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 L’Alchimie – Origines, Petite Histoire et Grands Noms (rappel)

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geoff78

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Masculin Taureau Buffle
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MessageSujet: L’Alchimie – Origines, Petite Histoire et Grands Noms (rappel)   L’Alchimie – Origines, Petite Histoire et Grands Noms (rappel) I_icon_minitimeMer 26 Mai 2010 - 20:13

L’Alchimie – Origines, Petite Histoire et Grands Noms



1. Origines

Le mot alchimie provient du terme « EL KIMYA » dérivé de l’égyptien kème (terre noire). Les alchimistes de tout temps font découler leur travail de cette terre noire l’al-chimia. De plus, le terme kème pourrait provenir de Chem fils de Noë (selon la Tradition, Chem pratiquait le magie).

D’autres font remonter l’alchimie au forgeron de la Bible Tubalcaïn.

D’aucuns font également d’Hermes Trismegiste (le trois fois grand) le père de l’Alchimie, la Science Hermétique. Selon Edouard Schuré (Les Grands Initiés) Hermès désignait à la fois un Homme (l’initiateur de l’Egypte), une Caste (le Sacerdoce) et une divinité (le dieu Thôt ou Mercure). On attribue à Hermès l’écriture de la Table d’Emeraude ( Tabula Smaragdina).

Si l’on veut donner une définition simple de l’Alchimie, on peut dire que l’Alchimie est un art occulte qui se transmet par tradition écrite ou orale et qui a pour but de retrouver les secrets perdus de la Nature.

2. Petite Histoire de l’Alchimie

Aussi loin que l’on puisse remonter dans le temps, on peut trouver des traces laissées par des adeptes de l’Art.

Les Chaldéens ont associés les procédés métallurgiques à l’Astrologies pour déterminer les dates des opérations alchimiques. Ainsi, les astres et la Nature étaient étroitement associés au travail des métaux dans l’antiquité.

Dans la Bibliothèque d’Assurbanipal (VIIéme s. av. J.C.) figure le livre de « La Porte du Four » qui donne des indications quant aux précautions à prendre pour installer son four métallurgique, ainsi que des descriptions techniques (fabrication de verres colorés par l’adjonction de métaux).

En Chine, l’Alchimie est influencée par le Taoisme, ainsi, les métaux et les minéraux sont classés en Yin (féminin, négatif) et en Yang (masculin, positif). Selon la tradition, les Chinois pratiquaient l’Alchimie vers 4500 avant J.C.

« Le Tao produisit l’Un, l’Un produisit le Deux, le Deux produisit le Trois. Le Trois produisit les êtres et toutes les choses. Tous les êtres et toutes les choses sortent du Yin et vont au Yang » (Le Livre des Mutations).

Dans l’Antiquité, on trouve également des traces de l’Alchimie. Ptolémé Sôter, général d’Alexandre, convie à sa cour les savants de l’époque dont Démétrius de Phalère qui fonda l’Ecole d’Alexandrie qui comptera des hommes tels Euclide, Ptolémé, Pappus, Philon, Plotin, …

Démétrius organisa une bibliothèque qui s’accrût à un tel point qu’il fallut l’abriter dans un grand bâtiment le MUSEUM (La Grande Bibliothèque d’Alexandrie) dans lequel ont pouvait trouver des manuscrits consacrés à l’Alchimie.

Le papyrus Physika Kai Mystika est un écrit alchimique contenant la théorie et la pratique de l’Art, il est attribué à Bolsos ou à Démocrite. Selon Bolsos, « la nature est charmée par la nature, la nature vainc la nature et la nature domine la nature ». Ainsi, ce que la nature a réalisé, l’homme peut le reproduire artificiellement.

D’autres Papyrus traitent également de l’Art : Papyrus de Leyde qui contient 101 « recettes » et le Papyrus d’Upsala qui décrit 152 recettes dont 9 concernant exclusivement les métaux.

Au IVéme s.avant J.C. Zozime de Panopolis compose un grand traité d’Alchimie dont il ne reste que quelques fragments. Il utilisa un symbolisme qui deviendra l’apanage des alchimistes du Moyen Age.

Stephanus D’Alexdrandrie qui enseigna sous le règne d’Héraclius et fut le contemporain de Platon et d’Aristote, rédigea un traité Les Neufs Leçons d’Alchimie dans lesquelles il développe certaines théories alchimiques que l’on retrouvera au Moyen Age et à la Renaissance. Ainsi, dans la troisième leçon on peut lire « L’oeuvre chimique est l’image du monde, elle amène à l’Unité les corps métalliques transformés , en opposant leur nature » et dans sa cinquième leçon il dévoile la théorie des Quatres Eléments commune à Platon et à Aristote. On peut y trouver également la conception alchimique du Soufre et du Mercure.

Au début de notre ère, on retrouve plusieurs philosophes arabes tels Geber, Rhazes ou Artéphius. Geber, Abu Musa Djabir al Sufi ou Abou Abdallah Djabir ben Hayyan, émet au VIIIéme S. la théorie selon laquelle les métaux sont composés de deux éléments de base : le Soufre et le Mercure (des Philosophes). Il suffirait de faire varier les proportions pour changer la nature même du métal. Par cette action, on peut soigner les métaux « malades » imparfaits et par transcendation créér de l’or. Pour Geber, le Magistère est le moyen d’atteindre la Sagesse Divine.

Rhazes, Muhammad Ibn al Rhazi, médecin directeur de l’hôpital de Bagdad au Xéme s. rédigea le Livre des Secrets et découvrit lors de ses manipulations l’alcool.

Artéphius, alchimiste arabe du XIIéme s., fera intervenir les astres dans la détermination des proportions de Mercure et de Soufre contenues dans les corps simples.

Au XIIIéme s., on voit la traduction par Moïse de Leon du Sefer Yetsira et du Sefer al Zohar, traités Kabbalistiques synthétisant la philosophie grecque, la magie égyptienne et les croyances iraniennes. La Kabbale sera reprise par les Alchimistes comme outil de leurs travaux.

3. Les grands maître de l’Alchimie

Albert le Grand (ou Albert de Cologne)

Né en 1193 dans une famille noble allemande (les Bolstadt), il parcourt l’Europe et étudie la médecine à Paris. Il entra dans l’ordre des Dominicains et devint maître à Paris où il enseigna. Scolastique de son temps, il s’intéressa aussi à l’Alchimie. De lui nous viennent deux ouvrages apocryphes de magie : le Petit et le Grand Albert. Il émet la théorie selon laquelle les métaux imparfait sont « malades » et l’on retrouve dans ses écrits (De Alchimia et Cinq livres sur les minéraux et les métaux) la théorie de la composition des métaux en deux principes : le soufre et le mercure. LR17;un de ses disciples fut Thomas d’Aquin (Docteur Angélique).

Arnaud de Villeneuve (1245-1313)

Il naquit en France vers 1245 et étudiera la médecine à Montpellier puis à Paris. Il se rendra ensuite en Espagne pour y étudier la culture arabe. Il entra en contact avec l’Alchimie par l’intermédiaire de Roger Bacon. Il sera également l’ami du futur pape Clément V (le fossoyeur du Temple) et la Tradition lui donne Lulle comme disciple. On lui doit « Le Rosier des Philosophes » et « La Fleur des Fleurs » dans lesquels il expose des recettes de jouvence et y décrit les 4 étapes du travail alchimique : la dissolution, le nettoyage, la réduction et la fixation.

Roger Bacon (XIIIéme s.)

Le Docteur Admirable naquit en Angleterre en 1214, il fit ses études à Oxford et obtient sa maîtrise à Paris où il suivit les cours d’Albert le Grand de 1248 à 1250.

Son choix d’entrer dans l’Ordre des Franciscains fut désastreux car il y subit des railleries et embûches de la part de ses frères. Il étudia principalement l’astrologie. Pour lui, la destinée des hommes est déterminée par les Astres, donc il était en contradiction avec les doctrines du libre arbitre prôné par l’Eglise Catholique.

On lui doit l’Opus Minus, dans lequel il y décrit l’Alchimie pratique et l’Opus Tertium, où il décrit les secrets de l’Alchimie selon les visions de Bacon.

Raymond Lulle (1235-1315)

Suite à une apparition du Christ, il abandonne famille, honneur et fortune pour se retirer sur le mont Randa. Il tenta de convertir les tunisiens qui manquèrent de le tuer. Il sera embarqué par des Génois mais mourra sur le pont de leur bateau.

On lui doit le « Grand Art de Lulle », une méthode qui selon lui permet de tout expliquer.

Nicolas Flamel (1330-1418)

Ecrivain public né en 1330, il tenait boutique à côté de la Tour Saint-Jacques.

Un rêve lui prédit qu’il entrerait en possession d’un livre écrit par un certain Abraham et qui lui permettrait de réaliser le Grand Oeuvre. Ce rêve fut rapporté par Albert Poisson qui avoua par la suite que ce ne furent qu’inventions de sa part.

Il trouva le livre en question, étudia l’Hébreux et les sciences cabalistiques. Il fit un pèlerinage à Saint Jacques de Compostelle durant lequel il rencontra un personnage qui lui expliqua la signification du livre d’Abraham.

Le livre était composé de 3 fois 7 feuillets (21). Il lui fallut 21 ans de recherche avant de trouver l’homme qui put lui expliquer le livre. Le décryptage du livre lui prit 3 ans et l’Oeuvre au Blanc et au Rouge lui prit trois essais (la seconde 103 jours après la première).

Selon Fulcanelli, Flamel ne fit jamais le pélerinage à Compostelle. Son itinéraire serait plutôt initiatique et philosophique.

Fait curieux, pendant le reste de son existence, il mena une vie de mécène, faisant construire ou rénover de nombreux bâtiments, mais à sa mort, il ne laissera qu’un mince héritage.

La Légende de Nicolas Flamel va aller an grandissant au cours des siècles et ainsi, plusieurs personnes soutiendront l’avoir rencontré à diverses époques bien après sa mort.

Jacob Boehme (XVIéme s.)

Né en Souabe en 1575. Selon lui, l ’épuration alchimique doit rendre à l’homme la maîtrise du monde. L’homme façonné à l’image de Dieu a également en lui la puissance créatrice.

Boehme sooutient que les qualités divines sont au nombre de sept : les trois premières sont placées sous le signe du soufre, du mercure et du sel alchimiques et les autres sous le signe des quatre éléments.

Selon la Tradition, Jacob Boehme serait l’un des initiateurs de la Rose-Croix.

Agrippa de Neittessheim (1486-1535)

Selon Agrippa, qui fut médecin, soldat, professeur d’Hébreux et avocat, il y trois sources de la connaissance : la Nature, la Révélation et la Mystique.

Neittessheim croit que l’homme est habité par un esprit qui fait partie de l’Ame Universelle. La différence entre les corps provient de la portion d’esprit qu’ils contiennent.

Paracelse (XVIéme s.)

De son vrai nom Théophrase Bombast von Hohenstein, il sera médecin et étudia la chimie médicale. Il parcouru l’Europe et dirigea ensuite l’hôpital de Bâle.

On lui attribue les Pronostications quoiqu’il ne fut certainement pas un Adepte il étudia l’Alchimie, la Magie et l’Occultisme.

Certains pensent qu’il fut initié à la Rose-Croix et eut pour mission de répandre la lumière de la Sapience parmis les hommes.

John Dee (1527-1608)

Il naquit à Londres en 1527 et entra à l’Université de Cambridge à l’âge de quinze ans. A cause de son inclination pour les sciences occultes, il sera renvoyé de Cambridge. Il se retira à Louvain où il rencontra Henri Coménius Agrippa, Alchimiste et Occultiste.

Il rentra à Londres en 1551 où il se mettra au service du roi Edouard VI et sera disgracié à la mort de la reine Mary. Il ne sera réhabilité qu’à l’avênement de le reine Elisabeth.

Après ses déboires avec Kelly (voir ci-dessous) il rentre en Angleterre à Mortlake où il retrouve sa bibliothèque et son laboratoire en ruine.

Il mourra dans la misère en 1608 à Mortlake.

Edouard Kelly (1555-1597) ̵1; Edouard Talbot

Il naquit en 1555 en Angleterre. Il fit ses études de notaires et après une affaire de faux en écritures, il changea de nom et s’exila.

Résidant au Pays de Galles, il trouva dans une tombe un manuscrit et deux boules de verre contenant une poudre rouge et une poudre blanche.

Munit de ses découvertes, il rejoint Londres où il entre en contact avec John Dee.

Dee et Kelly expérimentent les poudres qui se révélèrent efficaces. Dès lors, Dee invite Kelly chez lui où ils participent à des séances occultes. Kelly se révéla meilleur que Dee.

Ils se rendirent ensemble à la cour de Rodolphe II de Pragues, qui avait transformé son palais en laboratoire d’Alchimie et de sciences occultes. De Pragues, ils se rendirent ensuite à la cour de Maximilien II d’Allemagne où Kelly est incapable de transformer le plomb en or. Il sera emprisonné et lors d’une tentative de fuite, il se brisera les deux jambes. Il mourra de ses blessures en 1597.

Le Philalèthe ̵1; Eyrénée Philalèthe (XVIIème s.)

Il naquit au début du XVIIéme S. et alla s’installer très jeune en Nouvelle Angleterre.

On lui doit l’ouvrage l’Entrée ouverte au Palais fermé du Roi (1645) : « Je suis un philosophe Adepte, qui ne me nomerai point autrement que Philalèthe, mon homonyme qui signifie Amateur de la Vérité. »

L’hypothèse la plus fréquemment citée quant à son identité est celle du savant britannique Thomas de Vaughan, représentant d’une ancienne famille noble du Pays de Galles, ami du physicien et chimiste Robert Boyle.

Le Cosmopolite (La Nouvelle Lumière Chymique ̵1; Le Livre des Douze Traités)

Sous ce pseudonyme, il s’agirait en fait d’un Ecossais du nom d’Alexandre Sethon dont on ignore l’origine exacte. Il aurait quitté l’Angleterre pour la Hollande vers 1602 et se rendit à Frankfort puis à Cologne.

Il réalisa des démonstrations de son art devant des savants de son temps et fût arrêté en vue de lui faire livrer le secret de sa poudre de projection. Il fût délivré par Sendigovius mais meurt des suite de ses blessures.


Source :
http://www2.esoblogs.net/500/l-alchimie-origines-petite-histoire-et-grands-noms/
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Electra
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MessageSujet: Re: L’Alchimie – Origines, Petite Histoire et Grands Noms (rappel)   L’Alchimie – Origines, Petite Histoire et Grands Noms (rappel) I_icon_minitimeJeu 27 Mai 2010 - 12:25


Excellent Geoff, merci Wink
J'ai hâte des autres posts à venir, ça a l'air compliqué ce sujet !
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geoff78

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MessageSujet: Re: L’Alchimie – Origines, Petite Histoire et Grands Noms (rappel)   L’Alchimie – Origines, Petite Histoire et Grands Noms (rappel) I_icon_minitimeJeu 27 Mai 2010 - 17:37

Merci Electra, pas si compliquée que ça tu verras! Je compte faire un post toute les 2 ou 3 semaines afin que l'assimilation se fasse.
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key828



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MessageSujet: Re: L’Alchimie – Origines, Petite Histoire et Grands Noms (rappel)   L’Alchimie – Origines, Petite Histoire et Grands Noms (rappel) I_icon_minitimeLun 14 Juin 2010 - 21:26

AH l art de la transmutation , oh oui quel sujet passionnant, transmutations pour l obtention de l'or. Mais qu'est ce que l'OR ? c'est l'AOR l'amour , C cela le veritable objectif, l'œuf philosophale on apprend tout en se rectifiant, c'est cela la transmutation intérieur, la : Visita interiorem terrae rectificando invenies operae lapidem, explore l'intérieur de la terre. En rectifiant, tu découvriras la pierre cachée. en voila une formule qui donne envie d aller voir son for intérieur, la volonté et la passion doivent être une étape essentielle avant de se mouvoir et de muer dans ce sens, pour atteindre le centre et l'état édénique, voir supra humains je dirait même hyper lumineux, alors bon voyage a vous.

dieu guide vers sa lumière qui il veut, et dieu aux hommes des paraboles; car dieu connait toutes choses (Coran 24, 35)


Dernière édition par key828 le Mar 2 Nov 2010 - 21:10, édité 1 fois
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voyageur



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MessageSujet: Re: L’Alchimie – Origines, Petite Histoire et Grands Noms (rappel)   L’Alchimie – Origines, Petite Histoire et Grands Noms (rappel) I_icon_minitimeMer 7 Juil 2010 - 21:07

Un sujet qui me passionne , j'attends avec impatience la suite , à bientot

Voyageur
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geoff78

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MessageSujet: Re: L’Alchimie – Origines, Petite Histoire et Grands Noms (rappel)   L’Alchimie – Origines, Petite Histoire et Grands Noms (rappel) I_icon_minitimeJeu 8 Juil 2010 - 17:33

L'ALCHIMIE ET LES ALCHIMISTES
EXPOSÉ DES DOCTRINES
ET DES TRAVAUX DES ALCHIMISTES

CHAPITRE I : principe fondamentaux de l'alchimie, propriétés attribuées à la pierre philosophale


Sur quelle base, sur quel fondement théorique reposait la doctrine de la transmutation des métaux ? Elle s'appuyait sur deux principes que l'on trouve invoqués à chaque instant dans les écrits des alchimistes : la théorie de la composition des métaux, et celle de leur génération dans le sein du globe.
Les alchimistes regardaient les métaux comme des corps composés ; ils admettaient de plus que leur composition était uniforme. D'après eux, toutes les substances offrant le caractère métallique, étaient constituées par l'union de deux éléments communs, le soufre et le mercure ; la différence de propriétés que l'on remarque chez les divers métaux ne tenait qu'aux proportions variables de mercure et de soufre entrant dans leur composition. Ainsi l'or était formé de beaucoup de mercure très pur, uni à une petite quantité de soufre très pur ; aussi le cuivre, de proportions à peu près égales de ces deux éléments ; l'étain, de beaucoup de soufre mal fixé et d'un peu de mercure impur, etc.
C'est ce que Geber nous indique dans son Abrégé du parfait mystère :
Le soleil — l'or — dit-il, est formé d'un mercure très subtil et d'un peu de soufre très pur, fixe et clair, qui a une rougeur nette ; et comme ce soufre n'est pas également coloré et qu'il y en a qui est plus teint l'un que l'autre, de là vient aussi que l'or est plus ou moins jaune.... Quand le soufre est impur, grossier, rouge, livide, que sa plus grande partie est fixe et la moindre non fixe, et qu'il se mêle avec un mercure grossier et impur de telle sorte qu'il n'y ait guère ni plus ni moins de l'un que de l'autre, de ce mélange il se forme Vénus — le cuivre...
Si le soufre a peu de fixité et une blancheur impure, si le mercure est impur, en partie fixe et en partie volatil, et s'il n'a qu'une blancheur imparfaite, de ce mélange il se fera Jupiter — l'étain.
Ce soufre et ce mercure, éléments des métaux, n'étaient point d'ailleurs identiques au soufre et au mercure ordinaires. Le mercurius des alchimistes représente l'élément propre des métaux, la cause de leur éclat, de leur ductilité, en un mot de la métallicité ; le sulphur indique l'élément combustible.
Telle est la théorie sur la nature des métaux qui forme la base des opinions alchimiques. On comprend en effet qu'elle a pour conséquence directe la possibilité d'opérer des transmutations. Si les éléments des métaux sont les mêmes, on peut espérer, en faisant varier, par des actions convenables, la proportion de ces éléments, changer ces corps les uns dans les autres, transformer le mercure en argent, le plomb en or, etc.
On ignore quel est l'auteur de cette théorie, remarquable en elle-même comme la première manifestation d'une pensée scientifique et qui a été admise jusqu'au milieu du seizième siècle. L'arabe Geber, au huitième siècle, la mentionne le premier, mais il ne s'en attribue pas la découverte : il la rapporte aux anciens.
La théorie de la génération des métaux est assez clairement formulée dans la plupart des traités alchimiques. Conformément à un système d'idées qui a joui d'un crédit absolu dans la philosophie du Moyen Âge, les écrivains hermétiques comparent la formation des métaux à la génération animale, ils ne voient aucune différence entre le développement du fœtus dans la matrice des animaux et l'élaboration d'un minéral dans le sein du globe.
Les alchimistes, dit Boerhaave, remarquent que tous les êtres créés doivent leur naissance à d'autres de la même espèce qui existaient avant eux ; que les plantes naissent d'autres plantes, les animaux d'autres animaux, et les fossiles d'autres fossiles. Ils prétendent que toute la faculté génératrice est cachée dans une semence qui forme les matières à sa ressemblance et les rend peu à peu semblables à l'original... Cette semence est d'ailleurs si fort immuable, qu'aucun feu ne peut la détruire ; sa vertu prolifique subsiste dans le feu, par conséquent elle peut agir avec la plus grande promptitude et changer une matière mercurielle en un métal de son espèce.
Pour former un métal de toutes pièces, il suffisait donc de découvrir la semence des métaux. C'est par une conséquence de cette théorie que les alchimistes appellent œuf ou œuf philosophique — orum philosophicum — le vase dans lequel on plaçait les matières qui devaient servir à l'opération du grand œuvre.
On professait en outre, au sujet de la génération des substances métalliques, une idée qu'il importe de signaler. La formation des métaux vils, tels que le plomb, le cuivre, l'étain, était considérée comme un pur accident. La nature, s'efforçant de donner à ses ouvrages le dernier degré de perfection, tendait constamment à produire de l'or, et la naissance des autres métaux n'était, selon les alchimistes, que le résultat d'un dérangement fortuit survenu dans la formation de ce corps.
Il faut nécessairement avouer, dit Salmon, que l'intention de la nature en produisant les métaux n'est pas de faire du plomb, du fer, du cuivre, de l'étain, ni même de l'argent, quoique ce métal soit dans le premier degré de perfection, mais de faire de l'or — l'enfant de ses désirs — car cette sage ouvrière veut toujours donner le dernier degré de perfection à ses ouvrages, et, lorsqu'elle y manque et qu'il s'y rencontre quelques défauts, c'est malgré elle que cela se fait. Ainsi ce n'est pas elle qu'il en faut accuser, mais le manquement de causes extérieures... C'est pourquoi nous devons considérer la naissance des métaux imparfaits comme celle des avortons et des monstres, qui n'arrive que parce que la nature est détournée dans ses actions, et qu'elle trouve une résistance qui lui lie les mains et des obstacles qui l'empêchent d'agir aussi régulièrement qu'elle a coutume de le faire. Cette résistance que trouve la nature, c'est la crasse que le mercure a contractée par l'impureté de la matrice, c'est-à-dire du lieu où il se trouve pour former l'or, et par l'alliance qu'il fait en ce même lieu avec un soufre mauvais et combustible.
Ainsi les alchimistes partaient de ce principe fondamental que les métaux, et en général toutes les substances du monde inorganique, étaient doués d'une sorte de vie. Comme les êtres animés, ces substances avaient la propriété de se développer au sein de la terre, et de passer par une série de perfectionnements qui leur permettait de s'élever de l'état imparfait à l'état parfait. Pour les alchimistes, l'état d'imperfection d'un métal était caractérisé par son altérabilité ; son état de perfection, par la propriété de résister à l'action des causes extérieures. Le fer, le plomb, l'étain, le cuivre, le mercure, métaux facilement altérables, ou oxydables comme nous le disons aujourd'hui, étaient les métaux vils ou imparfaits ; l'or et l'argent, inaltérables au feu et qui résistent à la plupart des agents chimiques, représentaient des métaux nobles ou parfaits.
Les diverses modifications par lesquelles les métaux devaient passer pour arriver à l'état d'or ou d'argent étaient provoquées, selon les alchimistes, par l'action des astres. C'est à la secrète influence exercée sur eux par les grands corps célestes qu'était dû le perfectionnement graduel qui s'opérait dans leur nature intime. Mais cette action était fort lente : elle exigeait des siècles pour s'accomplir. Paracelse est un des écrivains qui ont le plus insisté sur cette influence que les astres exerceraient sur les corps terrestres.
Les alchimistes ne sont pas d'accord sur la limite du progrès matériel qui s'exerce au sein des métaux. Le plus grand nombre des auteurs considèrent ce progrès comme devant s'arrêter lorsque le métal est parvenu à l'état d'or ou d'argent ; une fois à l'état de métal noble, il doit y persister éternellement. Mais quelques écrivains pensent que cette modification est continue, de telle sorte que, après avoir atteint le terme de sa perfection, le métal repasse graduellement à l'état imparfait. Aussi le cercle de ces transformations moléculaires se poursuivrait sans interruption à travers les siècles. Émise par Rudolphe Glauber, cette vue singulière a été adoptée par un certain nombre d'alchimistes. C'est par une exagération de cette idée que Paracelse professait que, sous l'influence des astres et du sol, non seulement les métaux vils se changeaient en argent ou en or, mais ils pouvaient aussi se transformer en pierre, et les minéraux se développer par une sorte de graine à la manière des plantes.
Aux premiers âges de la science, l'opinion que nous venons d'exposer avait dû naturellement s'offrir à l'esprit des observateurs. Dans le sein de la terre, on trouve toujours un même métal sous plusieurs états différents. Quelquefois à l'état natif, il se rencontre en même temps engagé en différentes combinaisons, et l'art réussit toujours à extraire le métal pur des divers composés naturels dans lesquels il existe. L'observation de ce fait put donc amener les premiers chimistes à croire que les divers états sous lesquels on trouve les métaux dans le sein du globe constituaient autant de degrés de perfection successive destinés à les acheminer vers leur état définitif. Quant à l'influence que l'on prêtait aux grands corps célestes pour provoquer et régler ces mutations, cette pensée était la conséquence des croyances astrologiques qui, sous l'inspiration de Paracelse, ont dominé, au Moyen Âge, l'esprit général des sciences.
La théorie de la composition des métaux, l'opinion relative à leur génération, établissait donc en principe le fait de la transmutation ; mais il ne suffit pas de justifier théoriquement le phénomène ; reste le moyen de l'accomplir. Or, d'après les alchimistes, il existe une substance capable de réaliser cette transformation : c'est la pierre, ou poudre philosophale, désignée aussi sous les noms de grand magistère, de grand élixir, de quintessence et de teinture. Mise en contact avec les métaux fondus, la pierre philosophale les change immédiatement en or. Si elle n'a pas acquis son plus haut degré de perfection, si elle n'est pas amenée à son dernier point de pureté, la pierre philosophale ne change pas les métaux vils en or, mais seulement en argent. Elle porte alors le nom de petite pierre philosophale, de petit magistère ou de petit élixir.
Ce n'est qu'au douzième siècle qu'il est clairement question pour la première fois de la pierre philosophale. Avant cette époque, la plupart des auteurs grecs et arabes, à l'exception de Geber, se contentent d'établir théoriquement le fait de la transmutation, sans indiquer l'existence d'un agent spécial qui puisse réaliser le phénomène.
Exposons rapidement les caractères extérieurs et les propriétés que les alchimistes attribuent à la pierre philosophale. Voici les descriptions que nous donnent de cet agent merveilleux les adeptes qui assurent l'avoir observé :
J'ai vu et manié, dit Van Helmont, la pierre philosophale. Elle avait la couleur du safran en poudre, elle était lourde et brillante comme le verre en morceaux.
Paracelse la présente comme un corps solide d'une couleur de rubis foncé, transparent, flexible et cependant cassant comme du verre.
Bérigard de Pise, qui put l'observer tout à son aise dans la transmutation qu'un adepte inconnu lui fit opérer, attribue à la pierre philosophale la couleur du pavot sauvage et l'odeur du sel marin calciné : Colore non absimitis flore papaveris sylvestris, odore vero sal marinum adustum referentis.
Raymond Lulle la désigne quelquefois sous le nom de carbunculus, que l'on peut entendre par petit charbon ou par escarboucle, selon la signification donnée à ce mot par Pline.
Helvétius lui donne la couleur du soufre. Enfin elle est très souvent décrite comme une poudre rouge.
Voilà des signalements bien divers. Mais rassurons-nous, un passage de Kalid concilie ces contradictions. Kalid, ou plutôt l'auteur inconnu qui a écrit sous ce nom, dit, dans son Traité des trois paroles :
Cette pierre réunit en elle toutes les couleurs. Elle est blanche, rouge, jaune, bleu de ciel, verte.
Voilà tous nos philosophes mis d'accord.
Quant à la petite pierre philosophale, c'est-à-dire celle qui change les métaux en argent, on en parle toujours comme d'une substance d'un blanc éclatant. Aussi est-elle désignée sous le nom de teinture blanche. Toutefois il est fort peu question de la petite pierre philosophale dans les écrits des adeptes : on n'aimait pas à faire les choses à demi.
Les alchimistes attribuaient à la pierre philosophale trois propriétés essentielles : changer les métaux vils en argent ou en or, guérir les maladies, prolonger la vie humaine au delà de ses bornes naturelles.
Les auteurs sont unanimes pour attribuer à la pierre philosophale la propriété de transformer les métaux vils en argent ou en or. Mais quelle quantité faut-il en employer pour produire cet effet ? Sur ce point, on rencontre les plus singulières discordances. Les alchimistes du dix-septième siècle étaient assez modérés dans cette évaluation. Kunckel, le plus modeste de tous, reconnaît qu'elle ne peut convertir en or que deux fois son poids du métal étranger ; l'Anglais Germspreiser, de trente à cinquante fois. Mais au Moyen Âge on avait de bien autres prétentions. Arnauld de Villeneuve et Rupescissa attribuent au grand magistère la propriété de convertir en or cent parties d'un métal impur ; Roger Bacon, cent mille parties ; Isaac le Hollandais, un million. Raymond Lulle laisse bien loin toutes ces estimations. La pierre philosophale jouit, d'après lui, d'une telle puissance, que, non seulement elle peut changer le mercure en or, mais encore donner à l'or ainsi formé la vertu de jouer lui-même le rôle d'une nouvelle pierre philosophale.
Prends, dit-il dans son Novum Testamentum, de cette médecine exquise, gros comme un haricot, projette-la sur mille onces de mercure, celui-ci sera changé en une poudre rouge. Ajoute une once de cette poudre rouge à mille onces d'autre mercure, la même transformation s'opérera. Répète deux fois cette opération, et chaque once de produit changera mille onces de mercure en pierre philosophale. Une once de produit de la quatrième opération sera suffisante pour changer mille onces de mercure en or qui vaut mieux que le meilleur or des mines.
D'après cela, la pierre philosophale pouvait agir sur plusieurs milliers de billions de métal. Aussi, lorsque Raymond Lulle s'écrie : mare tingerem si mercurius esset, on peut trouver la prétention un peu forte, mais on ne peut pas taxer le philosophe d'inconséquence.
C'est la même idée, que dans son poème latin Chrysopeïa, Aurelius Augurelle exprime dans les vers suivants :

Illius exiguâ projectâ parte per undas
Æquoris, argentum vivum, si tune foret aequor,
Omne, vel immensum, verti mare posset in aurum.

Il semble bien difficile de dépasser le terme auquel est arrivé Raymond Lulle. C'est cependant ce qu'un autre philosophe a essayé. D'après Salmon, l'auteur de la collection qui a pour titre Bibliothèque des philosophes chimiques, la vertu de la pierre philosophale peut s'exercer sur une quantité de métal infinie.
En imbibant, dit-il, la pierre philosophale avec le mercure des philosophes, on le multiplie, et à chaque multiplication qu'on lui donne, on augmente sa vertu et sa qualité tingente de dix fois autant qu'elle était auparavant. De manière que si un grain de la poudre de projection pouvait, avant qu'elle fût multipliée, teindre et perfectionner en or dix grains de métal imparfait, après la première multiplication, ce grain de poudre teindra et perfectionnera en or cent grains du même métal. Et, si l'on multiplie la poudre une seconde fois, un grain en teindra mille de métal, et à la troisième fois dix mille, à la quatrième cent mille ; et ainsi toujours en augmentant jusqu'à l'infini, ce qui est une chose que l'esprit humain ne saurait comprendre.
Avec cette manière d'entendre le phénomène, Salmon pouvait défier à son aise l'émulation de ses confrères : il n'avait pas à craindre d'être jamais dépassé.
La propriété de guérir les maladies et de prolonger la durée de l'existence humaine n'a été accordée à la pierre philosophale que vers le treizième siècle. Il est probable, suivant l'observation judicieuse de Boerhaave, que cette croyance s'introduisit chez les alchimistes de l'Occident, parce que l'on prit à la lettre les expressions figurées et métaphoriques qu'affectionnent les anciens auteurs. Lorsque Geber dit, par exemple : apporte-moi les six lépreux, que je les guérisse, il veut dire : apporte-moi les six métaux vils, que je les transforme en or. Quoi qu'il en soit, cette seconde propriété attribuée à la pierre philosophale a ouvert une carrière nouvelle que l'imagination des adeptes devait dignement parcourir.
D'après tous les écrivains hermétiques, la pierre philosophale, prise à l'intérieur, est le plus précieux des médicaments. Dans son Opuscule de la philosophie naturelle des métaux, Denis Zachaire décrit ainsi la façon d'user de l'œuvre divine aux corps humains pour les guérir des maladies :
Pour user de notre grand roi pour recouvrer la santé, il en faut prendre un grain pesant et le faire dissoudre dans un vaisseau d'argent avec de bon vin blanc, lequel se convertira en couleur citrine. Puis faites boire au malade un peu après les minuit, et il sera guéri en un jour si la maladie n'est que d'un mois, et, si la maladie est d'un an, il sera guéri en douze jours, et, s'il est malade de fort longtemps, il sera guéri dans un mois, en usant chaque nuit comme dessus. Et, pour demeurer toujours en bonne santé, il en faudrait prendre au commencement de l'automne et sur le commencement du printemps en façon d'électuaire confit. Et par ce moyen l'homme vivra toujours en parfaite santé jusqu'à la fin des jours que Dieu lui aura donnés, comme ont écrit les philosophes.
Isaac le Hollandais assure qu'une personne qui prendrait chaque semaine un peu de pierre philosophale se maintiendrait toujours en santé, et que sa vie se prolongerait jusqu'à l'heure dernière qui lui a été assignée par Dieu.
Basile Valentin dit également que celui qui possède la pierre des sages ne sera jamais atteint de maladies ni d'infirmités jusqu'à l'heure suprême qui lui a été fixée par le roi du ciel.
Si, à l'exemple des précédents, tous les alchimistes s'étaient contentés d'affirmer que la pierre philosophale prolonge la vie humaine jusqu'au terme assigné par Dieu, ils auraient assurément peu compromis leur crédit, et auraient ainsi laissé aux historiens l'occasion de rendre une fois hommage à leur véracité. Par malheur, ils se sont départis souvent de cette réserve. Artéphius se donnait mille ans : moi-même, Artéphius, qui écris ceci, depuis mille ans, ou peu s'en faut, que je suis au monde, par la grâce du seul Dieu tout-puissant et par l'usage de cette admirable quintessence.
On attribuait l'âge de quatre cents ans au Vénitien Frédéric Gualdo, frère de la Rose-Croix, et celui de cent quarante ans à l'ermite Trautmansdorf. Alain de Lisle, assurent les alchimistes, a vécu plus de cent ans, grâce à l'emploi de la bienheureuse quintessence. Raymond Lulle et Salomon Trismosin, tous les deux dans un âge avancé, s'étaient rajeunis par l'usage de la pierre philosophale. Ce dernier se vantait de pouvoir rendre les formes et les grâces de la jeunesse à des femmes de soixante-dix et de quatre-vingt-dix ans ; et, pour lui, prolonger la vie jusqu'au jugement dernier était une bagatelle. Vincent de Beauvais a voulu prouver que si Noé eut des enfants à l'âge de cinq cents ans, c'est qu'il possédait la pierre philosophale. Deux écrivains anglais, F. Dickinson et Th. Mudan, ont consacré de savants livres à démontrer que c'est grâce au même moyen que les patriarches sont arrivés à l'âge le plus avancé. Paul Lucas, voyageur français, qui, au commencement du dix-huitième siècle, parcourut l'Orient aux frais du roi, et rapporta surtout de ses voyages les monuments de son insigne crédulité, rencontra à Bursa, dans l'Asie Mineure, au milieu d'une réunion d'alchimistes, un derviche nommé Usbeck qui se faisait remarquer par ses connaissances dans toutes les langues. Usbeck paraissait avoir trente ans, mais il en avouait plus de cent. Il assurait avoir eu le bonheur de rencontrer dans les Indes le célèbre Nicolas Flamel, lequel se portait au mieux, bien que parvenu à sa deux centième année. Nous n'étendrons pas davantage la liste de ces fables.
Quelques écrivains spagyriques ont attribué à la pierre philosophale une dernière propriété moins importante, que nous devons cependant indiquer : c'est celle de former artificiellement des pierres précieuses, des diamants, des perles et des rubis.
Vous avez vu, Sire, écrit Raymond Lulle au roi d'Angleterre, la projection merveilleuse que j'ai faite à Londres avec l'eau de mercure que j'ai jetée sur le cristal dissous : je formai un diamant très fin, vous en fîtes faire de petites colonnes pour un tabernacle.
Dans son opuscule de la Philosophie naturelle, Denis Zachaire décrit la façon d'user de la divine œuvre pour faire les perles et les rubis. Enfin Jules Sperber assure, dans son Isagogue, que la quintessence change les cailloux en perles fines, rend le verre ductile et fait revivre les arbres morts.
Les opinions qui viennent d'être mentionnées sont du ressort de l'observation ; il nous reste à passer en revue celles qui se caractérisent par une tendance mystique ou théosophique. Quand on embrasse, en effet, l'ensemble des travaux hermétiques, on reconnaît qu'ils se classent en deux groupes : les uns à peu près affranchis de spéculation, n'ont été exécutés qu'avec le secours de l'observation et de l'expérience des laboratoires ; les autres s'accomplirent sous l'inspiration d'idées abstraites, de nature théosophique ou mystique. Cette distinction, qui nous permettra d'apporter plus de méthode et de simplicité dans l'élucidation du sujet obscur qui nous occupe, est suffisamment justifiée par l'histoire. Les considérations mystiques n'ont paru dans l'alchimie que vers le douzième siècle. Les Arabes avaient su se maintenir dans l'étude des faits, et dégager leurs travaux de toute liaison avec les abstractions métaphysiques et les principes religieux. L'unité, la simplicité des dogmes dans la religion musulmane, la faible prédilection de ce peuple pour les conceptions purement philosophiques, devaient écarter de leur esprit les idées de ce genre. Mais, une fois établie chez les peuples chrétiens, l'alchimie prit un caractère nouveau. L'inspiration religieuse fut jugée indispensable au succès du grand œuvre, les idées théosophiques s'infusèrent peu à peu dans les principes de l'art, et, dominant bientôt l'élément pratique, elles amenèrent la plus étrange confusion. Arnauld de Villeneuve, Raymond Lulle, Basile Valentin et Paracelse ont surtout contribué à pousser l'alchimie dans cette voie stérile.
Autant que la synthèse philosophique peut embrasser dans un cercle étroit les vagues considérations des alchimistes théosophes, on peut établir que leurs opinions théoriques se résument dans les idées suivantes : influences occultes accordées à certains agents matériels, et spécialement à la pierre philosophale, sur les facultés de l'homme ; comparaison de l'opération du grand œvre avec le mystère des rapports de l'âme et du corps ; comparaison ou identification de l'œuvre hermétique avec les mystères de la religion chrétienne ; intervention, toutefois dans une très faible mesure, des considérations empruntées à la magie.
Jusqu'au treizième siècle, les alchimistes s'étaient bornés à accorder à la pierre philosophale les trois propriétés dynamiques signalées plus haut. À partir de cette époque, on lui reconnaît une qualité nouvelle s'exerçant dans l'ordre moral. La pierre philosophale porte à celui qui la possède le don de la sagesse et des vertus ; comme elle anoblit les métaux, ainsi elle purifie l'esprit de l'homme, elle arrache de son cœur la racine du péché.
Ceux qui sont assez heureux, dit Salmon, pour avoir la possession de ce rare trésor, quelque méchants et vicieux qu'ils fussent auparavant, sont changés dans leurs mœurs et deviennent gens de bien ; de sorte que, ne considérant plus rien sur la terre qui mérite leur affection, et n'ayant plus rien à souhaiter en ce monde, ils ne soupirent plus que pour Dieu et pour la bienheureuse éternité, et ils disent comme le prophète : Seigneur, il ne me reste plus que la possession de votre gloire pour être entièrement satisfait.
Ajoutons à ce témoignage celui du pieux Flamel.
La pierre étant parfaite par quelqu'un, dit Nicolas Flamel, le change de mauvais en bon, lui ôte la racine de tout péché, le faisant libéral, doux, pieux, religieux et craignant Dieu ; quelque mauvais qu'il fut auparavant, dorénavant il demeure toujours ravi de la grande grâce et miséricorde qu'il a obtenu de Dieu et de la profondité de ses œuvres divines et admirables.
L'écrivain hermétique que l'on désigne sous le nom du Cosmopolite, et dont nous rapporterons les hauts faits dans la suite de cet ouvrage, assure que la pierre philosophale n'est autre chose qu'un miroir dans lequel on aperçoit les trois parties de la sagesse du monde ; celui qui la possède devient aussi sage qu'Aristote et Avicenne.
Th. Northon dit, dans son Crede mihi :
La pierre des philosophes porte à chacun secours dans les besoins ; elle dépouille l'homme de la vaine gloire, de l'espérance et de la crainte ; elle ôte l'ambition, la violence et l'excès des désirs ; elle adoucit les plus dures adversités. Dieu placera auprès de ses saints les adeptes de notre art.
Par une conséquence de ce principe, on a prétendu que les anciens sages avaient possédé la pierre philosophale. Adam l'avait reçue des mains de Dieu ; les patriarches hébreux et le roi Salomon n'étaient que des adeptes initiés au secret de l'art. On a poussé la folie jusqu'à écrire que Dieu promet la pierre philosophale à tous les bons chrétiens. On invoquait ce verset de l'Apocalypse : au vainqueur je donnerai une pierre blanche !
L'assimilation du phénomène de la transmutation métallique avec la mort et la résurrection des hommes, est une idée dont les traces se rencontrent chez plusieurs auteurs des premières époques de l'alchimie, et qui devint vulgaire au Moyen Âge. C'est là ce qui plaisait tant à Luther et ce qui concilia à l'alchimie la protection du grand réformateur. Il accorda ses éloges à la science hermétique à cause des magnifiques comparaisons qu'elle nous offre avec la résurrection des morts au jour du jugement dernier. Dans le nombre très considérable d'ouvrages d'alchimie mystique publiés au dix-huitième siècle, et qui offrent la plus incroyable confusion d'idées religieuses et de principes scientifiques, la résurrection est littéralement considérée comme une opération alchimique, comme une transmutation d'un ordre supérieur. Les livres saints offrant un texte inépuisable à ces commentaires insensés, on justifiait ce rapprochement par toute espèce d'invocations aux autorités bibliques. L'auteur de la Lettre philosophique, écrit de quelques pages composé en 1751, cite à l'appui de ses paroles, plus de cent passages de la Bible. Quelques-uns, par exemple, prétendaient savoir comment les élus conserveront la pierre philosophale jusqu'au jour du jugement dernier. Ils s'appuyaient sur ce verset de l'Épître de saint Paul aux Corinthiens : nous aurons ce trésor dans des vases de grès.
La comparaison ou plutôt l'identification de l'œuvre hermétique avec les mystères de la religion chrétienne, se rencontre à chaque pas dans les écrits mystiques du dix-septième siècle, dans les ouvrages de l'Anglais Argille, de Michaelis, et surtout dans le livre du cordonnier théosophe J. Boehme, dont le fanatisme contribua beaucoup à donner de la vogue à ces idées. Il serait superflu de s'étendre sur un sujet semblable ; un passage de Basile Valentin suffira pour caractériser l'esprit de ces absurdes rêveries. Dans une Allégorie de la sainte Trinité et de la pierre philosophale Basile Valentin s'exprime ainsi :
Cher amateur chrétien de l'art béni, oh ! que la sainte Trinité a créé la pierre philosophale d'une manière brillante et merveilleuse ! Car le père Dieu est un esprit, et il apparaît cependant sous la forme d'un homme comme il est dit dans la Genèse ; de même nous devons regarder le mercure des philosophes comme un corps esprit. De Dieu le père est né Jésus-Christ son fils, qui est à la fois homme et Dieu, et sans péché. Il n'a pas eu besoin de mourir, mais il est mort volontairement et il est ressuscité pour faire vivre éternellement avec lui ses frères et sœurs sans péché. Ainsi l'or est sans tache, fixe, glorieux et pouvant subir toutes les épreuves, mais il meurt à cause de ses frères et sœurs imparfaits et malades ; et bientôt, ressuscitant glorieux, il les délivre et les teint pour la vie éternelle ; il les rend parfaits en l'état d'or pur.


Dernière édition par geoff78 le Jeu 8 Juil 2010 - 17:36, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: L’Alchimie – Origines, Petite Histoire et Grands Noms (rappel)   L’Alchimie – Origines, Petite Histoire et Grands Noms (rappel) I_icon_minitimeJeu 8 Juil 2010 - 17:34

(suite)

Cette tendance si marquée à rattacher métaphoriquement aux mystères de la religion les pratiques de l'alchimie, était la conséquence de la préoccupation continuelle qui distinguait les adeptes, d'implorer le secours divin pour le succès de leur œuvre, de placer leurs travaux sous la protection des autorités sacrées, et de considérer le succès définitif, objet de tant de vœux et de tant d'espérances, comme le produit d'une révélation divine. Quelques citations vont nous permettre de caractériser exactement ce côté si digne de remarque de l'école alchimique.
Il ne nous reste plus, dit l'arabe Geber, qu'à louer et à bénir en cet endroit le très-haut et très-glorieux Dieu, créateur de toutes les natures, de ce qu'il a daigné nous révéler les médecines que nous avons vues et connues par expérience ; car c'est par sa sainte inspiration que nous nous sommes appliqué à les rechercher, avec bien de la peine... Courage donc, fils de la science, cherchez et vous trouverez infailliblement ce don très-excellent de Dieu, qui est réservé pour vous seuls. Et vous, enfants de l'iniquité, qui avez mauvaise intention, fuyez bien loin de cette science, parce qu'elle est votre ennemie et votre ruine, qu'elle vous causera très-assurément ; car la providence divine ne permettra jamais que vous jouissiez de ce don de Dieu qui est caché pour vous et qui vous est défendu.
Mais ces hommages adressés à l'autorité divine sont beaucoup plus fréquents chez les auteurs chrétiens que chez les Arabes. On ne peut ouvrir un écrit de Basile Valentin, de Raymond Lulle, d'Albert le Grand, d'Arnauld de Villeneuve et de tous les autres alchimistes du Moyen Âge, sans rencontrer une de ces pieuses invocations. Arnauld de Villeneuve, par exemple, dans son Miroir d'alchimie, remercie Dieu du secours qu'il lui a prêté dans ses recherches, il reconnaît qu'il lui doit tout, et qu'à lui seul doivent revenir la louange et la gloire.
Sachez donc, mon cher fils, nous dit-il, que cette science n'est autre chose que la parfaite inspiration de Dieu.
Il nous dit encore dans sa Nouvelle lumière :
Père et révérend seigneur, quoique je sois ignorant des sciences libérales, parce que je ne suis pas assidu à l'étude, ni de profession de cléricature, Dieu a pourtant voulu, comme il inspire à qui il lui plaît, me révéler l'excellent secret des philosophes, quoique je ne le méritasse pas.
Le Véritable Philalète dit, dans son Entrée ouverte au palais fermé du roi, en s'adressant à l'opérateur :
Maintenant remerciez Dieu qui vous a fait tant de grâces, que d'amener votre œuvre à ce point de perfection ; priez-le de vous conduire et d'empêcher que votre précipitation ne vous fasse perdre un travail qui est venu à un état aussi parfait.
Nicolas Flamel, ou plutôt l'auteur du livre apocryphe des Figures hiéroglyphiques de Nicolas Flamel, commence ses descriptions par cette magnifique prière :
Loué soit éternellement le seigneur mon Dieu, qui élève l'humble de la basse poudrière, et fait réjouir le coeur de ceux qui espèrent en lui, qui ouvre aux croyants avec grâce les sources de sa bénignité, et met sous leurs pieds les cercles mondains de toutes les félicités terrestres. En lui soit toujours notre espérance, en sa crainte, notre félicité, en sa miséricorde la gloire de la réparation de notre nature, et en la prière notre sûreté inébranlable. Et toi, ô Dieu tout-puissant, comme ta bénignité a daigné d'ouvrir en la terre devant moi — ton indigne serf — tous les trésors des richesses du monde, qu'il plaise à ta grande clémence, lorsque je ne serai plus au nombre des vivants, de m'ouvrir encore les trésors des cieux, et me laisser contempler ton divin visage, dont la majesté est un délice inénarrable, et dont le ravissement n'est jamais monté en cœur d'homme vivant. Je te le demande par le Seigneur Jésus-Christ ton Fils bien-aimé, qui en l'unité du Saint-Esprit est avec toi au siècle des siècles. Ainsi soit-il.
Il existe, au cabinet des estampes de la Bibliothèque impériale, un dessin de Vrièse représentant le laboratoire d'un alchimiste. C'est une magnifique galerie de château qui a été transformée en laboratoire ; on voit d'un côté une rangée de fourneaux, et de l'autre un autel où fume l'encens ; l'alchimiste, à genoux, et les yeux levés vers le ciel, adresse à Dieu sa prière.
On commit, sous le nom de Liber mutus, une collection de quinze gravures in-folio qui se trouve à la fin du premier volume de la Bibliothèque chimique de Manget. Elle est destinée à faire connaître, au moyen de ces seules figures, et sans une seule ligne d'explication écrite, la préparation de la pierre philosophale. Les planches 2, 8 et 11, qui représentent trois opérations à exécuter, nous montrent un alchimiste et sa femme dans l'attitude de la prière, agenouillés des deux côtés d'un fourneau qui contient l'œuf philosophique. Le reste des figures est inintelligible, mais le sens de la dernière est facile à saisir. L'homme et la femme sont à genoux, levant les mains vers le ciel ; ils ont réussi dans leur recherche et remercient Dieu qui leur a dévoilé le secret qu'ils désiraient.
Après toutes ces preuves de leur dévotion, après tant de témoignages donnés par les alchimistes de la sincérité et de l'orthodoxie de leur foi, on est surpris quand on se rappelle le reproche qu'on leur a de tout temps adressé, d'avoir accordé une part considérable à l'étude de la magie, et d'avoir invoqué son secours pour les diriger dans leurs travaux. Il importe donc de rechercher quel est le crédit que mérite cette opinion universellement admise.
Dans les conceptions et dans les travaux alchimiques, la magie a joué, selon nous, un rôle infiniment moins sérieux qu'on ne l'admet généralement. Les alchimistes byzantins croyaient, il est vrai, aux influences astrologiques ; comme nous l'avons montré plus haut, ils accordaient aux astres une certaine action sur les propriétés des corps sublunaires. Tout le monde sait, par exemple, que, dès l'origine de l'art hermétique, les métaux, et avec eux un certain nombre de substances minérales, furent consacrés aux sept planètes ; les noms des métaux avaient même été fournis par ceux des planètes. À Saturne on consacrait le plomb, la litharge, l'agate et autres matières semblables ; à Jupiter, le corail, la sandaraque, le soufre ; à la planète Mars, le fer, l'aimant et les pyrites ; au soleil, l'hyacinthe, le diamant, le saphir et le charbon ; à Vénus, le cuivre, les perles, l'améthyste, le sucre, l'asphalte, le miel, la myrrhe et le sel ammoniac ; à Mercure, le vif-argent, l'émeraude, le succin, l'oliban, le mastic ; enfin, à la lune, rangée alors parmi les planètes, ou consacrait l'argent, le verre et la terre blanche. Partisans déclarés de l'astrologie, les savants grecs avaient dû nécessairement introduire quelques-unes de ces idées dans les dogmes alchimiques. Les Égyptiens et les Arabes, qui avaient reçu des Hébreux la tradition de la Cabale, se conformèrent à ces principes, et accordèrent une certaine part à l'astrologie pour la connaissance de l'art hermétique. C'est ainsi que Kalid et Geber déclarent que les métaux sont influencés par le cours des astres ; ce dernier auteur fait observer que l'intervention de cette influence constitue une des plus grandes difficultés pour régler les opérations chimiques. Mais les écrits des auteurs arabes n'appartiennent qu'aux premières époques de l'art hermétique ; les travaux de Geber, de Rhasès et des écrivains de cette école sont du huitième siècle et marquent par conséquent les premiers travaux de l'alchimie. La science qui nous occupe n'en était encore qu'à ses débuts, et les travaux pratiques pour la recherche de la pierre philosophale étaient alors à peine abordés. Les influences astrologiques invoquées à cette époque pour la direction des opérations chimiques ne purent donc exercer une grande influence sur les progrès de cet art naissant. Mais, plus tard, lorsque les recherches pour l'accomplissement du grand œuvre passèrent dans l'Occident et y prirent un essor universel, les considérations astrologiques, et surtout la magie, furent abandonnées ou tombèrent dans un discrédit général. Partageant les opinions de leur époque, subissant nécessairement l'influence des doctrines de leur temps, les alchimistes étaient sans doute disposés à accorder une certaine foi aux influences surnaturelles, à l'action d'êtres invisibles sur le monde matériel. Mais ils croyaient en même temps qu'il n'était pas donné à l'homme de diriger et de maîtriser à son gré cet empire. Ils professaient sur ce point l'opinion de Geber, qui nous apprend, dans le neuvième chapitre de la Somme de perfection, que les adeptes, tout en reconnaissant l'influence que les planètes, parvenues à un certain point du ciel, exercent sur la formation et le perfectionnement des substances minérales, déclarent en même temps que l'homme n'a pas reçu le pouvoir de suppléer à cette influence.
Nous ne dissimulerons pas cependant qu'un certain nombre d'écrivains alchimiques, qui appartiennent à l'époque des travaux les plus actifs, font intervenir, dans la direction de leurs recherches, l'astrologie, et même la magie. Ces écrivains recommandent d'avoir recours à diverses influences surnaturelles pour parvenir à la découverte de la pierre philosophale. Paracelse est celui qui a le plus insisté sur ce point. Ses ouvrages sont remplis de folles invocations au monde invisible, et c'est pour résumer sa pensée qu'il nous dit dans son traité De tinctura physicorum : si tu ne comprends pas les usages des cabalistes et des anciens astrologues, Dieu ne t'a pas créé pour la spagyrique, et Nature ne t'a pas choisi pour l'œuvre de Vulcain. Mais le fougueux médecin de Schwitz n'a jamais joui chez les alchimistes que d'une autorité contestable ; écrivain purement théorique, il ne travailla pas de ses mains à l'accomplissement du grand œuvre. Arnauld de Villeneuve et Basile Valentin sont les seuls alchimistes importants qui, avant Paracelse, avaient pris au sérieux l'astrologie et la magie. Dans son Traité des Talismans — de sigillis — Arnauld de Villeneuve donne un grand nombre de formules contre les démons. Basile Valentin s'était jeté avec ardeur dans les ténèbres du mysticisme hermétique, et, sous ce rapport, il avait préparé la voie à Paracelse, à qui revient le triste honneur d'avoir fait dévier l'alchimie de sa route et d'avoir substitué ou tenté de substituer la méthode psychologique à la méthode expérimentale adoptée avant lui. Mais, nous le répétons, les efforts de Basile Valentin et de Paracelse ne réussirent qu'imparfaitement à imprimer aux recherches des adeptes la direction mystique. En résumé, si les alchimistes occidentaux ont partagé les croyances de leur époque relativement à l'astrologie et à la magie, l'influence de ces idées ne s'est fait, selon nous, que très faiblement sentir dans leurs travaux pratiques. L'astrologie y joua un certain rôle, mais la magie n'y intervint jamais d'une manière sérieuse.
À la pensée que nous venons d'émettre on ne manquera pas d'opposer cette opinion unanime, accréditée depuis des siècles, qui nous représente l'alchimiste comme un homme nécessairement voué à toutes les pratiques des sciences occultes, et qui, pour atteindre le but de ses désirs effrénés, n'hésite pas à invoquer l'esprit du mal et à lui livrer son âme en échange des trésors qu'il ambitionne. Nous ne contesterons point que telle fut en certains cas, sur le compte des alchimistes, la pensée du vulgaire, et le portrait odieux que le génie de Goethe a si vigoureusement tracé dans le personnage du docteur Faust, reproduisait un type depuis longtemps consacré. Mais cette opinion tenait à deux causes qu'il importe de ne pas méconnaître. Au Moyen Âge, on était disposé à considérer comme émanant de l'esprit diabolique toute création formée en dehors de l'ordre habituel, et l'on n'hésitait pas à flétrir du dangereux nom de sorciers tous ceux qui mettaient en évidence quelque résultat extraordinaire.
Il est donc tout simple que ce préjugé ait pris naissance à propos des alchimistes, que l'on voyait occupés à des recherches dont le but et les procédés échappaient au vulgaire. D'ailleurs, loin de combattre cette opinion, les alchimistes eux-mêmes s'efforçaient de la répandre. Ils aimaient à jeter sur leurs travaux comme un voile de mystère ; le merveilleux prêtait à leur physionomie un caractère qui secondait leurs desseins. Bien des fois cependant les adeptes expièrent cruellement cette tentation de leur orgueil. On sait que la magie, considérée dans l'acception plus restreinte qu'elle reçut au Moyen Âge, était distinguée en magie blanche et en magie noire selon qu'on avait recours à l'intervention de Dieu ou à celle du diable pour la production de ses effets. C'est contre les sectateurs de la magie noire que le Moyen Âge avait établi un système spécial d'inquisition, comme on peut le lire dans la Démonomanie, ou le Fléau des démons et des sorciers, de J. Bodin d'Angers, publiée en 1580, et où se trouve tracé le code abominable des moyens qui permettent d'arriver à convaincre un accusé du crime de magie. Un alchimiste cité à la barre de ce redoutable tribunal encourait le dernier supplice, si les témoins entendus prouvaient que l'accusé s'était efforcé sciemment, par des moyens diaboliques, de parvenir à quelque chose. La jalousie de leurs confrères, la mauvaise foi, l'ignorance et quelquefois le ressentiment de leurs dupes, n'ont fait que trop souvent encourir aux adeptes l'expiation d'un crime imaginaire. Aussi, lorsque Gabriel Naudé publia en 1669 son Apologie des grands hommes accusés de magie, il comprit sur cette liste plusieurs alchimistes célèbres, parce qu'il savait bien que la pratique de l'alchimie avait été pour beaucoup de ces infortunés une cause de persécutions.
Les faits que l'histoire nous fournit montrent bien d'ailleurs que le recours aux influences magiques n'a joué qu'un bien faible rôle dans les fastes de l'art. Dans les récits des transmutations métalliques dont le souvenir nous a été conservé, on ne voit presque jamais intervenir d'invocation aux puissances occultes, et, si l'histoire de l'alchimie nous montre qu'il a existé certains individus qui essayaient de conjurer les démons ou se vantaient de tenir à leur service des diables familiers, l'événement ne manqua pas de prouver que c'étaient là de faux adeptes ou des alchimistes fripons. Bragadino, Léonard Thurneysser et François Borri furent particulièrement dans ce cas. Ce fait ne pourra rester l'objet d'un doute si le lecteur nous permet de rappeler, par une courte digression, les circonstances qui amenèrent à découvrir les fourberies et les mensonges de ces trois aventuriers.
Bragadino, dont le véritable nom était Mamugna, était Grec, originaire de l'île de Chypre. Il se faisait passer pour le fils du gouverneur de Venise, le comte Marco Antonio Bragadino, qui fut pris et tué par les Turcs en 1571. Après avoir parcouru une partie de l'Orient en jouant le rôle d'adepte, il se rendit en Italie en 1578 sous le nom de comte de Mamugnaro. Ayant réussi à attirer la confiance du margrave Martinengo, il ne tarda pas à acquérir une grande réputation comme adepte. Il faisait en public des transmutations, afin de prouver qu'il devait à la pierre philosophale l'origine de ses richesses. Mais ses prétendus procédés pour la préparation de cet agent précieux, qu'il vendait fort cher à ses admirateurs, étaient pour lui une source plus réelle de fortune. C'est ainsi que, se trouvant dans le palais des Cantarena, il fit une transmutation du mercure en or qui charma l'assemblée. Tout son secret consistait à faire usage d'un alliage de mercure et d'or, car les assistants reconnurent que le composé qu'il plaça dans le creuset rougi, perdit, pour se transformer en or, la moitié de son poids. La même expérience ayant été répétée à Venise dans la maison du riche Dandolo, émerveilla la noblesse, et le doge lui acheta à un très grand prix sa pierre philosophale, avec un écrit que l'on trouve reproduit dans la Bibliothèque chimique de Manget. Le chimiste Otto Tackenius, qui, plus tard, fut chargé d'examiner cette poudre, reconnut qu'elle ne consistait qu'en un amalgame d'or.
Cet aventurier quitta Venise en 1588, et se mit à parcourir l'Allemagne en prenant le nom de comte Bragadino. Les principales villes de l'Allemagne furent témoins de ses exploits. Pour produire sur l'esprit du public une impression plus vive, il assurait avoir le diable en sa puissance. Il faisait ses opérations ayant toujours à ses côtés deux énormes dogues noirs à l'air satanique, qui représentaient deux démons enchaînés à son pouvoir. Ayant acquis à Vienne beaucoup de réputation par ces manœuvres, Bragadino se rendit à Munich avec le projet de passer de là à Prague et à Dresde. Il arriva à Munich en 1590, et fut aussitôt appelé à la cour pour y donner témoignage de sa science. Mais les fraudes qu'il employait ayant fini par se découvrir, il fut mis en jugement et condamné à la potence pour avoir usurpé un nom qui ne lui appartenait pas. Revêtu d'un habit doré, Bragadino fut attaché à la potence d'or des alchimistes. Après son exécution, les deux dogues noirs, ses compagnons, furent arquebusés sous son gibet.
L'un des artistes hermétiques qui, à la même époque, occupait le plus l'Allemagne, était Léonard Thurneysser, ou plutôt Zum Thurn, né à Bâle en 1530. Dès l'âge de dix-huit ans, Thurneysser avait préludé à ses prouesses hermétiques en vendant aux juifs des objets dorés pour de l'or pur. Poursuivi pour ce fait, il se mit à voyager en France et en Angleterre, s'associant aux manœuvres des alchimistes ambulants, et apprenant en leur compagnie de subtils procédés pour étonner et tromper son prochain. Il était passé maître en cet art dangereux lorsqu'en 1555 il revint en Allemagne et se présenta à l'archiduc Ferdinand, dont il gagna la confiance. Il ne se donnait pas auprès du prince comme un adepte consommé, mais seulement comme un artiste à qui il manquait bien peu de chose pour atteindre à ce rang. Afin de le perfectionner dans son art, l'archiduc le fit voyager à ses frais dans les trois parties de notre hémisphère. Richement défrayé de ses dépenses par la munificence de son maître, Thurneysser parcourut successivement la Hongrie, l'Espagne, le Portugal, I'Écosse, l'Italie, la Grèce, l'Égypte, l'Arabie et la Syrie pour trouver le secret de la science hermétique. Il ne le trouva pas, et ne rapporta de ses voyages que quelques connaissances en médecine qu'il avait recueillies auprès des docteurs égyptiens.
C'est, en effet, en qualité de médecin que Léonard Thurneysser, de retour de l'Orient, se présenta à la cour de l'électeur de Brandebourg, Jean Georges, qui se trouvait alors à Francfort. Ayant guéri la femme de l'électeur d'une maladie, il fut nommé médecin du prince. Plus tard on le mit à la tête d'un laboratoire que sa noble cliente Éléonore, femme du prince électoral, avait fondé à Halle.
Thurneysser tira merveilleusement parti de sa position. Il vendait aux dames de la cour du fard et d'autres cosmétiques magistralement préparés. Dans sa pratique médicale, il substituait aux remèdes rebutants des galénistes les médicaments de Paracelse, qu'il décorait des noms pompeux d'or potable, de teinture d'or, de magistère du soleil. Il s'adonnait à l'astrologie, et publiait des calendriers astrologiques qui trouvaient un débit étonnant. Comme ses prophéties étaient conçues en termes fort ambigus, il tenait en réserve, pour les princes, des exemplaires particuliers de ses calendriers qui portaient dans les interlignes l'explication des termes obscurs. C'est en faisant usage de tous ces moyens que Thurneysser finit par acquérir des richesses immenses. Il entretenait dans son laboratoire plus de deux cents personnes, et avait établi, pour la publication de ses ouvrages, une fonderie de caractères et une imprimerie. Une édition qu'il publia des trente-deux dialectes européens et de soixante-huit langues étrangères, le fit regarder comme un des premiers savants de son temps. Ses différents écrits, entre autres Quinta essentia, publié à Munster en 1570, et son Pison, ouvrage qui traite des propriétés des eaux, étaient avidement recherchés dans toute l'Allemagne ; il était, en un mot, devenu l'oracle de la cour et du pays.
Ce qui avait en partie contribué à répandre la renommée de Thurneysser, c'est qu'il assurait avoir en sa puissance un démon d'ordre inférieur. Ce diable docile consistait en une petite figure hideuse qu'il montrait au public dans un flacon de verre.
Plus tard, cependant, son étoile vint à pâlir. Gaspard Hoffmann, professeur à Francfort, avait publié un traité remarquable, intitulé de la Barbarie imminente, dans lequel il démasquait l'extravagance du charlatan disciple de Paracelse. Ce livre dessilla les yeux de l'Électeur. En même temps, les alchimistes ses confrères, envieux de sa haute fortune, ayant réussi à dévoiler ses fraudes aux yeux de la cour, Thurneysser fut obligé, en 1585, de quitter précipitamment Berlin pour échapper aux poursuites ordonnées contre lui. Il n'eut pas le temps d'emporter son démon familier, et, lorsqu'on pénétra dans son laboratoire secret, on put mettre la main sur le mauvais génie : c'était un scorpion conservé dans de l'huile.
Thurneysser ne survécut pas longtemps à sa disgrâce. Après avoir erré quelque temps en Allemagne, en proie à une profonde misère, il entra dans un couvent, où il mourut l'objet de la commisération publique.
Joseph-François Borri, Milanais, avait attaqué avec trop de témérité les principes de l'Église romaine. Condamné au bannissement, il quitta l'Italie en 1660, et parcourut, sous le nom de Burrhus, diverses villes d'Allemagne, où il fit plusieurs fois des projections hermétiques. Après avoir visité les provinces rhénanes et les Pays-Bas, il se rendit, en 1665, à Copenhague, et entra comme alchimiste au service du roi de Danemark, Frédéric III. II parvint à un tel point à gagner la confiance du roi, qu'il réussit à lui persuader une insigne folie. Borri prétendait avoir à son service un démon qui apparaissait à son évocation et qui lui dictait les opérations nécessaires à accomplir pour opérer les transmutations. Cet esprit, qui répondait au nom d'Homunculus, arrivait au commandement de son maître, lorsque celui-ci prononçait certaines syllabes mystérieuses. Pour avoir son alchimiste tout à fait sous la main, le roi décida que le laboratoire de Borri serait transporté dans son château. Mais l'adepte assurait que le pouvoir de son démon serait anéanti si on tentait de le séparer d'un immense fourneau de fer et de briques qu'il avait fait bâtir pour servir de demeure à l'Homunculus. Il espérait, grâce à cette difficulté, échapper à l'obligation de loger au palais, où ses opérations auraient sans doute trouvé une surveillance plus sévère. Mais une volonté royale ne connaît point d'obstacle. Le roi décida que, pour ne point séparer l'Homunculus de sa prison obligée, l'immense fourneau de l'alchimiste serait transporté, à l'aide de machines et par-dessus les remparts, dans l'intérieur de son palais. Tous les gens du palais furent contraints de s'atteler à ces machines.
Cinq ans après, Frédéric III étant mort, on voulut connaître le secret de Barri. Ce dernier prit aussitôt la fuite ; mais, arrêté sur les frontières de la Hongrie, il fut emprisonné à Vienne. Reconnu par le nonce du pape, il fut réclamé au nom de la cour de Rome comme ayant été condamné pour crime d'hérésie. Borri fut conduit à Rome par le nonce lui-même, et on le tint enfermé dans le château Saint-Ange. Il n'était pas astreint néanmoins à une surveillance trop sévère : on lui accorda un laboratoire afin qu'il travaillât à la pierre philosophale en faveur de l'Église. Mais il ne put parvenir à rien de bon : son Homunculus l'avait quitté. Il mourut en prison en 1695.
Si nous sommes entré dans les détails qui précèdent, c'est que nous voulions montrer que ces invocations aux esprits infernaux, ce recours aux puissances occultes, tant reprochés aux alchimistes, n'ont été en réalité que le fait de quelques fripons ou de souffleurs de bas étage. Aucun des grands hommes dont les noms brillent dans les fastes alchimiques n'a ajouté foi à de semblables folies. Et le fait d'ailleurs s'explique sans peine. Quelles que soient les erreurs dans lesquelles ils ont pu tomber, les alchimistes étaient, après tout, des gens positifs, ayant un but parfaitement déterminé et sachant fort bien quel résultat ils voulaient atteindre. Pour obtenir ce résultat, le recours aux influences surnaturelles était plus qu'illusoire, et, si les adeptes eurent quelques tentations de ce genre, le bon sens et l'expérience ne tardèrent pas à leur montrer qu'il n'y avait rien de sérieux à attendre de tels moyens. Ils durent donc abandonner bientôt une voie aussi stérile, laissant aux faiseurs de dupes le soin d'en exploiter les hasards et les profits. Pour arriver à la découverte de l'agent précieux, but de leurs espérances, ils se bornèrent à l'emploi des moyens naturels, c'est-à-dire aux expériences exécutées à l'aide des agents que mettait à leur service la chimie de leur temps. La série des moyens pratiques mis en usage aux diverses époques de l'alchimie pour la découverte de la pierre philosophale doit donc maintenant devenir l'objet de notre examen.


Source : http://www.viamenta.com/textesesoteriques/alchimieetalchimistes/
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MessageSujet: Re: L’Alchimie – Origines, Petite Histoire et Grands Noms (rappel)   L’Alchimie – Origines, Petite Histoire et Grands Noms (rappel) I_icon_minitimeJeu 8 Juil 2010 - 17:38


Nicolas Flamel

Ce n'est pas seulement dans l'ordre chronologique que Nicolas Flamel doit être placé le premier sur la liste des fortunés souffleurs. L'adepte heureux qui laissa une mémoire non seulement vivante, mais presque vénérée pendant plus de quatre siècles, celui dont le nom populaire s'est incrusté si profondément dans les traditions et les légendes de notre pays, mérite, à bien des titres, d'occuper la première place dans les récits de la science transmutatoire. Tandis que la plupart des adeptes dont nous aurons à rappeler l'existence ne trouvent dans la pratique de leur art que déception, ruine ou désespoir, Nicolas Flamel ne rencontre dans sa carrière que bonheur et sérénité. Loin de se ruiner en travaillant au grand œuvre, on le voit ajouter subitement des trésors à sa fortune, il ramassa des richesses, considérables pour le temps, et que l'opinion populaire élèvera bientôt à des proportions fabuleuses. Il les emploie en dotations charitables et en fondations pieuses qui lui survivront. Il bâtit des églises et des chapelles sur lesquelles il fait graver son image, accompagnée de symboliques figures et de croix mystérieuses que les adeptes des temps futurs s'efforceront de déchiffrer, pour y retrouver l'histoire de sa vie et la description cabalistique des procédés qui l'ont amené à la réalisation du magistère.
On ne possède aucun renseignement précis sur la date ni sur le lieu de la naissance de Flamel. La plupart de ses biographes le font naître à Pontoise ; mais nul d'entre eux n'a fixé l'époque de naissance. Cependant, en rapprochant quelques dates plus faciles à réunir, on trouverait sans doute que l'époque de sa naissance ne doit pas s'éloigner beaucoup de l'année 1330. Bien que d'une fortune très médiocre, ses parents purent lui donner une éducation que nous appellerions aujourd'hui libérale. Certaines connaissances dans les lettres lui étaient, en effet, nécessaires pour venir, comme il le fit, s'établir, jeune encore, dans la capitale du royaume en qualité d'écrivain public, profession qui embrassait alors beaucoup de travaux d'une nature variée. Plusieurs témoignages nous montrent que Nicolas Flamel exerça cette profession dans toute son étendue et avec un succès qui peut le faire considérer comme un clerc distingué parmi les artistes du quatorzième siècle.
Comme aucun document ne peut éclairer les premières années de sa vie, l'histoire de Flamel ne commence, pour nous, qu'au moment où il apparaît au cimetière des Innocents, parmi les écrivains publics qui, de temps immémorial, avaient adossé leurs échoppes contre ces vieilles constructions. Cependant, les gens de sa corporation étant allés plus tard s'établir sous les piliers de l'église Saint-Jacques-la-Boucherie, Flamel, à leur exemple, y transporta son bureau. Les affaires du jeune écrivain commençaient déjà à prospérer ; car on lui voit, dans ce nouveau quartier, deux échoppes ; l'une occupée par des copistes à ses gages ou par les élèves qu'il formait dans son art, l'autre où il se tenait ordinairement lui-même. Cette dernière échoppe, à laquelle le modeste et laborieux écrivain demeura toujours fidèle, malgré les richesses qu'il acquit plus tard, n'offrait de particulier que son excessive exiguïté. D'après Sauval, elle n'avait pas plus de deux pieds et demi de long sur deux de large ; après la mort de Flamel, elle resta longtemps à louer, et la paroisse de Saint-Jacques-la-Boucherie ne put qu'avec peine trouver un preneur à raison de huit sols parisis par an. C'est dans cet étroit espace que l'honnête artiste vit s'écouler sa vie.
Installé dans son nouvel établissement du quartier Saint-Jacques-la-Boucherie, Nicolas Flamel contracte bientôt une union qui vient ajouter beaucoup à cette première aisance à laquelle il est déjà parvenu. Il épouse une veuve, que l'on croit née à Paris, comme on croit Flamel lui-même né à Pontoise, l'origine de l'une n'étant pas plus certaine que celle de l'autre. Mais à ce détail près, dame Pernelle est une personne de mérite, économe, prudente, sage et expérimentée, belle, ou du moins agréable encore, autant que peut le paraître, aux yeux d'un jeune mari, une femme deux fois veuve, ayant quarante ans passés, point d'enfants et une dot dont les biographes oublient de nous donner le chiffre, mais qui doit être estimée assez honnête d'après ses effets immédiats sur la situation de la communauté. Il se présenta un terrain vacant à l'un des angles de la vieille rue de Marivaux ; les époux l'achetèrent et y firent bâtir une maison en face de leur échoppe. Dans cette maison, à l'enseigne de la Fleur de Lys, les gens de cour venaient recevoir de l'écrivain expert des leçons d'écriture qu'ils payaient fort chèrement. Or bâtir, dans la bourgeoisie du quatorzième siècle comme dans celle de nos jours, c'est l'indice assuré, l'emblématique manifestation d'une fortune en train de se consolider. Il existe toutefois un titre qui nous fournit quelques éclaircissements sur le véritable état de la fortune de Flamel à cette époque : c'est l'acte par lequel, trois années après leur union, les deux époux se firent un don mutuel de tous leurs biens, afin que chacun d'eux pût avoir honnêtement sa vie selon son état. D'après l'énumération des biens qui composent cette dotation mutuelle, on voit que les ressources du ménage ne dépassaient guère encore la médiocrité.
Ainsi Nicolas Flamel, établi dans le nouveau quartier des écrivains, vient de faire un mariage de raison ; il s'est montré en cela homme positif, et cette qualité ne lui fera jamais défaut, bien qu'elle doive paraître originale chez un alchimiste. Il est vrai qu'il n'a encore touché que de fort loin aux principes de cette science occulte. Si, désireux d'étendre le cercle de ses affaires, il a joint à sa profession d'écrivain l'industrie de libraire, s'il entreprend un nombre considérable de travaux dans l'art de l'écriture, où il excelle, il n'opère encore qu'au grand jour et sur des matières connues. Tandis qu'une laborieuse activité règne dans ses échoppes, sa maison se remplit de beaux livres richement enluminés et qui trouvent un excellent débit ; il s'entoure de nombreux élèves qui rétribuent ses leçons en raison du talent et de la vogue de leur maître. En tout cela Flamel trouve les moyens de s'enrichir, mais fort peu d'occasions de se mettre en contact avec la science des philosophes hermétiques. Ce qui peut seulement seconder le désir qu'il éprouve, à l'exemple de tous les hommes éclairés de son temps, de devenir expert dans les pratiques de l'alchimie, ce sont les occasions qui lui sont souvent offertes, d'acheter, de vendre, de copier, peut-être même de lire, quelques ouvrages hermétiques, alors si nombreux et si recherchés. Il faut même admettre que notre artiste avait commencé de s'adonner à quelques lectures de ce genre, et que son esprit inclinait vers ces idées, pour expliquer la vision qu'on lui attribue et qui devint l'origine de ses travaux hermétiques.
Une nuit donc, raconte la légende à laquelle l'histoire va désormais fréquemment céder la parole, Nicolas Flamel dormait d'un profond somme, quand un ange lui apparut, tenant à la main un livre d'une antiquité vénérable et d'une magnifique apparence : Flamel, lui dit l'ange, regarde bien ce livre, tu n'y comprends rien, ni toi, ni bien d'autres, mais tu y verras un jour ce que nul n'y saurait voir. Et, comme Flamel tendait la main pour recevoir le don précieux qu'il croyait lui être offert, l'ange et le livre disparurent à la fois dans un nuage d'or.
Cependant la prédiction céleste tardait beaucoup à s'accomplir. L'ange semblait avoir si bien oublié sa promesse, que Flamel n'y eût point sans doute songé davantage, sans un événement qui vint réveiller ses souvenirs et en même temps ses espérances. Un certain jour de l'année 1357, il acheta d'un inconnu un vieux livre, qu'il reconnut, dès la première inspection, pour celui de son rêve. Dans un des ouvrages que la tradition lui attribue, il s'explique avec détails au sujet de cette trouvaille. Nous citerons quelques lignes de cet ouvrage, qui renferment une description très précise et de nature à faire ajouter foi à la réalité de l'objet décrit, avec quelques détails précieux sur la position de notre artiste à cette époque de sa vie.
Donc moi Nicolas FLAMEL, écrivain, ainsi qu'après le décès de mes parents, je gagnais ma vie en notre art d'écriture, faisant des inventaires, dressant des comptes, et arrêtant les dépenses des tuteurs et mineurs, il me tomba entre les mains, pour la somme de deux florins, un livre doré fort vieux et beaucoup large ; il n'était point en papier ou en parchemin, comme sont les autres, mais seulement il était fait de déliées et écorces comme il me semblait de tendres arbrisseaux. Sa couverture était de cuivre bien délié, toute gravée de lettres ou figures étranges, et quant à moi je crois qu'elles pouvaient bien être des caractères grecs ou d'autre semblable langue ancienne. Tant y a que je ne les savais pas lire, et que je sais bien qu'elles n'étaient point notes ni lettres latines ou gauloises, car nous y entendons un peu. Quant au dedans, ses feuilles d'écorce étaient gravées et d'une très grande industrie, écrites avec une pointe de fer, en belles et très nettes lettres latines colorées. Il contenait trois fois sept feuillets, car ceux-ci étaient ainsi comptés au haut du feuillet. Le septième desquels était toujours sans écriture, au lieu de laquelle il y avait peint une verge et des serpents s'engloutissant ; au second septième, une croix où un serpent était crucifié ; au dernier septième étaient peints des déserts, au milieu desquels coulaient plusieurs belles fontaines, dont sortaient plusieurs serpents qui couraient par ci et par là. Au premier des feuillets il y avait écrit en lettres grosses capitales dorées :
ABRAHAM LE JUIF, PRINCE, PRÊTRE, LÉVITE, ASTROLOGUE ET PHILOSOPHE, À LA GENT DES JUIFS, PAR L'IRE DE DIEU DISPERSÉE AUX GAULES, SALUT, D. I. Après cela, il était rempli de grandes exécrations et malédictions avec ce mot MARANATHA, qui y était souvent répété, contre toute personne qui y jetterait les yeux sur celui-ci, s'il n'était sacrificateur ou scribe.
Puisque les sacrificateurs et les scribes pouvaient ouvrir ce livre, Nicolas Flamel avait le droit d'y jeter les yeux, car, s'il n'était point sacrificateur, ce qui eût répugné à l'innocence et à la bonté de son âme, on ne saurait lui contester la qualité de scribe. Ce qui l'arrêtait, ce n'était donc point le terrible Maranatha, mais bien l'impénétrable obscurité du texte. Tout ce qu'il y comprenait, c'est que l'art de la transmutation métallique, que l'auteur révélait aux gens de sa nation, comme moyen de payer le tribut aux empereurs romains, se trouvait contenu au troisième feuillet. En effet, le premier feuillet était rempli tout entier par le titre que nous avons cité ; et le second ne contenait que des remontrances et des consolations aux Israélites. Mais dans cette partie du livre, l'exécution du grand œuvre se trouvait expliquée dans un langage ordinaire, avec le dessin des vases à employer et l'indication des couleurs qui devaient apparaître. Seulement l'ouvrage ne disait rien sur la nature de la matière essentielle, c'est-à-dire sur ce que nous avons appelé ailleurs le premier agent de la pierre philosophale. La clef de ce mystère était contenue dans les quatrième et cinquième feuillets, tout remplis de belles figures enluminées, mais sans aucun texte écrit. Ces figures représentaient intelligiblement, nous dit Flamel, la composition du premier agent : mais, ajoute-t-il, il aurait fallu, pour le comprendre, être fort avancé dans la cabale des Juifs et avoir bien étudié les écrits des philosophes hermétiques.
Voici quelles étaient, d'après Nicolas Flamel, ces importantes figures du livre d'Abraham.
La première figure du quatrième feuillet représentait un jeune homme avec des ailes aux pieds, tenant en main un caducée, autour duquel s'entortillaient deux serpents, et dont il frappait sur une salade — un casque — qui lui couvrait la tête ; ce jeune homme ressemblait au Mercure de la mythologie. Contre lui s'avançait, courant et volant, les ailes étendues, un grand vieillard portant sur sa tête une horloge, et dans ses mains une faux, comme la mort ; terrible et furieux, il voulait trancher les pieds à Mercure. Une autre figure du même feuillet représentait, au sommet d'une montagne, une belle fleur rudement ébranlée par l'aquilon. Elle avait le pied bleu, les fleurs blanches et rouges, les feuilles reluisantes comme de l'or ; à l'entour de cette fleur, les dragons et griffons aquiloniens faisaient leur nid et demeure.
Au cinquième feuillet, on voyait un beau jardin, au milieu duquel un rosier fleuri s'appuyait contre un chêne creux ; à leur pied bouillonnait une fontaine d'eau très blanche, qui allait ensuite se précipiter dans des abîmes. Avant de disparaître ses ondes avaient passé entre les mains d'une infinité de peuples, qui fouillaient la terre en la cherchant, mais qui, étant aveugles, ne la reconnaissaient point, excepté quelques-uns d'entre eux qui considéraient le poids. Au revers du même feuillet, on trouvait un roi qui, armé d'un coutelas, faisait tuer en sa présence, par des soldats, une multitude de petits enfants, dont les mères pleuraient aux pieds des impitoyables gendarmes. Recueilli par d'autres soldats, le sang de ces enfants était placé dans un grand vaisseau où venaient se baigner à la fois le soleil et la lune.
On ne peut savoir ce qui était contenu dans le reste du livre d'Abraham le Juif. Nicolas Flamel nous donne en ces termes les motifs de son silence à cet égard :
Je ne représenterai point, nous dit-il, ce qui était écrit en beau et très intelligible latin en tous les autres feuillets écrits, car Dieu me punirait ; d'autant que je commettrais plus de méchancetés que celui — comme on dit — qui désirait que tous les hommes du monde n'eussent qu'une tête, et qu'il la pût couper d'un seul coup.
Une fois en possession de ce livre mystérieux, Flamel passa les jours et les nuits à l'étudier ; il le cachait à tous les yeux, et, bien qu'il n'y pût rien entendre, il n'en était pas moins jaloux de sa possession. Seulement, dans sa tendresse inquiète, sa femme bien-aimée s'alarmait de le voir triste et de l'entendre souvent soupirer dans la solitude. Devant la douce insistance et les pressantes questions de Pernelle, il ne put se défendre de lui confier son secret. Elle le garda fidèlement, et, si dans cette occasion elle ne lui fut d'aucun secours, contrainte de partager son admiration stérile pour ces belles figures auxquelles elle ne comprenait rien, elle procura du moins à son mari la consolation d'en parler en tête-à-tête avec ravissement, et de chercher ensemble les moyens d'en découvrir le sens caché.
Cette situation d'esprit était d'autant plus pénible pour Flamel, qu'il croyait lire très clairement dans les premiers feuillets toutes les opérations à mettre en pratique, et ne se voyait arrêté que par son ignorance sur la matière première. Ce qu'il savait le moins, ou plutôt ce qu'il ne savait pas du tout, c'était son commencement. Le secours de l'ange de sa vision serait ici arrivé fort à propos, mais cette intervention surnaturelle, si formellement annoncée, manqua toujours à notre alchimiste, qui l'eût cependant méritée, car il était homme de bien et homme de foi.
En l'absence de l'ange, dont les promesses ne semblent lui avoir inspiré qu'une confiance médiocre, Nicolas Flamel s'adressa directement à Dieu. Cette invocation à l'autorité divine pour le succès de son œuvre, ne paraîtra point extraordinaire si l'on se rappelle qu'à cette époque beaucoup de savants docteurs et de pieux évêques s'occupaient de recherches alchimiques sans scrupule de conscience, et que Flamel les poursuivait d'ailleurs avec un esprit exempt de cupidité. Voici donc la belle prière que l'on prête à Nicolas Flamel, et qu'il aurait faite pour obtenir l'intelligence des figures cabalistiques du livre d'Abraham :
Dieu tout-puissant, éternel, père de la lumière, de qui viennent tous les biens et tous les dons parfaits, j'implore votre miséricorde infinie ; laissez-moi connaître votre éternelle sagesse ; c'est celle qui environne votre trône, qui a créé et fait, qui conduit et conserve tout. Daignez me l'envoyer du ciel votre sanctuaire, et du trône de votre gloire, afin qu'elle soit et qu'elle travaille en moi ; c'est elle qui est maîtresse de tous les arts célestes et occultes, qui possède la science et l'intelligence de toutes choses. Faites qu'elle m'accompagne dans toutes mes œuvres ; que, par son esprit, j'aie la véritable intelligence, que je procède infailliblement dans l'art noble auquel je me suis consacré, dans la recherche de la miraculeuse pierre des sages, que vous avez cachée au monde, mais que vous avez coutume au moins de découvrir à vos élus. Que ce grand œuvre que j'ai à faire ici-bas, je le commence, je le poursuive et l'achève heureusement ; que, content, j'en jouisse toujours. Je vous le demande par Jésus-Christ, la pierre céleste, angulaire, miraculeuse et fondée de toute éternité, qui commande et règne avec vous.
Cette prière ne fut point d'abord exaucée ; cependant Flamel ne se rebuta pas. Peut-être pensa-t-il que sa demande était téméraire, et que, même aux élus qu'il daigne favoriser de son secours, Dieu n'accorde des dons extraordinaires qu'au prix du travail et du temps. Il se remit donc à travailler avec ardeur.
Le peu de succès que Nicolas Flamel retira de ses premières recherches lui fit comprendre que ses seules lumières seraient insuffisantes pour pénétrer le secret de la science hermétique. Il prit donc la résolution d'invoquer le savoir de quelques personnages plus éclairés que lui. Dans le lieu le plus apparent de sa maison, il exposa, non point le livre même, qu'il voulait toujours dérober à tous les yeux, mais une copie, fidèlement exécutée par lui, de ses principales figures. Plusieurs grands clercs, qui fréquentaient son logis, eurent le loisir de les admirer tout à leur aise, mais personne ne put réussir à en déchiffrer le sens. Et, comme il est d'usage de se montrer sceptique et railleur à l'endroit des choses qu'on ne comprend pas ou qu'on ignore, lorsque Flamel déclarait que ces figures enseignaient le secret de la pierre philosophale, chacun se moquait du bonhomme et de sa pierre.
Il se rencontra cependant parmi les visiteurs un licencié en médecine, ayant nom maître Anseaulme, qui prit la chose au sérieux. Grand amateur d'alchimie, maître Anseaulme avait bien envie de connaître le livre du juif, et il en coûta à Flamel beaucoup de protestations et de mensonges pour lui persuader qu'il ne l'avait pas. Raisonnant donc sur la copie qu'il avait sous les yeux, le licencié donna l'explication suivante des figures cabalistiques.
D'après maître Anseaulme, la première figure représentait le temps qui dévore tout, et les six feuillets écrits signifiaient qu'il fallait employer l'espace de six ans pour parfaire la pierre, après quoi il fallait tourner l'horloge et ne cuire plus. Et, comme Flamel se permettait d'objecter que cette explication était loin du véritable sujet des figures, lesquelles n'avaient été peintes, comme il était dit expressément dans le livre, que pour démontrer et enseigner le premier agent, maître Anseaulme répondait que cette action de six ans était comme un second agent. Il ajoutait qu'au surplus, le premier agent était véritablement figuré aussi par l'eau blanche et pesante — sans doute le vif-argent — que l'on ne pouvait fixer, auquel on ne pouvait couper les pieds, c'est-à-dire ôter la volatilité que par cette longue décoction dans un sang très pur de jeunes enfants ; que, dans ce sang, le vif argent se combinant avec l'or et l'argent, se convertissait premièrement avec eux en une herbe semblable à celle qui était peinte, puis, après, par corruption, en serpents, lesquels étant parfaitement desséchés et cuits par le feu, se réduiraient en une poudre couleur d'or qui serait la pierre philosophale.
Si l'on demande quel fut le succès des travaux entrepris sur cette explication triomphante, nous citerons le certificat que Flamel s'en est donné à lui-même pour immortaliser la sagacité du licencié Anseaulme :
Cela fut cause, nous dit-il, que durant le long espace de vingt et un ans, je fis mille brouilleries, non toutefois avec le sang, ce qui est méchant et vilain ; car je trouvai dans mon livre que les philosophes appelaient sang l'esprit minéral qui est dans les métaux, principalement dans le Soleil, la Lune et Mercure, à l'assemblage desquels je tendais toujours.
Ainsi Nicolas Flamel employa plus de vingt ans à vérifier par ses recherches les commentaires du licencié. Si un tel chercheur ne trouve rien, on n'a, certes, aucun reproche à lui adresser. Bien qu'entrepris en vue d'une oeuvre chimérique, un travail exécuté avec une telle constance nous semble aussi digne d'intérêt que tout ce que peuvent produire la patience et le génie dans les sciences de notre époque. Comme l'alchimiste des temps anciens, le savant de nos jours se consacre à la poursuite passionnée d'une idée que l'on qualifie de chimère tant qu'elle n'a pas été réalisée ; c'est comme un premier agent dont son génie devine l'existence sans pouvoir la démontrer, un principe qui règne déjà, mais pour lui seul, et dont l'obscure et confuse perception fait, pendant de longs jours et pendant de longues nuits, l'occupation et le tourment de sa pensée.
On ne peut attendre trop longtemps une bonne inspiration, pourvu qu'enfin elle arrive. Celle qui se présenta après vingt et un ans de travaux, à l'esprit de notre alchimiste, était aussi heureuse que naturelle. Réfléchissant sur l'origine de son livre, Nicolas Flamel s'avisa qu'il devait en demander le sens à quelque membre de la nation d'Abraham, car, pour expliquer un juif, il est bon de prendre un autre juif. Mais, dans toutes ses entreprises, notre pieux personnage ne perdait jamais de vue le secours qu'il pouvait tirer de la puissance divine. Il résolut donc de faire un vœu de pèlerinage à Dieu et à Monsieur saint Jacques de Gallice, afin d'obtenir la faveur de découvrir dans les synagogues d'Espagne, quelque docte juif capable de lui donner l'interprétation véritable des figures mystérieuses dont il poursuivait en vain la signification.
Voilà donc notre adepte en route pour l'Espagne. Muni du consentement de Pernelle, il porte le bourdon et l'habit du pèlerin, comme il convient à celui qui voyage pour l'accomplissement d'un vœu. Il n'a pas oublié d'emporter un extrait des peintures du fameux livre que, pour rien au monde, il ne voudrait ni montrer ni déplacer. C'est en l'année 1378, selon la tradition, que Flamel fit ce voyage qui devait être d'un résultat si décisif pour sa destinée.
Son voeu accompli avec toute la dévotion nécessaire, et Monsieur saint Jacques dûment récompensé, notre alchimiste put s'occuper librement de l'affaire qui l'attirait en Espagne. Mais, en dépit de la protection de saint Jacques, il ne trouvait pas sans doute l'homme qu'il cherchait, car son séjour dans ces contrées se prolongea près d'un an. Comme il s'acheminait vers le Nord, afin de rentrer en France, il traversa la ville de Léon, où il fit la rencontre d'un marchand de Boulogne, qui avait pour ami un médecin juif de nation, mais converti au christianisme. Sur l'énonciation de ces qualités, Nicolas Flamel s'empressa de lier connaissance avec le médecin juif. Maître Canches, c'est le nom qu'il lui donne, était un cabaliste consommé, très versé dans les sciences sublimes. À peine eut-il jeté les yeux sur l'extrait des figures conservé par Flamel, que, ravi d'étonnement et de joie, il demanda à l'adepte s'il avait connaissance du livre qui les contenait. Maître Canches s'exprimait en latin : Flamel lui répondit, dans la même langue, qu'il pourrait donner de bonnes nouvelles de ce livre à celui qui parviendrait à lui en expliquer les figures. Sur cela, et sans plus de discours, maître Canches se mit aussitôt à donner l'explication de tous ces emblèmes de manière à ne laisser aucun doute à son interlocuteur sur l'exactitude de son interprétation.
Le cœur de Flamel battait avec violence pendant qu'il écoutait le merveilleux commentaire depuis si longtemps attendu. Mais, si grande que fût sa joie, elle était encore loin d'égaler celle du Juif. En effet, si l'alchimiste pouvait se croire enfin parvenu au but suprême de ses longs et douloureux travaux, à ce premier agent, à cette pierre philosophale qui renfermait tant de vertus naturelles et de miraculeuses puissances, maître Canches se voyait sur la trace d'un livre précieux entre tous les livres, unique, introuvable, œuvre perdue de l'un des princes de la cabale et dont le titre, la seule chose que l'on en connût depuis un grand nombre de siècles, était resté en vénération parmi les plus savants docteurs de la nation d'Abraham.
On devine que Flamel n'éprouva pas grande résistance lorsqu'il proposa au médecin israélite de l'accompagner à Paris, pour compléter son explication sur le texte même du livre. ils se mirent donc ensemble en route pour la France. Mais il était écrit que le pauvre Juif, éprouvant le sort de l'antique fondateur de sa religion, ne pourrait entrer dans la terre promise. Arrivé à Orléans, à peu de journées de Paris, il tomba malade, et, malgré tous les soins que ne cessa de lui prodiguer son ami, il expira entre ses bras après sept jours de maladie. Flamel lui rendit pieusement les derniers devoirs.
Au mieux que je pus, dit-il, je le fis enterrer en l'église Sainte-Croix, à Orléans, où il repose encore. Dieu aie son âme. Car il mourut bon chrétien. Et certes, si je ne suis empêché par la mort, je donnerai à cette église quelques rentes pour faire dire pour son âme tous les jours quelques messes.
De retour à Paris, Flamel fut encore obligé de travailler trois ans sur les instructions incomplètes qu'il avait reçues du Juif. Au bout de ce temps, il toucha au but si ardemment désiré ; et, avec l'aide de Pernelle, qui prenait part à toutes ses opérations, il composa enfin la sublime pierre des sages.
Finalement, nous dit-il, je trouvais ce que je désirais, ce que je reconnus aussitôt par la senteur forte. Ayant cela, j'accomplis aisément le magistère ; aussi, sachant la préparation des premiers agents, suivant après mon livre à la lettre, je n'eusse pu faillir, encore que je l'eusse voulu.
Donc, la première fois que je fis la projection, ce fut sur du Mercure, dont j'en convertis une demi-livre ou environ, en pur argent, meilleur que celui de la minière, comme j'ai essayé et fait essayer par plusieurs fois. Ce fût le 17 janvier, un lundi, environ midi, en ma maison, présente Pernelle seule, l'an de la restitution de l'humain lignage mille trois cent quatre-vingt-deux. Et puis après, en suivant toujours de mot à mot mon livre, je la fis avec la pierre rouge, sur semblable quantité de Mercure, en présence encore de Pernelle, seule en la même maison, le vingt-cinquième jour d'avril suivant de la même année, sur les cinq heures du soir, que je transmuais véritablement en quasi autant de pur or, meilleur très-certainement que l'or commun, plus doux et plus ployable. Je peux le dire avec vérité, je l'ais parfaite trois fois avec l'aide de Pernelle, qui l'entendait aussi bien que moi pour m'avoir aidé aux opérations, et sans doute, si elle eût voulu entreprendre de la parfaire seule, elle en serait venue à bout.
Quand on a lu ce procès-verbal, que Flamel dresse lui-même de son propre succès, on n'est pas très avancé dans la connaissance du procédé qui lui servit à accomplir la pierre philosophale. Pour comprendre, il manque au lecteur ce qui manquait à Flamel lui-même avant son voyage en Espagne. On pourrait lui dire, comme il disait alors à maître Anseaulme : Mais quel est donc le premier agent ? Nous avons lu avec une attention scrupuleuse les neuf chapitres où l'auteur reprend une à une les diverses figures hiéroglyphiques du tableau qui sert de frontispice à son traité, et nous pouvons affirmer que l'on y chercherait en vain l'explication du secret de la science hermétique. Ce qui n'empêche pas notre adepte, imitant en cela le reste de ses confrères, de s'applaudir de la sincérité et de la clarté de ses révélations touchant le mystère du grand œuvre :
Et vraiment, dit-il en s'adressant au lecteur, dont il vient d'embrouiller l'esprit en parlant de siccité et d'humidité, d'albification et de rubification, de lait virginal solaire et de mercure citrin rouge, d'œuf philosophique et de poulet, et vraiment je te dis ici un secret que tu trouveras bien rarement écrit ; aussi je ne suis point envieux. Plût à Dieu que chacun sût faire de l'or à sa volonté, afin que l'on vécut menant paître ses gras troupeaux ; sans usure et procès, à l'imitation des saints patriarches, usant seulement, comme les premiers pères, de permutation de chose à chose, pour laquelle avoir il faudrait travailler aussi bien que maintenant.
Là s'arrête la légende de Nicolas Flamel ; ici doit reparaître l'histoire qui n'invoque pour appuyer ses assertions, que des documents positifs.
Après l'année 1382, quelle que soit l'opinion à laquelle on s'arrête pour expliquer son origine, il est certain que la fortune des époux Flamel s'était considérablement accrue. D'après des renseignements dignes de foi, Nicolas Flamel était propriétaire, à Paris seulement, de plus de trente maisons et domaines.
Les deux époux, déjà figés, sans enfants et sans espérance d'en avoir, voulurent reconnaître les grâces que Dieu leur avait accordées, et résolurent de consacrer leurs richesses à des œuvres de bienfaisance et de miséricorde. D'abord, leur petite maison de la rue Marivaux devient un lieu d'asile ouvert aux veuves et aux orphelins dans la détresse. Les deux époux prodiguent des secours aux pauvres, ils fondent des hôpitaux, bâtissent ou réparent des cimetières, font relever le portail de Sainte-Geneviève des Ardents, et dotent l'établissement des Quinze-Vingts, qui, en mémoire de ce fait, venaient chaque année, à l'église Saint-Jacques-la-Boucherie, prier pour leurs bienfaiteurs, et ont continué jusqu'en 1789 ce pieux pèlerinage. Flamel et Pernelle accordent encore des dotations à un grand nombre d'églises, mais particulièrement à celle de Saint-Jacques-la-Boucherie. On a trouvé dans les archives de cette paroisse, outre le testament de Nicolas Flamel, plus de quarante actes qui témoignent des dons considérables qu'il avait faits à cette église.
Nicolas Flamel énumère dans les termes suivants les divers témoignages de sa pieuse libéralité :
En l'an mille quatre cent treize, nous dit-il, sur la fin de l'an, après le trépas de ma fidèle compagne, que je regretterai tous les jours de ma vie, elle et moi avions déjà fondé et renté quatorze hôpitaux en cette ville de Paris, bâti tout de neuf trois chapelles, décoré de grands dons et de bonnes rentes sept églises, avec plusieurs réparations en leurs cimetières, outre ce que nous avions fait à Boulogne, qui n'est guère moins que ce que nous avons fait ici.
À cette liste des fondations de Flamel il faut ajouter ses constructions au charnier des Innocents, qui retraçaient par leurs décorations symboliques les emblèmes de l'art qui, selon la tradition, fut l'origine de sa fortune.
Cédant, en cela, à la faiblesse humaine, Flamel fit sculpter son image sur les divers monuments dus à sa libéralité. Pour rappeler la source de ses richesses, il accompagnait toujours son portrait d'un écusson où se voyait une main tenant une écritoire. Loin de rougir de l'origine de ses biens, il s'en glorifiait donc comme d'un titre nobiliaire : la plume et l'écritoire étaient ses armes parlantes.
Ou voyait encore, au dernier siècle, une de ces statues du pieux Flamel, à l'église Sainte-Geneviève des Ardents, sur le portail qu'il y fit construire. On en trouvait deux à Saint-Jacques-la-Boucherie, savoir : une sur la petite porte de l'église, rue des Écrivains, et une autre sur le pilier de sa maison ; une autre au charnier des Innocents, dont il avait fait bâtir une des arcades du côté de la rue de la Lingerie. Il y en avait encore une à l'ancienne église de l'hôpital Saint-Gervais, petite chapelle que Flamel avait fait élever rue de la Tixéranderie, et deux sur la façade d'une belle maison qu'il fit bâtir dans la rue de Montmorency.
Flamel était presque toujours représenté, sur ces petites statues, à genoux et les mains jointes. On le voyait à Sainte-Geneviève des Ardents, dit l'abbé Villain, avec une robe longue, un manteau long et retroussé sur l'épaule droite, le chaperon à demi abattu autour du col, avec la cornette longue et pendant très bas : avec cela une ceinture, à laquelle était attachée l'écritoire, signe de la profession dont l'écrivain se faisait honneur. Jusqu'à l'époque de la révolution de 1789, on a vu, à Paris, ces images de Flamel sculptées sur les portes des églises, ou peintes sur leurs vitraux. Il était toujours armé de son écritoire et revêtu de son costume d'écrivain, toujours agenouillé par humilité, toujours accompagné de citations pieuses ou de vers de sa façon sur les misères et les vanités de ce monde.
Dans cette galerie, élevée en vue des souvenirs de la postérité, Flamel n'avait pas oublié l'image de sa chère Pernelle. On la voyait représentée avec son mari, sur le fronton de l'arcade du charnier des Innocents, Elle était à genoux aux pieds de saint Pierre, tandis que Flamel était à genoux aux pieds de saint Paul ; au milieu se tenait la Vierge portant l'Enfant Jésus. Au-dessous se trouvait une corniche chargée de tableaux de sculpture représentant le Jugement dernier ; le mari et la femme y figuraient encore. On les voyait partout réunis tous les deux sur les vitraux ou sur la façade des édifices, tenant leur place dans diverses allégories. Sur l'arcade du charnier des Innocents, on lisait des vers au-dessous de la petite statue et du chiffre de Nicolas Flamel ; ils étaient sans doute de sa composition. Les voici tels qu'on put les déchiffrer en 1760 :

Hélas ! mourir convient
Sans remède homme et femme...
Nous en souvienne :
Hélas ! mourir convient
Le corps...
Demain peut-être damnés
À faute...
Mourir convient .
Sans remède homme et femme.

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MessageSujet: Re: L’Alchimie – Origines, Petite Histoire et Grands Noms (rappel)   L’Alchimie – Origines, Petite Histoire et Grands Noms (rappel) I_icon_minitimeJeu 8 Juil 2010 - 17:39

(suite)

Dame Pemelle mourut en 1397 ou en 1403. Devenu veuf, Nicolas Flamel vit s'étendre encore sa fortune.
Vers 1404, dit M. Vallet de Viriville dans une notice imprimée dans la Biographie générale de M. Firmin Didot, Nicolas Flamel jouissait d'une considération qui paraît s'être attachée autant à son caractère qu'à sa fortune. Un curé de Paris, constitué en dignité ecclésiastique, le choisit pour exécuteur testamentaire, en compagnie de deux autres notables personnages. Il fit alors construire une seconde arcade au charnier des Innocents. Il contribua aussi au bâtiment et à la décoration extérieure de deux maisons religieuses. L'une était la paroisse de Sainte-Geneviève des Ardents, qui s'élevait rue Neuve de Notre-Dame en la Cité, et l'autre la chapelle de l'hôpital Saint-Gervais, située dans la rue de la Tixéranderie. Sur chacun de ces édifices, il eut soin de faire représenter aux yeux de tous l'image et les attributs du donateur. Je passe rapidement aux divers autres actes de munificence ostensible qu'il fit à sa propre paroisse et à d'autres églises, s'il faut en croire une certaine tradition, notamment à Saint-Côme et à Saint-Martin des Champs. Mais Charles V avait récemment agrandi autour de la capitale cette ceinture qui s'élargit de siècle en siècle et sans cesse. Au delà de l'une des portes, celle qui portait le nom de Saint-Martin, le prieuré de Saint-Martin des Champs étendait sa censive ou juridiction sur des terrains médiocrement peuplés ou livrés encore à l'agriculture. Quelques masures qui s'élevaient dans ce faubourg de la capitale étaient en ruines. Nicolas Flamel noua des intelligences d'affaires avec le couvent, s'insinua dans sa confiance, dans ses bonnes grâces. Peu à peu, et pièce à pièce, il acquit de ces religieux diverses concessions de terrain, avec la faculté d'y bâtir. Une fois maître d'un espace suffisant, c'est-à-dire vers 1407 et années suivantes, Nicolas Flamel fit construire en ce lieu divers édifices d'un caractère mixte ; c'étaient à la fois des institutions utiles, des maisons de rapport et des établissements de charité. L'une de ces maisons notamment s'appelait le Grand-Pignon. Elle comprenait une lavanderie ou lavoir et plusieurs corps de logis. Ainsi que nous l'apprend Guillebert de Metz, des gens de métier étaient logés, en payant, au rez-de-chaussée ; et du produit de ces loyers, des laboureurs, sans moyens pécuniaires, trouvaient un asile gratuit dans la partie supérieure. Nicolas Flamel voulut consacrer par des signes durables et visibles la destination de l'édifice. Les laboureurs étaient tenus, pour s'acquitter, à dire tous les jours un Pater et un Ave pour les pécheurs trépassés. À la hauteur de leur logement même, une large frise ou sculpture régnait sur la façade. Le Christ ou la Trinité, telle qu'on la figurait alors, occupait le centre. Nicolas Flamel s'y était fait représenter. On y voyait en outre l'image des locataires gratuits, ou laboureurs, à genoux et délivrant, comme on disait autrefois, leurs menus suffrages. Au-dessous de cette frise s'étendait sur une seule ligne une inscription explicative. La maison du Grand-Pignon a perdu son pignon, la plupart de ses sculptures et de ses antiques ornements. Mais elle subsiste encore, rue de Montmorency, n° 51, et présente aux regards de tous l'inscription primitive, ainsi conçue : Nous hommes et femmes laboureurs demeurant au porche — sur le devant — de cette maison, qui fut faite en l'an de grâce mille quatre cent et sept, sommes tenus, chacun en droit soit dire tous les jours un pater noster et un ave Maria en priant Dieu que de sa grâce face pardon aux pauvres pêcheurs trépassés. Amen. Nicolas Flamel mourut en 1418, sans avoir cessé d'accroître sa renommée et sa fortune. Il acheta le lieu de sa sépulture, dans l'intérieur même de l'église de Saint-Jacques-la-Boucherie. C'est ce que nous apprend l'une des nombreuses clauses de son remarquable testament, par lequel il léguait à Saint-Jacques-la-Boucherie la généralité de ses biens — n'ayant point d'enfants. Indépendamment de cette disposition principale, ce testament contient un grand nombre d'actes éclatants de sa libéralité.
Toutes ces constructions, que le temps n'a pas encore entièrement détruites, tous ces bienfaits dont la mémoire vit encore, toutes ces libéralités du pieux Flamel, quelque arithmétique dont on se serve pour les diminuer ou les réduire, supposent toujours de très grandes richesses. Essayons d'en rechercher la véritable origine.
M. Vallet de Viriville, dans un autre travail sur le sujet qui nous occupe, termine par cette réflexion judicieuse : en général, dit-il, partout où vous voyez une légende, quelque erronée, quelque amplifiée qu'elle soit, vous pouvez être sûr, en allant au fond des choses, que vous trouverez une histoire. Ajoutons que, s'il en était autrement, il faudrait rejeter du domaine des faits positifs tous les événements qui ne sont pas attribués aux princes et aux seigneurs, aux généraux et aux ministres, c'est-à-dire aux hommes qui, dans leur siècle, exerçaient de grandes charges publiques. L'histoire proprement dite n'accorde son attention et ses honneurs qu'à cette classe de personnages ; quant à la modeste existence de ceux qui n'occupèrent aucun rang dans l'État, elle ne nous est transmise que par la tradition, par des mémoires particuliers, par des notices ou des biographies, qui sont, ou qui, avec le temps, deviennent des légendes. Parce que l'on se défie des détails étrangers dont la tradition a chargé leur histoire, ou de la fausse chronologie qui l'embrouille, va-t-on déclarer que ces hommes n'ont rien fait, et que tout est controuvé dans les ouvrages écrits sur leur compte, comme dans ceux qu'on leur attribue ? Va-t-on prononcer enfin que leur existence même est problématique ? Telle est pourtant la conséquence extrême à laquelle on serait conduit par une critique où le scepticisme l'emporterait trop sur le discernement. C'est dans cette idée, qu'une légende cache toujours une histoire, que nous allons soumettre à un rapide examen la question si controversée de la source des richesses du célèbre écrivain de la rue Marivaux.
On se trouve, en ce qui concerne la fortune de Flamel, en présence de deux opinions qui s'excluent l'une l'autre, bien qu'on les rencontre réunies chez les critiques qui, à l'exemple de l'abbé Villain et de Gabriel Naudé, se sont appliqués à découvrir l'origine de l'opulence de Flamel. Dans la crainte d'accorder trop de foi à la légende, ou bien on essaye de dépouiller Flamel de sa qualité de philosophe hermétique, ou bien l'on conteste ses richesses, c'est-à-dire qu'on les amoindrit au point de leur ôter les proportions et le caractère d'une fortune. C'est cette dernière opinion sur laquelle l'abbé Villain a le plus insisté dans son Histoire critique de Nicolas Flamel. Les petites raisons, les petits chiffres, se pressent sous sa plume pour amoindrir l'importance des dotations des deux époux : L'abbé Villain a lu quelque part que le portail de l'église Sainte-Geneviève des Ardents, à la construction duquel Flamel participa, fut fait des aumônes de plusieurs. À cette époque, la toise de construction des murs, en y comprenant tous les matériaux, ne coûtait que vingt-quatre sous. Il résulte du testament de Pernelle qu'en 1399 les deux époux n'avaient qu'environ quatre mille trois cents et quelques livres de revenu. À la bonne heure ; il faudrait cependant se demander, quant au dernier point, si, du quatorzième siècle au dix-huitième, la valeur de l'argent ne s'était pas tellement dépréciée, qu'une somme considérable pour un bourgeois du temps de Flamel, fût médiocre pour les lecteurs de l'abbé Villain. Il est toutefois un fait qui détruit complètement cette objection du critique, c'est la date qu'il cite du testament de Pernelle. En l'année 1399, en effet, les dotations, les rentes aux hôpitaux et églises, se trouvaient faites, les oeuvres de miséricorde étaient accomplies ; toutes les constructions faites à Paris s'étaient élevées aux frais du libéral écrivain, sauf le portail de Sainte-Geneviève des Ardents et une arche que, douze ou treize ans plus tard, après la mort de Pernelle, il fit ajouter au charnier des Innocents. Si, en 1399, il restait peu de fortune aux deux époux, c'est par la raison toute simple qu'ils avaient prodigieusement dépensé. Ce trait, que l'abbé Villain oublie de signaler, avait cependant son importance dans la question.
Mais par quel moyen Nicolas Flamel avait-il pu subvenir à tant de dépenses ?
C'est ici que la critique a besoin de tirer parti de l'opinion contraire sur les richesses de Flamel. On veut bien convenir qu'elles ont dû être considérables ; mais aussitôt, et pour rejeter leur origine hermétique, on leur cherche une source illicite et même criminelle. Flamel, dit, après d'autres écrivains, M. le docteur Hoefer, dans son Histoire de la chimie, Flamel a fait l'usure, il a prêté à la petite semaine ; il s'est trouvé en rapport avec un grand nombre de juifs, et, probablement, il se sera enrichi en s'attribuant les dépôts que ceux-ci lui confièrent au temps de leur persécution. Or, non seulement ces imputations sont entièrement dénuées de preuves, mais encore tout ce que l'on connaît historiquement du caractère et des actes de Flamel, concourt à laver sa mémoire d'une telle accusation.
Nous sommes, certes, fort éloigné de penser que le bonhomme Flamel ait jamais découvert la pierre philosophale ; nous y croyons d'autant moins, que nous trouvons chez lui toutes les qualités et tous les moyens qui rendent la pierre philosophale superflue pour l'acquisition des richesses. Que l'on se rappelle l'honnête et solide position de Nicolas Flamel, déjà bien avant l'époque où, selon la légende, il fit sa première projection. L'art de l'écrivain, dans lequel il était passé maître, avait l'importance et tenait la place de l'imprimerie avant que celle-ci fût inventée. Les écrivains remplissaient alors l'office de nos imprimeurs, et, pour peu qu'ils eussent le talent de copier les livres et les missels nettement et avec correction, ils devenaient bientôt plus riches que les auteurs. C'était alors le beau temps des calligraphes. Les trois fils du roi Jean étaient de passionnés bibliophiles, et l'un d'eux porta la couronne de France sous le nom de Charles le Sage, c'est-à-dire le Savant. Les deux autres firent exécuter ces riches manuscrits qui sont encore l'ornement de nos bibliothèques publiques, et à leur exemple, la haute noblesse, rivalisant d'émulation littéraire, multipliait les manuscrits. Nul doute que Flamel n'ait été associé à ces grands travaux, fort lucratifs pour les artistes qui les exécutaient, bien que son nom ne figure pas parmi ceux qui ont signé ces manuscrits. On a vu qu'en même temps, Flamel était libraire, et libraire juré de l'Université, autre profession dans laquelle il prospérait également. Si l'on ne peut contester qu'il y ait eu anciennement, et qu'il y ait encore aujourd'hui, tant dans la librairie que dans l'imprimerie, plusieurs maisons millionnaires, quelle difficulté trouvera-t-on à admettre que réunissant ces deux industries, la maison des époux Flamel se soit élevée à un même degré de fortune pour le temps où ils ont vécu ? Tout en s'occupant, à l'exemple de ses contemporains, de la culture d'un art chimérique, Nicolas Flamel ne négligeait point pour cela des travaux d'un produit plus assuré, et cette petite échoppe de Saint-Jacques-la-Boucherie qui n'est à louer qu'après sa mort, peut même passer pour une preuve que le prudent écrivain public ne renonça jamais à son premier métier.
Le 11 novembre 1390, Nicolas Flamel acheta, moyennant le prix de trente-deux francs d'or, au coin du roi, une rente de deux livres six sous parisis, hypothéquée sur une maison. Cet immeuble était situé rue Saint-Martin, à l'angle de la rue Guérin-Boisseau, vis-à-vis la pistole ou geôle du prieuré de Saint-Martin des Champs. Les censitaires n'ayant point payé la rente dont ils étaient redevables, la maison fut vendue aux enchères, et Flamel s'en fit déclarer adjudicataire le 17 novembre 1414. On peut inférer de ce spécimen de ses opérations que le riche libraire-juré de l'Université faisait habilement valoir ses capitaux, et trouvait dans d'heureuses et légitimes spéculations le moyen d'ajouter à ses richesses.
Ainsi, à moins qu'il n'y ait parti pris de le traiter en coupable, ou ne doit point chercher à l'opulence de Flamel une autre source que cette longue carrière de travaux et d'affaires, dans le cours de laquelle un homme habile et actif comme lui, aidé du concours d'une femme entendue et vigilante, a pu, chaque année, réaliser des bénéfices considérables qu'aucune grande charge domestique ne venait entamer. Dans cette maison, point d'enfants à élever et à pourvoir ; des habitudes d'ordre qui rendent le travail de plus en plus fructueux en lui ménageant l'impulsion croissante qu'il reçoit de ses propres produits soigneusement économisés ; ajoutez enfin une simplicité de vie qui allait jusqu'à l'austérité, soit que ces habitudes fussent conformes aux goûts de Flamel, soit qu'il voulût conjurer par là les haines jalouses et dangereuses auxquelles étaient alors en butte les bourgeois que la fortune élevait trop au-dessus de leur caste.
Un fait que l'histoire nous a conservé, prouve tout à la fois que, déjà de son vivant, la fortune extraordinaire de Flamel était chose notoire, et qu'en même temps l'honnête écrivain avait gardé au milieu de ses richesses une modération plus extraordinaire encore que sa fortune. Frappé de tout ce que l'on racontait de l'opulence, des libéralités de Flamel, le roi Charles VI crut devoir envoyer chez lui un maître des requêtes pour s'assurer du fait. M. Cramoisi, qui fut chargé de cette mission, trouva le philosophe vivant pauvrement dans sa modeste échoppe, et se servant, à son ordinaire, de vaisselle de terre, comme le plus humble des artisans. Cramoisi ayant rendu compte au roi des résultats de sa visite et de son enquête, l'honnête artiste ne fut point inquiété. L'usure, cette imputation odieuse que l'on n'a pas craint de faire peser sur la mémoire de Flamel, ne se concilie point avec une telle simplicité de mœurs et d'habitudes. Il faut d'ailleurs ou nié complètement l'existence d'un personnage, ou bien l'accepter avec les traits sous lesquels la tradition nous le représente. Or, comment un homme religieux, humain, charitable — l'histoire même ne conteste aucune de ces vertus à Nicolas Flamel — aurait-il voulu s'enrichir par un moyen que réprouvent également la religion et la charité ?
On prétend encore que Nicolas Flamel a pu s'enrichir en s'appropriant les dépôts ou les créances des juifs proscrits. Cette dernière opinion nécessite un court examen. Du vivant de Flamel, les juifs furent persécutés trois fois, c'est-à-dire chassés du royaume, puis rappelés, moyennant finance. Or, en 1346, date de la première persécution, Flamel n'était qu'un garçon de quinze ou seize ans. En 1354, date de la seconde, il commençait à peine son petit établissement d'écrivain public, et personne ne parlait encore de sa fortune. Ce bonhomme, dit Lenglet du Fresnoy, aurait-il été en Espagne chercher les juifs, si lui-même les avait volés et dépouillés de leurs biens ? On pourrait ajouter que si Flamel alla trouver les juifs en Espagne, c'est qu'il était sans doute en mesure de leur rendre bon compte du mandat qu'ils lui auraient confié à leur départ de France. Mais tout ce que l'on pourrait avancer à cet égard manquerait de preuves ; et, en particulier, cette opinion que Flamel aurait reçu, comme une sorte de banquier, la procuration des juifs proscrits pour toucher leurs créances, n'est qu'une conjecture à laquelle on ne peut guère s'arrêter. En effet, bien longtemps avant le voyage de Flamel en Espagne, les juifs étaient rentrés en France, où leur bannissement, leur rappel, la confirmation et la prolongation de leurs privilèges, étaient, avec l'altération des monnaies, les grands moyens financiers de l'époque : les gouvernements seuls dépouillaient les juifs. Du reste, de prolongation en prolongation, on leur avait octroyé un séjour non interrompu de plus de trente ans dans le royaume, lorsque, en 1393, Charles VI les en bannit à perpétuité. Cette troisième persécution des juifs eut lieu, à la vérité, du vivant de Flamel, mais elle est postérieure à un grand nombre de ses fondations. Il faut convenir toutefois qu'en cette circonstance, il aurait pu faire honnêtement quelque gain considérable avec les juifs. L'ordonnance de 1394, différente en cela de toutes celles précédemment portées contre eux, avait un caractère purement religieux et politique. En les bannissant, elle ne les dépouillait pas, et, ce qui le prouve bien, c'est que toutes leurs créances durent leur être payées. Or, pour opérer le recouvrement de ces créances, il leur fallait nécessairement un agent ou une sorte de banquier. Si l'on veut croire que Flamel, dont la probité et la solvabilité bien connues devaient inspirer toute confiance aux juifs, reçut d'eux cet important mandat, et put s'enrichir beaucoup de toutes les remises qui lui auraient été accordées sur les sommes recouvrées par ses soins, on n'a rien à objecter à cette nouvelle conjecture, si ce n'est son entière gratuité, car elle n'appartient pas à la tradition et elle n'est confirmée par aucune induction historique. Mais ce que nous voudrions détruire et effacer dans tous les esprits, c'est le soupçon, non pas gratuit, mais absurde, que Flamel se soit approprié les créances ou les dépôts des juifs bannis. Est-ce que, dans ce cas, de nombreuses plaintes ne se seraient pas élevées contre lui ? Et le dépositaire infidèle, s'il avait pu ne pas compter avec sa conscience, n'aurait-il pas eu à compter sévèrement avec la justice du roi ? Charles VI, qui n'avait prononcé que le bannissement des juifs, n'eût point, sans doute, laissé impuni chez un particulier, un acte de spoliation dont il avait voulu s'abstenir lui-même.
La tradition a attribué à Nicolas Flamel plusieurs ouvrages d'alchimie. Flamel aurait-il voulu, de son vivant, répandre l'opinion de son initiation à l'art hermétique ? Ou bien, les préjugés populaires qui, après sa mort, attribuèrent à cette source l'origine de ses richesses, auraient-ils tout simplement engagé les libraires à mettre sous son nom certains ouvrages de ce genre pour ajouter à leur autorité ? La question est difficile à trancher. Quoi qu'il en soit, les ouvrages que la tradition accorde au pieux écrivain de la rue Marivaux sont les suivants : le Livre des figures hiéroglyphiques d'où nous avons extrait l'histoire légendaire de l'initiation et du triomphe de Flamel dans l'art hermétique, le Sommaire philosophique, ouvrage en vers qu'il aurait, disent les adeptes, composé en 1409 et qui a été réimprimé en 1735, dans le troisième volume du Roman de la Rose ; enfin le Traité des lavures ou le Désir désiré.
Ce qui avait beaucoup contribué à entretenir l'opinion qui range Nicolas Flamel parmi les écrivains hermétiques, c'est que le dernier ouvrage dont nous venons de donner le titre subsiste en manuscrit dans deux bibliothèques de Paris, et que l'on a toujours cru jusqu'à nos jours, que l'un de ces deux exemplaires a été sinon composé, du moins écrit et relié de la main de Nicolas Flamel. Or, en 1857, M. Valet de Viriville, après un examen approfondi de ce manuscrit, est arrivé à se convaincre qu'il n'est point, comme on l'a toujours pensé, écrit de la main de Flamel. M. Valet de Viriville a exposé avec détails le résultat de son examen de ce manuscrit, dans une note publiée dans le tome XXIII des Mémoires de la Société des antiquaires de France. Nous nous bornerons à rapporter ici une courte mention de ce point donnée par le même auteur à la fin de la notice qu'il a consacrée à Nicolas Flamel dans la Biographie générale et dont nous avens déjà cité un autre fragment :
Il existe, dit M. Valet de Viriville, au département des manuscrits de la Bibliothèque impériale un petit livre écrit sur parchemin en lettres gothiques, et qui débute ainsi : commence la vraie pratique de la noble science d'alchimie... de tous les philosophes composé et des livres des anciens, pris et tiré, etc. À la fin du volume, on lit : ce présent livre est et appartient à Nicolas Flamel, de la paroisse Saint-Jacques-de-la-Boucherie, lequel il l'a écrit et relié de sa propre main. Mais cette inscription n'est pas authentique. Un œil exercé y reconnaît la main d'un faussaire, qui vivait vers le commencement du dix-huitième siècle : il a gratté une inscription plus ancienne qui existait à cette place ; il a surchargé cette inscription et substitué le nom de Flamel à celui d'un autre scribe ou propriétaire. Quant au texte du manuscrit lui-même, il parait avoir été écrit environ de 1430 à 1480, et ne saurait remonter à l'époque de Nicolas Flamel. Effectivement, en 1561, un recueil anonyme, attribué par quelques bibliographes à Gohorry, parut sous le titre de Transformation métallique. Paris, Guillard et Warencore, in-8. Ce recueil contient trois petits traités d'alchimie, parmi lesquels figure le Sommaire philosophique de Nicolas Flamel. Dès lors la réputation de Flamel comme alchimiste fut définitivement établie. Les figures pieuses qu'il avait fait peindre et sculpter, son portrait, celui de Pernelle, sa femme, son chiffre, les devises de dévotion gravées sur des phylactères, et jusqu'à son écritoire ou calamar d'écrivain, qu'on voyait à l'une des arcades de sa maison, devinrent autant de symboles du grand art. Cette croyance ne manqua pas de trouver un crédit de plus en plus étendu ; elle se propagea par la double voie de la tradition orale et de la tradition écrite. Cette double tradition subsistait encore avec beaucoup de force vers la fin du dernier siècle.
Nous croyons en effet avec M. Valet de Viriville, que l'on ne saurait attribuer à Nicolas Flamel aucun des ouvrages que la tradition lui accorde, et qui doivent être considérés comme apocryphes. Nicolas Flamel fut un riche et industrieux bourgeois de la capitale, qui trouva dans une carrière d'affaires honorablement remplie, la source de sa fortune, et qui n'eut aucune raison de léguer à la postérité le témoignage écrit de ses travaux dans l'art hermétique.
Mais si les ouvrages qu'on lui attribue sont apocryphes, il faut se hâter d'ajouter qu'on y trouve beaucoup de faits vrais concernant Nicolas Flamel. Pour les auteurs de ces livres, c'était là une condition de succès qui n'a pas dû être plus négligée qu'elle ne l'est dans divers mémoires pseudonymes de notre époque, lesquels, remplis de faits irrécusables, ne pèchent souvent que par l'authenticité. C'est ainsi que le Livre des figures hiéroglyphiques est généralement. regardé comme l'œuvre propre du traducteur P. Arnauld ; car le latin, d'où il prétend l'avoir traduit, n'a été vu nulle part. Cependant, quand on trouve dans ce livre une traduction si fidèle et une si laborieuse explication des figures que Flamel fit peindre ou sculpter sur la quatrième arche du charnier des Innocents, il est impossible de le considérer comme absolument faux dans tout le reste, et notamment dans ce qu'il rapporte des travaux et de la vie intérieure des deux époux. L'ouvrage de P. Arnauld est sans doute la paraphrase d'un manuscrit perdu de Nicolas Flamel.
Remarquons, d'un autre côté, que ce manuscrit de la Bibliothèque impériale, le Traité des Lavures, dont a parlé M. Valet de Viriville, contient dans son titre une sorte de sommaire résumant, par des indications très nettes, les divers sujets traités dans la plupart des livres que la tradition a mis sous le nom de Flamel. L'écrivain de la rue Marivaux expose dans le courant de ce livre, le nombre et la succession des opérations ou lavures qu'il faut exécuter pour préparer la pierre philosophale. Ainsi Nicolas Flamel explique dans ce manuscrit, à l'adresse des alchimistes, ce qu'à la même époque il leur donne à déchiffrer dans les figures hiéroglyphiques du charnier des Innocents et du portail de Saint-Jacques-la-Boucherie. Qui ne serait frappé d'un tel enchaînement de réalités si bien liées entre elles, si bien confirmées les unes par les autres ? De grandes richesses rapidement acquises sans que personne en puisse indiquer la source, de nombreuses fondations qui en attestent l'importance, et des monuments divers qui, dans leurs décorations symboliques, en attribuent l'origine au grand œuvre ; puis un livre, contemporain de ces symboles, qui vient leur servir de commentaire, et le tout depuis l'origine jusqu'à la fin, se rapportant à l'histoire du même personnage.
Tout cela prouve que si Nicolas Flamel ne s'est pas occupé d'alchimie, il a cependant fait tout son possible pour le laisser croire au vulgaire. La piété de ce personnage célèbre n'était pas exempte d'ostentation ; c'est ce qui résulte de cette profusion de statues et de symboles personnels dont il accompagnait les constructions dues à sa charité. Peut-être, par un autre trait de vanité, moins avouable, Nicolas Flamel voulut-il ajouter à sa renommée en répandant l'opinion qu'il avait trouvé le secret tant poursuivi par la science de son temps. Cette explication pourrait concilier les opinions diverses qui ont régné dans le vulgaire et parmi les savants sur le point que nous venons de traiter.
En résumé si on ne peut admettre que Nicolas Flamel ait été alchimiste, au moins faut-il avouer qu'aucun autre personnage de son temps n'a rassemblé un plus grand nombre de preuves pour faire croire à la réalité de ce fait, et pour implanter cette opinion dans les crédules esprits de ses contemporains.
Mort en 1418, Nicolas Flamel fut enterré dans l'église Saint-Jacques-la-Boucherie. Il avait, de son vivant, payé les frais de sa sépulture dont il avait désigné la place devant le crucifix et la sainte Vierge, et où, douze fois l'année, après les services fondés à son intention divers prêtres devaient aller, en surplis, lui jeter de l'eau bénite. Il avait aussi d'avance composé et figuré l'inscription qui devait être placée à l'un des piliers au-dessus de sa tombe, et qui, selon sa volonté, fut exécutée comme il suit :
Le Sauveur était figuré tenant la boule du monde entre saint Pierre et saint Paul. On lisait au-dessous de cette image :

Feu Nicolas FLAMEL, jadis écrivain, a laissé par son testament, à l'œuvre de cette église, certaines rentes et maisons qu'il a acquis et achetées de son vivant, pour faire certain service divin, et distributions d'argent chaque année par aumône, touchant les Quinze-Vingts, Hôtel-Dieu, et autres églises et hôpitaux de Paris. Soit prié pour les Trépassés.

Sur un rouleau étendu on lisait ces paroles :

Domine Deus, in tuâ misericordiâ speravi.

Au-dessous se voyait l'image d'un cadavre à demi rongé, et cette inscription :

De terre suis venu et en terre retourne :
L'âme rends à toi. J.H.V., qui les péchés pardonne.

Pernelle, qui avait précédé son mari au tombeau, s'était occupée aussi de ses propres obsèques ; elle avait même réglé la dépense du luminaire à y consacrer, Mais Pernelle ne nous donne pas ici une haute idée de sa magnificence. Elle avait fixé le prix du dîner du jour de l'enterrement, auquel, selon la coutume, devaient être invités tous les parents et voisins, à quatre livres seize sols parisis. La dépense totale de la cérémonie devait se monter à dix-huit livres dix deniers parisis, et la messe du bout de l'an ne coûter que huit livres dix-sept sols.
Nicolas Flamel fut donc, comme nous l'avons dit au début de ce chapitre, le plus heureux des souffleurs, si l'on s'en rapporte du moins à la tradition. Son bonheur a même atteint des limites qui ne pouvaient entrer dans ses espérances, car les adeptes, enthousiastes de ses succès, lui ont accordé le privilège de l'immortalité. S'il faut en croire l'état civil, Flamel, comme nous l'avons dit, mourut en 1418 ; mais beaucoup d'écrivains affirment que, plein de vie à cette époque, il ne fit que disparaître de Paris pour aller rejoindre Pernelle, laquelle, cinq années auparavant avait disparu de son côté, pour se rendre en Asie. Cette opinion se répandit jusqu'en Orient, où elle existait encore au dix-septième siècle. C'est ce que Paul Lucas rapporte dans la relation de son voyage en Asie Mineure. Ce touriste s'exprime ainsi :
À Bournous-Bachi, ayant eu un entretien avec le dervis des Usbecs sur la philosophie hermétique, ce Levantin me dit que les vrais philosophes possédaient le secret de prolonger jusqu'à mille ans le terme de leur existence et de se préserver de toutes les maladies. Enfin, je lui parlai de l'illustre Flamel, et je lui dis que, malgré la pierre philosophale, il était mort dans toutes les formes. À ce nom, il se mit à rire de ma simplicité. Comme j'avais presque commencé de le croire sur le reste, j'étais extrêmement étonné de le voir douter de ce que j'avançais. S'étant aperçu de ma surprise, il me demanda sur le même ton si j'étais assez bon pour croire que Flamel fût mort. Non, non, me dit-il, vous vous trompez, Flamel est vivant ; ni lui ni sa femme ne savent encore ce que c'est que la mort. Il n'y a pas trois ans que je les ai laissés l'un et l'autre aux Indes, et c'est un de mes plus fidèles amis.
Après ce préambule, le dervis fait une longue histoire de la manière dont Flamel et Pernelle se sont éclipsés de Paris, et de la vie qu'ils mènent tous deux en Orient.
Ce récit, ajoute le naïf Lucas, me parut, et il est en effet fort singulier. J'en fus d'autant plus surpris qu'il m'était fait par un Turc que je croyais n'avoir jamais mis le pied en France. Au reste, je ne le rapporte qu'en historien, et je passe même plusieurs choses encore moins croyables, qu'il me raconta cependant d'un ton affirmatif. Je me contenterai de remarquer que l'on a ordinairement une idée trop basse de la science des Turcs, et que celui dont je parle est un homme d'un génie supérieur.
Beaucoup de personnes s'imaginèrent, après la mort de Nicolas Flamel, qu'il devait exister des trésors enfouis dans la maison qu'il avait toujours habitée. Toutes ses dépenses ne pouvaient avoir épuisé les sommes innombrables que cet adepte avait accumulées chez lui, ayant la faculté de produire de l'or au gré de ses désirs. Ces personnes si bien avisées avaient sans doute lu dans Diodore de Sicile que Symandius, ou Osymandius, roi d'Égypte, possesseur du même secret, fit environner son tombeau d'un cercle d'or massif, dont la circonférence était de trois cent soixante-cinq coudées, et dont chaque coudée offrait un cube d'or. Le même Symandius s'était fait représenter sur le péristyle de l'un de ses palais situé près de ce tombeau, présentant aux dieux l'or et l'argent qu'il fabriquait chaque année, et dont la somme, en nombres ronds, s'élevait à cent cinquante et un milliards deux cent millions de mines. En 1576, un personnage qui possédait à fond ses auteurs hermétiques, alla trouver le prévôt de la ville de Paris, et déclara, comme un cas de conscience, qu'un ami l'avait fait dépositaire de certaines sommes, sous condition de les employer à des réparations dans les maisons qui avaient appartenu à Nicolas Flamel. il s'offrait particulièrement à dépenser trois mille livres pour restaurer la maison de la rue Marivaux. Comme cette maison était fort délabrée, les magistrats prirent au mot notre homme, qui, au comble de ses vœux, s'empressa de faire exécuter des fouilles ; ensuite il se mit à méditer les hiéroglyphes, à fendre les pierres et à scruter le joint des moellons. Mais l'histoire rapporte qu'il en fut pour ses peines et pour ses frais. Il n'avait pas sans doute connaissance de l'oraison composée par Flamel en faveur de ceux qui soupirent après les biens de la terre.
C'est l'abbé Villain qui rapporte ce dernier fait dans son Histoire critique de Nicolas Flamel :
En 1576, dit l'abbé Villain, un particulier, sous un nom et des qualités assez importantes, mais empruntées sans doute, se présenta à la fabrique de Saint-Jacques-la-Boucherie comme exécuteur testamentaire d'un ami. Ce dernier, en mourant, lui avait laissé, ou remis, disait-il, certaine somme d'argent pour être employée en oeuvres pieuses.
Les travaux pour la réparation de l'immeuble délabré de la rue Marivaux, commencèrent sous l'inspection des délégués de la fabrique de Saint-Jacques-la-Boucherie. Mais pendant le cours de cette opération, on reconnut les véritables vues du solliciteur, qui espérait seulement découvrir un trésor, ou tout au moins s'approprier les pierres sculptées de la façade, toutes recouvertes de précieux symboles hermétiques.
Les intéressés à la découverte du trésor imaginaire, dit l'abbé Villain, veillaient avec soin sur l'ouvrage. On a creusé en leur présence, on a enlevé avec le pic une quantité de mœllons ; rien n'a paru, on le pense bien. Mais l'or devait être enfermé dans les pierres gravées ; l'imagination s'est tournée de leur côté, et quoique le respectable pasteur qui gouverne la paroisse eût recommandé de les laisser en place, elles ont été furtivement enlevées, brisées et converties en mœllons ; c'est tout l'or qui s'est trouvé.
L'abbé Villain ajoute que l'inconnu, quand il se vit frustré de ses espérances, disparut sans payer les travaux qu'il avait commandés. C'est ainsi que la maison de Nicolas Flamel perdit les décorations extérieures qui la recommandaient à l'intérêt des archéologues.
Ajoutons qu'au mois de mai 1819, il se trouva à Paris un plaisant ou un fou qui se donnait pour le véritable Nicolas Flamel, l'adepte fortuné qui avait fait la projection quatre siècles auparavant. L'alchimiste s'était établi rue du Cléry, n° 22 ; il faisait de l'or à volonté et se proposait d'ouvrir un cours de science hermétique, pour lequel chacun pouvait se faire inscrire moyennant la modique somme de trois cent mille francs. Après cette dernière réclame, on n'a plus entendu parler de l'adepte de la rue Marivaux.


Source : http://www.viamenta.com/textesesoteriques/alchimieetalchimistes/alchimieetalchimisteschapitre10-nicolasflamel.htm
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MessageSujet: Re: L’Alchimie – Origines, Petite Histoire et Grands Noms (rappel)   L’Alchimie – Origines, Petite Histoire et Grands Noms (rappel) I_icon_minitimeSam 10 Juil 2010 - 19:32

Un peu dur avec B. Valentin , Paracelse , Lulle et autres . De tout temps l'alchimie a été indissociable du sacré et ce meme en Egypte ou Moise comme le Christ séjournèrent jusqu'à l'age mur . Pour l'un comme pour l'autre ce fut le grand silence jusqu'à leur retour au pays . Les philosophes grecs suivirent le meme itinéraire . Tous furent instruit à l'issue de ces voyages initiatiques , qui furent leur maitres ça ?

Toutes les grandes civilisations étaient monothéistes , un Dieu supreme et des dieux subalternes et ce jusqu'à nos jours , et qu'importe le nom qu'on leurs donne et les dérives des siècles . Le mystère a toujours été sacré , les anciens se mettaient toujours sous la protection de leur Dieu de meme que leur écrits , tant cette Science est grande . Jamais elle n'a été enseignée clairement et jamais elle ne s'est perdue et ce jusqu'à aujourd'hui .

L'alchimie a eut ses détracteurs , l'abbé Villain , entre autres , en fut à son époque un des plus acharné mais tout ça n'est qu'une bataille d'érudit et c'est sans fin . Posons-nous une question : pourquoi une chimère a-t-elle fait et fait-elle encore couler autant d'encre ? et pourquoi jusqu'à aujourd'hui c'est-on acharné à monter des pierres et les tailler afin de perpétrer le message ? Je ne parlerai pas ici des chimistes orgueilleux qui veulent que l'empirisme des premier chercheurs de pierre philosophale a donné naissance à leur science , tant c'est dégradant pour eux sans que j'en rajoute . Jamais l'alchimie ne fut soeur de la chimie , depuis que le monde et monde elle se suffit à elle-meme et n'est jamais sorti du temple .

Pour ne parler que de ses deux auteurs , je reste persuadé que ci R. Lulle ou Paracelse revenaient aujourd'hui ils seraient étonné du nombre d'ouvrages qui portent leur signature , et il y en a d'autres croyez-moi tant est grande l'envie de ce faire mousser .

En tout cas Geoff merci pour ce voyage dans le temps et l'histoire , un tour à la Bastille aurait été sympat , il s'en est passé des choses là-bas aussi , mais vu la Somme tombé ici je comprends . Si l'athanor de ton savoir pouvait nous mettre en coction un truc sur le parallèle entre les dieux et les symboles alchimiques ce que tu a écrit ferait une sacré trilogie .

A se croiser sur la grande mer du net , Voyageur
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MessageSujet: Re: L’Alchimie – Origines, Petite Histoire et Grands Noms (rappel)   L’Alchimie – Origines, Petite Histoire et Grands Noms (rappel) I_icon_minitimeMar 13 Juil 2010 - 15:23

Bonjour Geoff et à tous ici . C'est un texte fondamental en alchimie que je vous propose , le plus concis et dans le meme temps le plus complet , d'après les alchimistes , depuis sa première mise à jour connue vers le IVe siècle . On le dit écrit par Hermès lui-meme sur une émeraude qui cacha dans une montagne , bien d'autres légendes , toutes plus intéressantes les unes que les autres sur le Trois Fois Grand et cet écrit eurent cour au fil du temps . Pour celui que cela intéresse , ou ceux , l'outil dont on se sert en ce moment ouvre les voies qui y conduisent . Un auteur du Moyen Age nommé Hortulain en donna une interprétation qui faisait référence parmi les adeptes de l'Art Sacré . Bonne navigation aux passionnés ;

Voyageur


LA TABLE D'EMERAUDE

Il est vrai , sans mensonge , certain et très véritable :

Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut , et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ; par ces choses se font les miracles d'une seul chose .

Et comme toutes les choses sont et proviennent d'un , par la méditation d'un , ainsi toutes les choses sont nées de cette chose unique par adaptation .

Le Soleil en est le père , et la Lune la mère . Le vent l'a porté dans son ventre . La terre est sa nourrice et son réceptacle . Le Père de tout , le Thélème du monde universel est ici .

Sa force ou puissance est entière si elle est convertie en terre . Tu sépareras la terre du feu , le subtil de l'épais , doucement avec grande industrie . Il monte de la terre et descend du ciel , et reçoit la force des choses supérieurs et des choses inférieurs . Tu auras par ce moyen la gloire du monde , et toute obscurité s'enfuira de toi .

C'est la force , forte de toute force , car elle vaincra toute chose subtile et pénétrera toute chose solide . Ainsi le monde a été crée . De cela sortiront d'admirables adaptations , desquelles le moyen est ici donné .

C'est pourquoi j'ai été appelé Hermès Trismégiste , ayant les trois parties de la philosophie universelle .

Ce que j'ai dit de l'oeuvre solaire est complet .
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