Séisme en Turquie, dizaines de morts!Un séisme de magnitude 5,9 selon l'USGS et selon le Centre sismologique Euro-méditerranéen, a secoué l'est de la Turquie, dans la région d'Elazig, la nuit dernière. Son épicentre (voir carte ci-contre) se trouve à 74 km à l'est de la ville d'Elazig et à 16 km au sud de Karakoçan (30 000 habitants). Sa profondeur serait de 2 km.
De nombreuses répliques ont eu lieu depuis dont certaines assez fortes, jusqu'à 5,8 de magnitude ou comme celle-ci de 4,9 de magnitude.
D'après les premières informations, il y aurait des dizaines de morts (une soixantaine) et de nombreux blessés, en particulier dans les villages d'Okcular, de Yukari Kanatli et Kayali où les maisons, de construction artisanale, ne peuvent résister à un séisme de cette importance. La Turquie est sous la menace permanente de séismes, en raison des failles qui la traversent (voir carte tectonique ci-dessous, faite par Rolando Armijo (IPGP, CNRS).
Cette carte montre l'ensemble des contraintes qui s'exercent sur le sol turc. Avec notamment la grande faille nord Anatolienne, la plus dangereuse, qui menace Istanbul via son segment qui court sous la mer de Marmara. Lire ici et ici un reportage dans Libération sur ce sujet.
A bord du navire le Marion-Dufresne, j'avais recueilli l'interview de Celâl Sengör, professeur de géologie à l'université technique d'Istanbul, qui s'inquiètait des menaces sismiques qui pèsent sur les 15 millions d'habitants d'Istanbul et déplore le manque de mobilisation des autorités de son pays. Voici cette interview parue dans Libération le 15 mai 2004.
Depuis quand les habitants d'Istanbul sont-ils victimes de séismes ?Dès l'époque byzantine, des tremblements de terre sont mentionnés dans les chroniques, comme en 1296, mais ils restent mal connus. En 1509, se produit l'un des plus forts séismes de la Méditerranée orientale, baptisé «la petite Apocalypse» par l'histoire ottomane. Une partie du palais de Topkapi, où résidait le sultan, et plus de 1 000 maisons sont détruites, ainsi que ce qui restait de la muraille de Constantin le Grand. On estime le nombre de morts à 4 000, sur un million d'habitants. De nombreuses victimes aussi en 1766, ainsi que d'importantes démolitions, dont la grande mosquée de Fatih. Les grands tremblements de terre à Istanbul pourraient donc se succéder tous les 250 ans environ. L'histoire sismique de la faille nord-anatolienne au cours du XXe siècle peut se lire comme une progression de l'est avec le séisme d'Erzincan (40 000 morts) en 1939 vers l'ouest avec celui d'Izmit, au bord de la mer de Marmara, qui provoqua 30 000 morts en août 1999. Après ce dernier, une question s'est imposée : que devient la faille sous la mer de Marmara, peut-elle menacer Istanbul ? On n'en connaissait pratiquement rien. Les cartes de navigation ne permettaient pas d'étudier les structures géologiques, en particulier pour savoir si la mer de Marmara cachait une seule grande faille, donc plus inquiétante, ou tout un système complexe de petites failles, ce qui serait moins dangereux.
Qu'a-t-on appris depuis 1999?Juste après le séisme de 1999, j'ai invité Xavier Le Pichon, professeur au Collège de France, à voir les conséquences du tremblement de terre. De ce moment date l'idée d'une exploration intense de la mer de Marmara pour répondre à nos interrogations. La France et l'Union européenne ont financé ce bel effort par plusieurs campagnes océanographiques. Dès septembre 2000, une carte bathymétrique précise établie par le Suroît (navire de l'Ifremer) montrait que la faille nord-anatolienne se poursuit en mer, sous la forme d'une faille majeure. Depuis, les scientifiques français et turcs l'étudient en détail pour comprendre son histoire et son fonctionnement. Nous avons découvert que la faille peut bouger sur un segment de plus de 100 km de long et produire un séisme allant jusqu'à 7,6 de magnitude, selon nos calculs. En outre, ce segment est grossièrement orienté vers la partie anatolienne d'Istanbul la ville n'est pas directement construite sur la faille , ce qui maximiserait les dégâts en cas de séisme.
La gravité du danger est-elle perçue par les populations et les autorités turques ?Les autorités gouvernementales , à mon avis, ne la perçoivent pas. Les populations s'inquiètent après un tremblement de terre, mais elles oublient vite. Le gouvernement actuel ne favorise pas la recherche, ni l'information des populations. Le service géologique turc et notre Conseil national de la recherche scientifique souffrent de pressions politiques du gouvernement pour changer le personnel en fonction de son orientation islamiste. Le maire d'Istanbul a bien déclenché une cartographie des zones les plus menacées, quelques postes de secours ont été installés ici et là... mais cela reste dérisoire. Les normes antisismiques sont mal appliquées et peu contrôlées. Les plus dangereuses des habitations sont celles des années 1960-1980, de quatre à cinq étages, construites sans plan d'architecte et souvent sans aucun contrôle technique. Il faudrait concevoir et réaliser un énorme programme éducatif afin de préparer les populations à réagir plus efficacement au séisme qui menace.
Source: http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2010/03/s%C3%A9isme-en-turquie-dizaines-de-morts.html