire de tenter de les recruter comme agents (conscients ou inconscients) avant leur accès à des postes à responsabilité. Renseignement militaire, qui consiste à surveiller les activités des armées étrangères, la fréquence de leurs manœuvres et exercices (qui peuvent signaler une préparation à une offensive), les nouveaux matériels qu’elles acquièrent et leurs quantités, un état des fidélités et obéissance au pouvoir politique en place, etc. Cette mission englobe la recherche d’informations sur les nouvelles armes en cours de test, et elle peut aller jusqu’à la recherche de recrues potentielles (agents) au sein des armées susceptibles de fournir des informations de tous types, voire de procéder à des opérations de subversion et/ou de sabotage (cette dernière mission peut également s’appliquer aux renseignements technologique et politique et à l’intelligence économique[6]). Surveillance des télécommunications, une sous-mission qui implique des moyens technologiques lourds et coûteux, auxquels ne peuvent prétendre qu’un nombre relativement réduit de pays. Elle consiste à acquérir une capacité à intercepter les communications téléphoniques et assimilées (Internet) par fil comme par les ondes, dans le but de pouvoir sélectionner celles qui sont susceptibles de contenir des informations jugées importantes, à tous niveaux. Surveillance des signaux radioélectriques : assez proche de la surveillance des télécommunications, cette sous-mission consiste, plus spécifiquement, en une surveillance des émissions radioélectriques et en (l’éventuel) décryptage de celles-ci, ce qui comprend : les signaux radioélectriques émis par les avions, les navires, les satellites, et aussi les radars[7]. La veille des media et des publications étrangers, n’est pas une mission distincte de celles précédemment évoquées ; elle est partie constituante de chacune de celles-ci selon les spécialités. Les publications et les media étrangers sont surveillés par une catégorie d’employés des services secrets appelés analystes. Les analystes ne se consacrent pas exclusivement à la lecture de toutes les publications des pays dont ils sont des spécialistes ; une telle tâche impliquerait le recrutement
d’armées entières de tels employés, ce qui serait extrêmement coûteux et improductif. De plus, les analystes sont déjà en charge d’interpréter les informations en provenance d’agents en place dans les pays cibles, lesquelles sont acheminées jusqu’à eux de manières diverses et variées[8]. Ce travail permet, entre autres, mais principalement, d’informer l’élite dirigeante du pays sur ce qu’il se passe à étranger, et constitue en cela une aide aux décisions politiques et économiques. En fait, ce sont des « sources » et « contacts réguliers » (souvent informels) des services secrets qui repèrent les informations intéressantes dans les media étrangers, et les signalent, soit spontanément sur Internet où elles sont ensuite repérées et collectées parce qu’ainsi mises en évidence, soit directement à des contacts qui peuvent être des agents ou des journalistes (ce qui est bien souvent la même chose). De plus, les agences de presse de tous les pays étant les premières informées des faits d’actualité, celles-ci sont toujours en contact plus ou moins direct avec les services secrets de leurs pays respectifs, ce qui facilite grandement la collection[9] d’« informations ouvertes[10] » en provenance de la presse, ou depuis les endroits mêmes où les évènements se sont produits, donc avant leur publication dans la presse. Bien que la mission de renseignement en général que nous venons de voir implique assez fréquemment le vol d’informations confidentielles, on peut considérer qu’il s’agit d’une activité essentiellement « passive », lorsque comparée aux tâches de la mission générale qui sont présentées plus loin, puisque pour dérober une information, encore faut-il, au préalable, qu’un pays cible la produise d’une manière ou d’une autre. La mission réellement active des services secrets dans le contexte de la surveillance des media comprend, pêle-mêle, des activités relevant de la « guerre de l’information » (ou infoguerre, ou Information Warfare) dans le pays comme à l’étranger, et qui sont généralement de nature hostile. Cette mission est aussi peu connue du grand public que celle d’intelligence domestique en général ; c’est pourquoi nous la développerons plus amplement que la précédente dans quelques chapitres. Celle-ci comprend :

La propagande (ou influence), qui est diffusée par les services secrets autant dans leurs pays d’origine qu’à l’étranger. La propagande peut facilement être assimilée à de la publicité, parce qu’elle en emprunte souvent les mêmes supports et formes et techniques. Cette mission comprend : La propagande blanche, le plus souvent diffusée à l’intérieur des frontières, qui a pour vocation de flatter (grossir plus ou moins exagérément) une information, la réputation d’un personnage jouant un rôle clef ou devant être prochainement appelé à en jouer un à quelque niveau (politique, artistique, économique…), une nouvelle alliance (économique ou culturelle) avec un autre pays dans le cadre de l’action diplomatique, etc. La propagande noire, toujours conçue pour nuire à un pays étranger, à une ou plusieurs de ses entreprises, à une ou plusieurs de ses personnalités. La propagande noire peut également être diffusée, sélectivement, soit à l’intérieur des frontières, soit à l’intérieur des frontières du pays attaqué, soit dans un pays tiers dans le but de nuire aux bonnes relations entre ce dernier et un pays cible, soit une combinaison de ces différentes possibilités, partielle ou globale. Par exemple, une action de propagande noire dirigée contre un pays étranger, cependant circonscrite dans son action à l’intérieur des frontières du pays qui en est l’auteur, peut servir : 1. à faire baisser la popularité de ce pays cible (de ses produits, de sa politique…) auprès de l’opinion publique parce qu’elle est jugée gênante, économiquement ou politiquement ; 2. à envoyer indirectement et non-officiellement un « message » hostile au pays cible dans le cadre
des relations diplomatiques courantes (faire mettre le feu à un McDonald par un groupe de militants quelconque manipulé par les services secrets, par exemple) ; 3. à adresser une réplique (avertissement) à une action de propagande (avérée ou perçue comme telle) en provenance du pays cible (contre-influence).

L’action de propagande noire dirigée contre un pays cible, et effectuée à l’intérieur des frontières de ce dernier, peut servir (entre autres exemples, car la diversité des buts est grande) à : – déstabiliser un candidat à l’occasion d’élections nationales, car on sait que les positions qu’il prendra, s’il est élu, seront défavorables aux intérêts du pays qui en est l’auteur ; – tenter d’influencer des décisions ou des votes à l’occasion de grands rendez-vous internationaux dans le pays cible ; – tenter de faire se retourner l’opinion publique du pays cible contre ses dirigeants, et ainsi, au plus simple, de faire renoncer ceux-ci à voter une loi qui sera défavorable aux intérêts du pays auteur de l’action de propagande noire ; – favoriser l’élection d’un candidat dont on sait qu’il a des sympathies pour le pays auteur de cette action de propagande, ou, s’il est élu, votera dans l’intérêt de ce dernier à l’occasion d’une prochaine réunion internationale d’importance ; – attaquer une entreprise de ce pays et/ou ses produits et services (pour des raisons économiques et stratégiques, le plus souvent). On le voit, l’action de propagande défie plus l’éthique et la morale chère au peuple que le vol d’informations sensibles. C’est pourquoi les services secrets refusent toujours de s’étendre sur cet aspect de leur mission générale durant des interviews ou des reportages ; ils le nient en bloc, même. Car tout service secret compte bien acquérir une image qui lui est favorable auprès de la nation, auréolée d’héroïsme, ainsi que l’indiquent les « retours au pays » en fanfare des agents qui ont été capturés ou retenus en otages durant leurs missions à l’étranger — il faut aussi mentionner les livres régulièrement publiés par des anciens des services, et qui insistent presque toujours sur de spectaculaires missions dangereuses ou des captures réussies de terroristes et d’espions étrangers. Mais la sous-mission de propagande est encore loin de heurter les considérations morales et éthique populaire autant que peuvent le faire certains aspects de l’intelligence domestique, ou même seulement le quotidien caché des agents et des employés des services secrets, ainsi que nous le verrons. Selon les pays, la propagande entreprise par un service secret peut prendre des noms communiquant des perceptions fort différentes les unes des autres ; presque tous cherchent à être aussi peu explicites que possible, toujours en raison de cette connotation négative et très impopulaire que nous venons d’évoquer : « mesures actives » en Union Soviétique, puis en Russie, « public diplomacy » aux États-Unis… L’influence : lorsque ce terme n’est pas utilisé au sens général englobant les différentes formes de propagande dans le pays ou à l’étranger, il est une dernière forme, plus subtile et parfois très difficile à identifier, de propagande, ou qui peut être assimilée à cette dernière. C’est pourquoi cette sousmission mérite d’être bien expliquée. Une « action d’influence » peut être dirigée contre un petit groupe d’individus, voire contre un individu seul, ou contre une nation tout entière. Dans ce dernier cas, il est souvent difficile de marquer la distinction entre propagande et influence strictement parlant (être influencé, dans ses pensées, ses décisions…). Cependant, les actions d’influence impliquent souvent un seul acteur que l’on nomme alors « agent d’influence », tandis qu’il n’existe pas d’« agent de propagande » (même si,
bien souvent également, un seul agent est à l’origine d’une action de propagande). La propagande peut être une action soudaine, de brève durée et très visible ; l’influence est toujours très progressive, insidieuse, et elle s’inscrit dans une mission de longue, voire de très longue durée ; elle vise à modifier durablement l’entendement de ceux qui doivent en être les victimes. L’influence, comme son nom l’indique, consiste à influencer les gens, avec, toujours, l’espoir qu’ils n’aient absolument pas conscience d’avoir été influencés lorsque la mission arrive à son terme. Tous les services secrets du monde utilisent le même « manuel de base », pourtant rédigé il y a 2600 ans : L’Art de la guerre, par le stratège chinois Sun Tzu. Et la citation la plus fréquemment extraite de ce petit livre dit, sans ambiguïté aucune cette fois : « tout l’art de la guerre repose sur la duperie ». Les cadres des services secrets l’associent bien volontiers à celle d’un autre stratège, allemand, et du XIXe siècle celui-ci, Karl Von Clausewitz : « la guerre est la poursuite de la politique par d’autres moyens »[11]. Il faut, bien sûr, placer ces mots dans leur contexte actuel, lequel a été lui-même largement façonné par les services secrets de tous les pays. Il y a seulement un demi-siècle, la guerre avait une signification universelle comprise de tous ; aujourd’hui, les services secrets, dont le pouvoir s’est considérablement agrandi, au point qu’il est devenu un État dans l’État dans bien des pays, et dont les chefs deviennent souvent chefs d’État de leur pays, parlent de « guerre économique », de « guerre informationnelle », de « guerre technologique »… Les effets directs et les plus visibles de ces « guerres » du XXIe siècle ne se comptent plus en morts ni en blessés, mais en chômeurs, et en ce que certains appellent des « âmes perdues », d’autres des « zombies », nous verrons pourquoi plus loin. L’agit-prop : est un terme des services secrets relativement ancien et qui n’est plus guère en usage courant, parce qu’il désigne des activités englobées dans les sous-missions de propagande et d’influence. Spécifiquement, l’opération d’agit-prop (pour « agitation et propagande ») implique presque toujours des agents (conscients ou non) ayant une aptitude particulière de leader, et qui sont prompts à tenter de rassembler des individus au nom d’une cause quelconque en laquelle ils croient souvent sincèrement. L’agent d’agit-prop est plus souvent une personne sincère qui est manipulée qu’un agent conscient qui ment constamment. Les buts d’une mission d’agit-prop peuvent être, entre autres cas : – la création d’un vrai mouvement contestataire ou de dissidence dans un pays étranger, et/ou la phase préalable et préparatoire à une tentative de coup d’État ; – la création d’un faux mouvement dans le pays (ou d’un mouvement sous contrôle) contestataire ou de dissidence, dont l’unique vocation n’est autre que d’attirer des individus ayant sincèrement les mêmes idées, pour pouvoir les identifier, voire placer leurs actions sous le contrôle discret des services secrets (à l’insu des intéressés, bien entendu). Ce cas relève fréquemment, de nos jours, de la mission, plus générale, de lutte contre le terrorisme, de lutte contre les mouvements autonomistes et irrédentistes et de lutte contre des formes de dissidence politique réelles susceptibles de nuire à la stabilité sociale du pays[12] ; – la création d’un vrai mouvement d’opinion à l’intérieur des frontières devant influencer l’opinion publique en faveur d’options politiques que le gouvernement du pays ne pourrait tenter d’imposer de lui-même et par lui-même sinon, soit en raison d’une question d’ordre diplomatique, soit parce que la population refuserait une telle option si elle ne semblait provenir d’elle. Exemples : il faut nécessairement des leaders d’opinion pour initier des mouvements populaires anti dirigés contre un pays en particulier et sa culture ; une loi pourra plus facilement être votée et acceptée par la population si elle semble répondre au désir ou au besoin d’une minorité significative
au minimum, laquelle aura été, dans les faits, mais à l’insu de tous, rassemblée et contrôlée dans le cadre d’une opération d’agit-prop initiée par les services secrets.

La protection des personnalités est une mission fréquemment prise en charge par les services secrets, de manière directe ou par l’intermédiaire de policiers ou de gardes en contact permanent avec ceux-ci. Le volet le plus large de cette sous-mission concerne la protection des personnalités « connues » ou « importantes », ce qui permet du même coup de surveiller leurs éventuels agissements suspects (toujours possibles), et de filtrer les tentatives de contact avec celles-ci par des individus inconnus ou susceptibles de les influencer dans un sens qui pourrait être contraire aux intérêts nationaux (protection contre les tentatives d’influences en provenance de l’étranger et leurs agents). Le volet marginal de la protection des personnalités, plus discret, concerne des ressortissants étrangers en exil populairement connus dans leurs pays, qui sont recherchés ou ont été condamnés dans leurs pays, mais qui sont susceptibles d’y jouer un rôle important dans un futur plus ou moins lointain, en cas de changement de gouvernement ou de renversement du pouvoir en place. De tels individus, selon leur importance passée ou actuelle et leur popularité dans leur pays d’origine, seront plus ou moins bien traités. Car s’ils retournent dans leur pays plus tard, où ils seront souvent accueillis comme des héros, ils seront alors fortement susceptibles d’y exercer rapidement des fonctions politiques au plus haut niveau, et, en tant que tels, ils seront de puissants « leviers » dans leur pays, en « reconnaissance » à celui qui les aura protégés durant leurs exils. Il n’est donc pas rare que ces réfugiés revenus dans leur pays y deviennent des agents à part entière des services secrets du pays qui les a pris sous sa protection.

Toujours concernant les « missions actives » nous trouvons ensuite :

Les actions hostiles physiques comprenant : Le sabotage, qui peut être effectué contre un large choix de cibles, et dont les formes n’ont de limites que celles de l’imagination. Ce genre de missions actives va, du plus simple au plus compliqué, du sabotage d’un véhicule en vue de l’immobiliser ou de créer des dépenses lourdes pour son propriétaire (cas d’un harcèlement), à l’attaque informatique massive en vue de saturer un serveur, à la destruction de matériels lourds de toutes sortes (station d’épuration des eaux, centrale nucléaire, centrifugeuses d’uranium enrichi, lignes caténaires de trains…). Ce type d’action présente la particularité d’être presque toujours accompli par des militaires-spécialistes très entraînés et dont les unités sont plus ou moins officiellement rattachées à un service secret ou ponctuellement employées par ceux-ci ; ou, lorsque ce n’est pas le cas, d’être supervisé par des personnels civils ou agents ayant une compétence particulière. Les actions de sabotage sont courantes et peuvent être effectuées : autant à l’intérieur des frontières contre des cibles désignées comme hostiles et nuisibles aux intérêts nationaux, que dans des pays étrangers. Dans le premier cas, l’action de sabotage est presque toujours ordonnée par un service de contre-espionnage, dont nous verrons la mission plus loin. Le harcèlement, qui est une des sous-missions actives les plus courantes et les plus ordinaires des services secrets. Une opération de harcèlement peut être dirigée contre des individus isolés ou des entreprises et organisations diverses (dans le pays ou à l’étranger), et elle vise généralement : soit à contraindre une personne ou un groupe de personnes (entreprise, association ou assimilé) à se soumettre implicitement à la volonté d’un service secret, via un intermédiaire qui ne se présentera
jamais clairement comme un agent de ce même service, afin de ne pas courir le risque d’exposer publiquement celui-ci ; soit à pousser un individu ou une entreprise à cesser une activité ou à quitter le pays ; soit à l’élimination sociale ou physique d’un individu ou d’une entreprise. Les expressions « élimination sociale » et « élimination physique » signifient ici, respectivement, la fabrication d’un discrédit important contre un individu, et une action visant à le pousser à mettre fin à ses jours (suicide), ou à provoquer sa mort. Le harcèlement étant un acte très impopulaire et considéré par l’opinion publique comme une forme de perversion, ce type de mission est toujours exécuté avec de très grandes précautions. Une opération de harcèlement implique fréquemment un assez grand nombre d’agents et de contacts occupant chacun, ordinairement, des activités professionnelles diverses et variées (depuis l’électricien au psychiatre, en passant par l’employé de banque et autres services publics…). Cette sous-mission aussi particulière que méconnue sera largement présentée dans ce livre. L’élimination sociale est presque toujours la suite logique de l’opération de harcèlement précédemment évoquée, et, ainsi que son intitulé le suggère, elle concerne un individu. L’élimination sociale consiste en la fabrication du discrédit, lequel peut revêtir diverses formes, scandaleuses ou/et particulièrement dégradantes pour celui qui en est la cible. Elle est souvent accompagnée d’une « destruction » des moyens économiques de la cible (emploi, rentes…), puisque ceux-ci contribuent largement à la crédibilité. Le lecteur sera peut-être surpris d’apprendre que les services secrets emploient couramment l’élimination sociale contre leurs propres agents et sources, soit pour prévenir un risque de révélation d’informations de nature confidentielle et nuisibles à la réputation du service secret luimême, d’une personnalité en vue, d’une entreprise ou d’une institution gouvernementale, soit dans le cadre d’un recrutement hostile, ainsi que nous le verrons dans un autre chapitre. L’élimination physique désigne bien l’assassinat, lequel, en ce XXIe siècle, est rarement exécuté selon les modalités spectaculaires que le cinéma et la littérature présentent régulièrement au grand public. Car, dans une large majorité de cas, il est nécessaire que l’attention de l’opinion publique ne soit pas éveillée par un cas de mort suspecte, lequel mène inévitablement à des recherches concernant les causes possibles du décès. C’est pourquoi les cibles[13] de ce genre de sous-mission décèdent le plus fréquemment par suicide suivant une dépression, soit des suites d’une maladie ordinaire ou d’un accident, souvent en rapport avec les activités et penchants naturels de celles-ci (alcoolisme, tabagisme, stupéfiants, sexe, sport à risque…). Les éliminations physiques violentes existent cependant, et celles-ci peuvent avoir trois causes, principalement : 1. la cible fréquentait des milieux interlopes dans lesquels la violence physique est courante et notoire (gangs, mafias, organisations terroristes, sectes, etc.) ; 2. la cible a été placée dans une situation où le risque de mort violente est élevé (altercation suite à un cambriolage dans la demeure de la cible, mise en contact de la cible avec un malade mental, sport ou activité réputée à haut risque, telle que parachutisme, parapente, alpinisme, conduite à grande vitesse, pilotage…) 3. la mort violente est parfois utilisée, en seconde instance, comme un avertissement adressé à d’autres personnes concernées. Par exemple : une mort violente par arme conventionnelle peut être sujette à diverses interprétations et spéculations ; une mort violente par empoisonnement à l’aide de substances particulièrement rares et difficiles à se procurer (le polonium, par exemple) laisse peu de doutes sur l’auteur présumé : un État, le seul ayant accès à ce type de poisons hautement toxiques et à
savoir les utiliser. L’opération paramilitaire, quoiqu’officiellement exécutée par des militaires, ou par des mercenaires, est toujours une mission supervisée par les services secrets. Il n’est pas nécessaire de décrire plus amplement ce type de sous-missions, puisque l’actualité la rapporte largement et fréquemment. Tout juste peut-il être utile de rappeler que tout service secret dispose d’unités militaires d’élite devant se tenir toujours prêtes à intervenir à l’étranger, dans le cadre d’opérations diverses et variées, depuis le sauvetage et la récupération d’un otage ou d’un agent[14] à la participation discrète à un coup d’État.

Nous arrivons à une sous-mission générale qui peut revêtir des aspects passifs et actifs, c’est pourquoi celle-ci fera l’objet de présentations séparées.

Le contre-espionnage défensif est une sous-mission qui a été largement popularisée par le cinéma et la littérature de fiction, et aussi par quelques essais écrits par des personnels des services de contre-espionnage. Le contre-espionnage est, dans son principe et à la base, une activité quasi policière de recherche et d’investigation, puisqu’elle consiste à chercher et à identifier des espions envoyés dans le pays par des puissances étrangères, et même des espions payés par des entreprises qui cherchent à savoir ce que font leurs concurrents les plus importants (espionnage industriel et économique). Mais le grand public ignore à peu près tout du contre-espionnage au-delà de cette première étape d’investigation policière, la seconde relevant couramment du : Contre-espionnage offensif, qui est un second volet de la mission générale de contre-espionnage. Le contre-espionnage offensif est une activité très particulière parce qu’elle associe de hautes capacités intellectuelles (que l’on pourrait qualifier de « raffinées ») à des actes crapuleux que la morale et l’éthique réprouvent fermement. Ce que l’on appelle des « agents doubles », personnages qui ont tout de même largement été popularisés par la littérature et le cinéma, sont un produit exclusif du contre-espionnage offensif. Car la mission principale du contre-espionnage offensif est l’« intoxication » des services secrets étrangers par la manipulation de l’espion que ceux-ci ont envoyé en mission, ou par d’autres méthodes, tactiques ou stratégies. En ce XXIe siècle plus que jamais, chaque fois qu’un service de contre-espionnage démasque un espion étranger, il considère qu’il est infiniment plus productif d’en faire un agent double que de l’expulser hors des frontières ou de le condamner à une lourde peine. Aussi, l’arrestation officielle d’un espion a toujours une conséquence diplomatique, ainsi qu’une influence sur l’opinion publique concernant le pays impliqué. Or, en vertu de qui a été expliqué au tout début de cette introduction, ces conséquence et influence sont rarement désirées. C’est pourquoi l’arrestation médiatisée d’espions étrangers s’inscrit toujours, aujourd’hui, dans le contexte d’une manœuvre diplomatique, visant généralement à obtenir des concessions ou à placer utilement un pays en position de faiblesse (à l’occasion d’une grande rencontre internationale proche dans le temps, et lors de laquelle des négociations doivent prendre place). L’arrestation d’un espion étant devenue une manœuvre politique, la date effective de celle-ci est désormais toujours définie en accord avec les plus hautes instances gouvernementales et diplomatiques. Par exemple, les États-Unis, durant les 40 dernières années, environ, se sont contentés de discrètement expulser de leur territoire d’innombrables espions étrangers envoyés par des pays qui sont officiellement leurs alliés militaires et politiques [15].
Ces explications expliquent pourquoi les affaires d’espionnage rapportées par les media sont devenues rares, car il n’y a pas moins d’espions aujourd’hui que durant la Guerre froide — c’est même tout le contraire. Enfin, nous arrivons à la présentation des missions internes des services secrets, lesquelles ne sont pas exclusivement administratives. Il y a, bien sûr, un « service du personnel », de même qu’il y a des personnels chargés de tâches comptables et budgétaires, de même qu’il y a un service chargé du bon entretien des locaux principaux et annexes (électricité, plomberie et maçonnerie comprises), un service du matériel en usage courant dans un service secret (quoique cette partie est fréquemment gérée de manière autonome par spécialités), etc. Le plus important de tous ces services « annexes » est certainement aussi le plus sensible entre tous ; il s’agit du

Service de sécurité intérieure, dont la mission consiste à surveiller chaque employé des services secrets, afin de prévenir d’éventuelles fuites d’informations, des écarts de conduite pouvant mener à des fuites ou à des expositions des activités des services, et bien sûr des trahisons, toujours possibles. Le travail du service de sécurité intérieure est assez similaire à celui d’un service de contre-espionnage (ou même d’un service de sécurité d’un grand magasin chargé de surveiller ses employés), sauf que le champ d’action de celui-ci se limite aux personnels des services secrets ainsi qu’à leurs familles et relations. Lorsqu’un service secret suspecte d’avoir été pénétré (infiltré) par un espion d’un autre pays (que l’on appelle populairement une « taupe »[16]), c’est le service de sécurité intérieure qui se voit ordinairement confier la tâche de l’identifier. Le service de sécurité intérieure a également une place et un statut particuliers au sein d’un service secret, parce que, celui-ci ne collaborant jamais avec aucun des autres services ou départements, et n’entretenant donc pas de relations avec les personnels de ceux-ci, ses membres y sont perçus comme des gens isolés, ou comme une police interne redoutée[17]. Le service de sécurité intérieure à pour autre responsabilité de superviser la mission du

Service de sécurité extérieure, lequel peut être assimilé à un service somme toute ordinaire de sécurité physique des services secrets, c’est-à-dire à un service de gardiennage de ses locaux et du contrôle des entrées et sorties quotidiennes des personnels, des contrôles d’objets apportés et emportés par ces derniers, grâce à des moyens techniques et des fouilles et inspections des vêtements, bagages et véhicules.

Cette présentation d’un service secret type d’un pays riche n’est pas exhaustive, et elle ne permet pas de se représenter précisément ses tailles, moyens techniques et personnels ainsi que ses différents services ; y consacrer la totalité des pages de ce livre n’y suffirait encore pas. Typiquement, un service secret a un quartier général, mais il a toujours, aussi, de nombreux locaux et annexes secrets disséminés dans son pays, dont les adresses sont inconnues du grand public et qui, bien souvent, se présentent sous des couvertures[18] que des non-initiés trouveraient inattendues ou insolites. Par exemple, il est fréquent qu’un bâtiment administratif aussi anodin qu’un ministère ou une annexe de ministère ait une partie de ses locaux occupée par une section d’une direction, d’un département ou d’un service, ou par une antenne régionale d’intelligence domestique, de contreespionnage ou d’appui ou d’assistance technique… Nous n’avons même pas encore ne serait-ce qu’entrevu toutes les entreprises privées sous contrôle
des services secrets, et le lecteur aurait certainement peine à croire qu’il existe également de véritables villages des services secrets ayant (à quelques petits détails près) toutes les apparences d’un village ordinaire. Ces villages sont des « ruches » délocalisées des services secrets réunissant des analystes, des techniciens ou des spécialistes de la surveillance physique (filatures, etc.)[19]. À cela vient s’ajouter une éventuelle multiplicité des agences de renseignement diverses, civiles et militaires d’un même pays (y compris les services spécialisés de lutte contre le terrorisme, le fauxmonnayage, les services de renseignement militaire, etc.) qui, ensemble, forment ce que les spécialistes nomment une « communauté du renseignement »[20]. Ensuite, il est encore plus difficile de se figurer simultanément le nombre total de personnes œuvrant à temps plein pour les services secrets d’une grande puissance économique, et celui de ses officiers traitants, agents, contacts et sources. Il ne serait pas inexact de se représenter cet ensemble sous la forme d’un grand « arbre », avec son « tronc », ses « grosses branches » et ses « grosses racines principales » comme les personnels à temps plein et moyens structurels et techniques, et ses « racines » et « branches secondaires », jusqu’aux « feuilles » et « bourgeons », comme ses contacts humains à partir du niveau des officiers traitants. Pas plus qu’il serait inexact de se représenter l’ensemble d’une organisation de ce type sous la forme d’un « système nerveux », avec toutes ses « terminaisons nerveuses », jusqu’aux « pointes des pieds ». Le « tronc » (ou le « cerveau ») d’une organisation de ce genre emploi typiquement, dans le cas d’un pays occidental classé parmi, disons, les 20 premières puissances économiques, plusieurs milliers de personnes employées à temps plein, avec une moyenne comprise entre 10 000 et 20 000. Tous les individus qui sont « attachés » à ce « tronc » (ou qui sont en connexion avec ce « cerveau ») forment un groupe qui peut aisément et fréquemment représenter plusieurs centaines de milliers d’individus, voire plusieurs millions dans quelques cas (selon quelques évaluations). Car tous les services secrets s’abreuvent quotidiennement à d’autres sources d’informateurs, à commencer par les réseaux immédiatement opérationnels des « contacts privilégiés » et « informateurs » des services de police ordinaire, de gendarmerie (le plus grand dans quelques pays où la gendarmerie est un corps militaire), de douanes et de services fiscaux. Et l’on pourrait encore ajouter le réseau informel de certaines corporations dont les travailleurs sont toujours plus prompts que ceux des autres à collaborer, et qui, en raison de leurs spécialités respectives, sont amenés à rencontrer de grands nombres de personnes ou à naturellement être informés de tous les faits extra-ordinaires ou jugés « anormaux » de leurs villages, communes et villes : les pompiers, les employés des services postaux, les services d’urgences médicales et les ambulanciers, les sociétés de gardiennage, les chauffeurs de taxi, les maires et les employés municipaux, et, « traditionnellement » pourrait-on dire dans de nombreux pays, les propriétaires et personnels des bars, cafés, restaurants et hôtels. Ces dernières sources d’informations immédiatement disponibles sont considérablement réduites à l’extérieur des frontières, bien sûr, car au-delà de celles-ci, c’est un service allié ou rival qui en jouit pleinement. De toute façon, il serait impossible d’arriver à un nombre exact, quel que soit le pays considéré, puisque celui-ci change quotidiennement, au gré des recrutements jugés nécessaires et des disparitions de sources et d’employés, en raison des maladies, invalidités et décès. Dans de nombreux pays européens, la fin de l’occupation nazie et la récupération des archives de police laissées par l’armée allemande a permis au grand public de se représenter, à la fois combien la plupart des individus sont prompts à dénoncer leurs semblables pour diverses raisons qui vont de
la peur aux jalousies et rivalités ordinaires, et quelle proportion de la population collabora de la sorte. Il n’était alors pas question d’un « nombre d’individus sur cent », mais sur dix, et dans le cas de quelques pays sur 5 ou sur 6[21].
RESSOURCES HUMAINES ORGANISATION ET HIÉRARCHIE DES SERVICES SECRETS ET DE LEURS RÉSEAUX
De la source inconsciente au cadre des services.
Depuis l’époque de la Guerre froide, les services secrets de tous les pays ont connu un développement que l’on pourrait qualifier d’exponentiel. Il y a quelques années, un spécialiste anglais de l’espionnage écrivait dans un article de l’International Journal of Intelligence and Counterintelligence[22], parlant du développement des activités d’intelligence domestique dans un pays du Sud de l’Afrique, que les services secrets y employaient des méthodes avec la population ordinairement utilisées avec des agents secrets. Ce pays s’était embarqué dans une politique de contrôle total de la population peut-être plus ambitieuse encore que celle qui avait précédemment été entreprise en Union Soviétique et en Chine maoïste. Avant de décrire le fonctionnement d’un modèle type de service secret et de son organisation, il convient de comprendre les causes de ce fort développement de ses moyens et effectifs que l’on constate dans beaucoup de pays, car elles sont multiples. Tout d’abord, de nombreux experts géopoliticiens, historiens, stratèges et même économistes sont d’accord pour dire que l’ancienne division du monde en deux blocs de pays, chacun grossièrement appelé « Est » et « Ouest », apportait quelques bienfaits avec ses craintes d’une guerre nucléaire généralisée. En effet, avec la fin effective de l’Union Soviétique disparurent du même coup les notions élémentaires d’ennemi et d’ami, lesquelles avaient permis jusque-là aux populations de (presque) tous les identifier sur la carte du monde. Pourtant, nous avons appris depuis, bien souvent à nos dépens, que les vieux antagonismes n’ont nullement disparu ; pire, une censure générale s’abat désormais systématiquement sur toute tentative de les nommer. Le monde de l’après-Guerre froide est, à certains égards, devenu un monde « schizophrène » dans lequel il faut s’accrocher à un fantasme de paix et de bonne entente universelles autour d’une table commune sous laquelle pleuvent des coups de pieds bien réels. Dans les pays les plus impliqués dans cette nouvelle guerre censée n’exister que dans les imaginations les plus fertiles, c’est la population qui est la plus exposée et qui en subit effectivement le plus les conséquences ; elle doit prendre les coups tout en étant contrainte, sous la menace d’une accusation de délire, de dire que c’est « la fatalité » qui les lui donne. Et du coup, cette schizophrénie s’est étendue aux effets secondaires de cette étrange guerre, puisque, comme « elle n’existe pas », il n’y a donc aucune raison de limiter les échanges commerciaux et privés avec des pays ennemis. Alors, pour tout de même réagir contre cet évident danger de l’ennemi dans la maison sans accepter de le désigner nommément comme tel, il a fallu inventer de nouvelles méthodes de défense. La première fut de développer considérablement le champ d’action des services secrets à l’intérieur des frontières, afin de surveiller et limiter le plus possible les risques que peut (potentiellement, à tout le moins) représenter l’entreprise étrangère qui s’installe sur le sol national pour y vendre ses produits. Ceci implique d’obliger de telles entreprises à recruter sur place. On peut y parvenir de diverses manières, à commencer par la mise en place d’obligations légales et autres règlements administratifs et syndicaux divers. Puis, en cas de refus de l’entreprise étrangère concernée, d’utiliser
les moyens de l’agit-prop et de la propagande noire pour brandir de faux motifs (les visées formelles décrites au premier chapitre de ce livre) tels que « xénophobie », « refus injustifié d’accepter les règles et culture du pays d’accueil », etc. Bref, contraindre par tous les moyens cet ennemi à ne pas importer aussi sa culture, perçue comme une maladie mortelle. Car, le lecteur l’imagine sans peine, à l’obligation très officielle pour ces entreprises étrangères implantées sur le sol national de recruter le plus possible de main-d’œuvre locale, est associée celle, implicite, de savoir que des mouchards en feront forcément partie. Viennent également diverses organisations syndicales ayant une capacité à exercer un pouvoir au sein de l’entreprise, c’est-à-dire à exercer également une influence sur les employés qui ne sont pas des mouchards et qui refusent de l’être. C’est ainsi que la schizophrénie des relations internationales parvient à s’engouffrer également dans le quotidien d’employés ordinaires, et qu’elle contamine les individus qui ne se sentent pas concernés par le sujet des relations internationales, ni ne voulaient en entendre parler. Il en résulte, pour tous ces gens qui ne cherchaient qu’à gagner leur vie, une atmosphère professionnelle de méfiance réciproque, de tensions, de pressions diverses permanentes et de conspirations de bureau qui déteignent inévitablement sur la vie à l’extérieur de l’entreprise. Mais ce nouvel état de « l’entreprise privée sous surveillance d’État » s’est étendu à celles du pays, puisque, ainsi que nous l’avons vu dans le chapitre précédent, ces dernières sont susceptibles d’être pénétrées et espionnées par l’ennemi (que celui-ci soit simple concurrent commercial ou service secret étranger, peu importe). C’est pourquoi les services secrets d’aujourd’hui veulent également avoir des contacts et des mouchards au sein de ces autres-là, pour y surveiller aussi ses compatriotes. Pour ce faire, ils ont trouvé des prétextes tels que placer d’ex-militaires aux postes d’encadrement, « parce qu’ils ont une solide expérience du management ». Cette étape de l’entreprise privée sous surveillance d’État marque bien la présence de symptômes de paranoïa dans cette schizophrénie artificielle (puisqu’elle n’en est pas vraiment une au sens médical du terme, le lecteur l’aura compris). Les « employés mouchards » que nous venons d’identifier et de présenter, et dont nous venons du même coup d’expliquer la raison d’être, sont de bons exemples de la forme que peuvent prendre les ultimes ramifications d’un service secret : celles qui sont les plus éloignées de ce « tronc » que l’on appelle communément, dans pratiquement chaque pays aujourd’hui, la « communauté du renseignement ». C’est pourquoi nous allons examiner un modèle typique de service secret occidental du XXIe siècle, son organisation et son mode de fonctionnement, en commençant par le « petit mouchard », cet agent inconscient et ponctuel des services secrets qui n’en est pourtant pas un au sens strict du terme — dans les faits, il est un simple mouchard qui ignore totalement (et doit nécessairement ignorer) où vont les petits secrets de bureau qu’il rapporte. La présentation qui suit ne concerne que les acteurs de l’intelligence domestique, donc en aucun cas des agents envoyés dans un pays étranger ; cependant, la différence est minime.

LES CLANDESTINS

Le petit mouchard est un citoyen ordinaire, même pas un agent entraîné qui use des apparences avantageuses d’un innocent Monsieur-tout-le-monde. Cependant, au cas par cas, celui qui recueille les confidences du petit mouchard lui laisse la liberté de penser ce qu’il est et de ce qu’il fait ; bien souvent, ce dernier se prend à un jeu qu’il a lui-même imaginé. Certains transmettent des informations importantes à la police, d’autres à l’administration fiscale, d’autres à un « ami influent », etc.
Quelques-uns vont jusqu’à se voir agent secret. Tous espèrent une certaine reconnaissance de ce qu’ils font ; simple reconnaissance de principe ou petits services rendus en retour. Mais l’immense majorité de ces mouchards argue du patriotisme sans lequel ils douteraient bien vite du bien-fondé de leurs dénonciations ordinaires. Dans le cas du petit mouchard comme dans celui de tous ceux qui sont plus près du tronc, les services secrets ne sont jamais dupes et, de toute façon, ils ne s’en remettent jamais à la seule confiance. Nous aurons, dans un prochain chapitre, l’occasion d’étudier en détail la dimension psychologique du monde des services secrets, car elle est très riche.

SUITE PDF ICI : https://sergemarjollet.mouvup.live/wp-content/uploads/2017/02/lieutenant-colonel-x-methodes-speciales-services-secrets.pdf
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Missions, méthodes, techniques spéciales des services secrets au 21e siècle

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